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Critique de Lililaluize


L'invention du diable ou la vie de Papillon Lasphrise.
Mais qui est donc Papillon de Lasphrise ?
Marc Papillon, seigneur de Lasphrise, dit aussi le capitaine Lasphrise et parfois nommé Marc de Papillon était un poète baroque satirique et érotique du XVIeme siècle. (1555-1599)
Guerrier rallié à la cour d'Henri IV, c'est après de multiples batailles qu'il se retirera dans sa tour d'ivoire à Tours afin de s'adonner à la poésie.
Ce caresseur de filles , peu soucieux des tabous et conventions de l 'époque y éduquera la sienne, Marguerite, issue d'une conquête tombée dans l'oubli et ce, sans rente aucune malgré ses bons services au roi...

Une biographie ? Non.
Un roman fantastique et faustien !
Ce démon d'Hubert Haddad lui redonne vie après 1599, date de sa mort , s'empare des vers du poète et le prend au mot :
" Démon temoin de mon jurement
Au risque d'en perdre âme et sang
Une plume à ma veine trempée
Scelle un contrat d'immortalité
Tant que gloire enfin me soit donnée
Jamais irai-je en l'ombreux tombeau"

Ainsi, à la suite de cette vie manifeste évoquée à l'époque première de ce livre , se scelle un pacte nocturne avec le diable, défi lancé à Dieu et ses anges :
Tant que ses poésies n'auront pas accédé à la postérité, Papillon ne connaîtra pas le repos éternel.
L'immortalité sera t'elle sa malédiction ?
Le feu de la renommée crépitera alors en Papillon durant des siècles ; d'ère en ère c'est la rencontre des êtres et de l'histoire qui repaît l'immuabilité contrainte, l'asservissement aux lauriers glorieux.

J'ai trotté avec le destrier de Lasphrise en pleine Renaissance, les guerres de religion derrière moi, j'ai arpenté les pavés d'un Paris puant et insalubre sous la fin de règne de Vert Galant assassiné , assisté au billot, au coup de hâche et au bûcher, aux regains de peste entre vers érotiques et passages grivois.

le temps s'égrène , le spectre de l'écrasante solitude rend les souvenirs fragiles, les visages connus ne sont plus, les larmes coulent sur le visage du seigneur de Lasphrise qui perd son âme et le sens , de sa lente hibernation dans le monde des vivants éclos l'aridité des lendemains au milieu des amours qui s'éteignent.
Mais Papillon poursuit la roue de son destin et en un clin d'oeil sur l'échelle de la perpétuité, c'est en plein siège de Namur en 1692 que je retrouve ce poète qui se bat encore une fois sous les pluies diluviennes , au loin, j'entends Vauban en présence du roi Louis XIV, tous deux présents sur les lieux.

"Les décennies se succèdent à la vitesse de l'oubli et s'effacent dans un clignotement d'étoiles. le macabre ballet de l'aristocratie , ces usurpateurs qui de tout temps assemblent frivolité, morgue et chimères sont ils dignes de l'art, de la poésie ?
Voltaire et Alembert font aussi la mouche pour un peu de miel aristocratique."
Les mots seraient ils à la dérive d'une époque à l'autre...
" Sombrement, Papillon prend conscience du peu de prix et presque de l'indignité qu'aurait pour lui la reconnaissance d'une telle humanité. "

1789, Papillon est embastillé avec le marquis de Sade, la révolution gronde et les têtes tombent, "il eut aimé accompagner l'instant vécu dans ses joies et ses colères mais il n'était pas plus leur contemporain qu'Aristote."
Arrive le temps de Napoléon, du siège des prussiens, des deux guerres mondiales... mais qu'importe l'époque, son âme n'est plus tout comme son vieux français, langage obsolète à mille lieues du temps présent déjà presque archaïque.

Qu'est ce alors que l'avidité du savoir, des acquis, des prétentions de connaissances ? L'errance des vaniteux traversant un monde en perpétuelle mutation.
Quelle est la résultante de cette recherche de renom ?
Un néant intérieur aussi grand que l'éternité.
Si Hubert Haddad met à l'honneur Lasphrise et sa poésie, il nous transporte également dans les méandres de l'humanité en esquissant les guerres et les éternelles soumissions du peuple esclave mais toujours impétueux édictées par les barbaries des puissants " serait-ce cela l'hygiène du monde ?" , il opte également pour une trame qui nous laisse à distance des émotions afin de mieux nous en faire apprécier le fond et de nous questionner sur l'insignifiance et l'absurdité de la mondanité du mot "Gloire".

“De toutes les vanités, la plus vaine c'est l'homme.” (Montaigne)

Parsemé de versifications, de poètes et d'humour, ce roman à l'écriture baroque qui vire au contemporain au fil des époques est d'une grande érudition. Exigeant, il rebutera d'emblée les plus paresseux mais réjouira les lecteurs avertis tant par la poésie qui s'en dégage que par le caractère insolite de cette proposition littéraire singulière.
L'aventure vous tente ? Armez-vous de vos neurones, de concentration et de votre dico, acceptez de revenir sur certains passages, certaines phrases, et savourez la beauté du texte.
Il vous faudra allouer un temps certain à cette lecture qui pour moi a été un véritable glissement dans un baroque déroutant mais qui, très vite, par sa distinction , s'est imposée malgré sa dimension énoncée.

Une prouesse littéraire admirable.


" C'est un plaisir de voir le grand bal de la France.
On marche gravement puis on s'arrête un peu..."
Marc Papillon de Lasphrise
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