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Critique de Kirzy


°°° Rentrée littéraire 2022 # 33 °°°

Qui connaît Marc Papillon de Lasphrise à part quelques amateurs de poésie baroque ? Poète-soldat contemporain de Ronsard, il combattit aux côtés des Ligueurs et des Guise durant les guerres de religion, un dur à cuire sur son cheval; avec son armure de près de cent kilos, il était envoyé briser les lignes adverses. Retraité de la soldatesque à 40 ans, retiré dans son fief de Touraine, couturé et balafré, perclus de rhumatisme, il décide de se consacrer à la publication définitive de sa poésie. Il est supposé mourir en 1599 mais pas de tombe, comme s'il s'était volatilisé.

Hubert Haddad ne propose pas un roman biographique conventionnel même s'il injecte dans la première partie de son récit le peu d'éléments biographiques dont on dispose sur Marc Papillon. Dans son dernier poème empli d'exaltation, celui-ci lance un pacte faustien au Diable : tant que sa poésie ne sera pas reconnue et célébrée, il ne mourra pas. L'écrivain prend au mot le poète et l'imagine immortel en quête de gloire errant à travers les temps.

A partir de la deuxième partie qui démarre en 1599 donc, Marc Papillon traverse les siècles et se confronte à l'Histoire de France et à ses grands événements mais de biais, par des anecdotes et des rencontres avec des personnages secondaires toujours savoureux, jusqu'à déborder notre époque dans un Paris de demain. La Révolution française, les guerres napoléoniennes, la Commune, les deux Guerres mondiales servent ainsi de décors à cet extraordinaire roman picaresque temporel. On se régale de la fantaisie de ce personnage sans cesse déphasé, devant s'adapter sans fin aux nouvelles réalités ( linguistiques, vestimentaires, scientifiques, technologiques ), se confrontant également aux milieux littéraires de chaque époque.

« Les décennies se succèdent à la vitesse de l'oubli et s'effacent dans un clignotement d'étoiles. »

A mesure que le récit avance, la fantaisie poétique se teinte d'une puissante réflexion sur le Temps et gagne en épaisseur en acquérant cette dimension philosophique. Marc Papillon devenu immortel devient une créature métaphysique confronté au tragique de l'existence humaine.

« Que valent jours, mois et années pour l'insensé qui, ajournant son Salut au profit d'une hypothétique gloire, se sera lui-même condamné à la survivance ? Marc Papillon, sieur de Lasphrise, empli de cette candeur phénoménale que partagent les soldats et les poètes, avait trop de morgue pour en convenir. de tout, fors l'orgueil, on admet l'emprise. »

Au fil des siècles, il ne cherche plus à jouer à la vie, il se dépouille de ses vanités, de ses aspirations initiales, de sa poésie même, jusqu'à n'espérer plus rien que l'amour, que retrouver sa « Nouvelle inconnue », cette femme aimée qu'il perd à chaque fois et retrouve sous un autre visage quelques décennies plus tard. L'immortalité n'est que mélancolie à apprivoiser.

« Papillon à cet instant de recueillement ne jouait plus à la vie ni même en proie à ce comble du divertissement qu'est l'ennui. Il pleurait à l'écoute de la pluie et du vent, de cette durée si ténue qu'une musique virtuose simulait au pli même du présent et de la mémoire. N'existe-t-il en ce monde que des parenthèses temporelles qui s'effacent à la suite les unes des autres comme des paysages entrevus ? Il n'avait rien oublié du soleil de Moissy, l'été, dans un vacarme d'insectes et de passereaux, ni des longues nuits d'hiver faussées par la clarté de neige des songes. Mais les visages adorés, éphémères reliquaires de l'âme, s'étaient défaits aussi vite que les nuages sous un ciel précipité. »

Dans cette odyssée fantastique, l'émotion ne naît pas nécessairement du sort tragique de Marc Papillon, le récit a quelque chose de actuellement glacé, le lecteur survolant le récit en surplomb sans être vraiment touché par les êtres du dessous. Mais l'émotion naît de la beauté de l'écriture, elle affleure en permanence au détour de phrases absolument sublimes. le regard subtil de l'auteur sur la complexité humaine fusionne avec une écriture à la fois flamboyante et précieuse, éclatante par la richesse de son vocabulaire ( c'est bien d'avoir un dictionnaire à proximité, j'ai ainsi découvert de très beaux mots ).

« Prêt de rendre l'âme, il avait mis celle-ci aux enchères ; mais quel était l'enjeu véritable ? Il avait vu s'effacer comme buée ses contemporains jeunes et vieux, tant d'amis chers et d'amours impérissables. le monde humain pour lui était une serre à papillons ; les plus belles parures ocellées d'un jour ou d'une nuit voletaient autour de ses mains vides et de son visage. »

Une proposition littéraire rare et exigeante, portée par un talent de conteur évident.
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