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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Roman du terroir dans la lignée des romans rustiques mâtinés de fantastique d'une Cécile Coulon (Une bête au paradis), d'une Adeline Fleury (le ciel en sa fureur) ou encore d'un Franck Buysse (L'homme peuplé), Aliène s'avère être un véritable roman social, radiographie des maux de notre époque, radioscopie d'une certaine jeunesse, roman mâtiné de façon surprenante de touches de science-fiction, prétexte au déploiement du fantastique. Une lecture surprenante, moderne, captivante. Une étrangeté terriblement excitante.

Fauvel, jeune femme d'une vingtaine d'année, éborgnée par un tir de LBD lors d'une manifestation, paumée et sous l'emprise d'une peur permanente depuis son incident, débarque à Cournac pour garder durant quelques jours la chienne du père d'une amie, l'exubérante Mado. Quitter la ville pour la pleine campagne lui sera sans doute salvateur, ce d'autant plus que la sécheresse destructrice est encore plus dure à vivre en ville.
Mais l'ambiance apparait immédiatement étrange. Hannah, la chienne, s'avère être le clone d'une chienne morte adorée (notez que le nom est un palindrome), et entre ses origines peu communes et son agressivité latente, la jeune femme sent que ce séjour en tête à tête avec cette chienne massive ne va pas être une sinécure, ce d'autant plus que les habitant de Cournac semblent très méfiants vis-à-vis de la chienne. Serait-elle responsable des découvertes macabres qui ne cessent depuis qu'elle est arrivée il y a environ deux ans ? Leur bétail est en effet massacré, mutilé.
Ce climat délétère est entretenu par un groupe de jeunes chasseurs particulièrement agressifs, tous ouvriers dans l'usine d'eau minérale du coin, notamment un certain Julien à la virilité crasse et dominatrice, qui eux colportent des récits d'enlèvements d'extraterrestres. A moins que ces récits ne soient que les anciennes légendes du coin revisitées ?
Dans tous les cas, le bouc émissaire semble tout trouver en Hannah.

Ces aliens qui viennent d'en haut donnent le la au thème plus général et plus profond du récit qui est celui de la domination. Domination de l'homme sur la femme, domination de l'homme sur les animaux, domination du capitalisme sur les salariés. Domination des hétérosexuels sur les homosexuels. Domination de la capitale sur la ruralité abandonnée à son sort. Des aliénés.
Les liens que vont tisser la chienne et Fauvel permettra à la jeune femme de se reprendre en main, de retrouver une certaine verticalité, de se transcender et d'être en lien avec un être vivant au-delà de tout rapport de domination. Dans un sentiment d'amour vrai. C'est la rencontre salvatrice entre deux colères, celle d'une chienne mutante et d'une femme mutilée permettant de se défendre et de défendre ce qui a été blessé et tué.

« Les penses d'Hannah et de Fauvel s'entortillent l'une à l'autre. Crues, rugueuses, infundibuliformes ».

L'ambiance est haletante, la traque de la bête permanente en pleine forêt, où Fauvel ne cesse de s'y égarer, à la fois proie et chasseuse, plongée dans une réalité confuse, poreuse aux divagations et à un onirisme croissant au fur et à mesure du récit. La végétation est broussailleuse, grise, la roche affleure sous la terre, l'herbe est rêche, mêlée de mousses visqueuses, les sentiers inconnus et orniéreux, à l'image du chaos qui règne en maitre dans la tête de Fauvel.
J'ai beaucoup aimé cette ambiance inquiétante où l'ombre de la bête plane entre découvertes sanglantes qui émergent parfois du brouillard épais nimbant le paysage, entre hallucinations et rêves. La plume de l'auteure est éminemment sensorielle, odeurs, couleurs, texture, bruits, et sensations (notamment cet oeil disparu qui pulse derrière l'orbite) sont au centre du récit.

« Elle pense à l'aspect de son visage blessé, elle sent son oeil brûler dans son orbite, elle le sent visé par ces regards, l'oeil de poisson mort qui se liquéfie dans sa joue rougie par les cicatrices, oeil qui coule de façon impromptue, qui ne reflète qu'amati le monde, et cet oeil lui revient comme une marque d'infamie ».

« Lorsqu'il se mettait en colère, toujours pour des raisons inexplicables, il émettait une odeur extravagante et dégueulasse, l'humus aux branchages morts, le soufre des oeufs pourris, la point de fer du sang ou de l'étron malade ».

Roman ultra-contemporain soulevant les questions de l'identité et du genre, de l'animalité, de notre rapport de domination, des manifestations, de la violence et des peurs de notre monde, violence policière, violence masculiniste, violence du réchauffement climatique, j'ai été emportée par ce livre sans rien connaitre de l'auteure. Il s'avère que Phoebe Hadjimarkos Clarke est une autrice franco-américaine qui avait publié un premier roman Tabor dont il est fait référence dans ce livre sous forme de clins d'oeil. Elle serait classée du côté de la science-fiction queer. Ici le sens de Queer proviendrait pour moi bien de son sens premier, à savoir l'étrangeté qui plane dans ce roman. Aliène vient plonger, sous une forme terriblement actuelle, dans les eaux de la mythologie collective, entre loup-garou et bête du Gévaudan. L'amour noué entre Fauvel et la chienne Hannah sera la seule éclaircie dans ce roman par ailleurs d'une noirceur redoutable car éminemment contemporaine. Un roman atypique à découvrir !

Merci à @latelierlitteraire à qui je dois cette découverte ! Son retour est très très convaincant !

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Fauvel, une jeune femme, arrive à Cournac, un village dans la campagne, pour garder la chienne de Luc pendant qu'il fait le tour du monde avec sa riche amie Hélène qui lui offre ce voyage. Hannah est une chienne clonée d'une première chienne ayant le même nom. Fauvel connaît Luc par sa fille Mado, les deux jeunes femmes ayant été étudiantes à Paris en même temps. En arrivant, Fauvel trouve la chienne assez antipathique et se demande un peu ce qu'elle fait là. Elle va découvrir des choses étranges… ● Ce roman avait tout pour me déplaire, à commencer par la recommandation dithyrambique des critiques du Masque et la plume (comme pour Télérama, en général je fais le contraire de ce qu'ils disent), puis par ses thématiques, par son onirisme, à tel point que je m'étais dit que je ne le lirai pas, malgré tous les éloges dans la presse. Mais par acquit de conscience j'ai quand même téléchargé le début, et ce fut un foudroiement : dès les premières lignes j'ai été happé, subjugué par le style, absolument magnifique et profondément original. ● Je m'étais attendu aussi à lire une sorte de manifeste grossièrement militant, or ce n'est pas du tout cela, le militantisme, bien présent, est très subtil ; on est loin, très loin des gros sabots, même si l'on comprend bien que l'autrice lutte contre le patriarcat, pour l'antispécisme, pour le féminisme, pour le « queer »... Et tout passe par la narration – et par l'écriture ; on est à l'opposé des grandes déclarations théoriques. ● le titre, « aliène », c'est à la fois le verbe aliéner et les aliens, les extra-terrestres qui jouent un rôle dans cette histoire. Mais si aliens il y a, on reste toujours dans ce qui est possible, on est sur cette ligne de crête fragile entre réalisme et onirisme fantastique, sans jamais basculer du côté où le récit n'aurait plus de sens. ● Les images, métaphores et comparaisons, foisonnent et sont superbes, on se demande où l'autrice va chercher tout ça, on est stupéfait de constater qu'elle va toujours plus loin dans l'écriture de l'analogie, qu'elle en invente toujours davantage. Par exemple : « Les yeux se révulsent, un peu de bave épaisse comme un lichen au coin des lèvres. Dans son corps, les molécules s'assemblent, se dissolvent, se collent, coursant à travers ses muscles, ses mains, son cerveau. Il est un homme nouveau, un homme de mystère, reconfiguré et secret, où est le siège de soi se demande-t-il, se demandent-ils tous tandis qu'ils se bouleversent sur le carrelage marron du salon, eux-mêmes et pas eux-mêmes, plus jamais comme ils l'ont été, différents encore de ce qu'ils seront, qui sommes-nous se demandent-ils avec de grands regards mais sans le penser totalement toutefois, car ils savent bien qu'ils sont cela : leurs corps, des flambées de plaisir. Probablement il n'y a que cela qui importe, et tant pis pour cette idée d'identité, ils ne sont jamais que ça, un assemblage de données physiques quelconques. Des atomes momentanés rassemblés qui se désagrègent lentement vers autre chose. » ● L'originalité de l'écriture vient aussi de l'association d'un vocabulaire soutenu et même parfois de mots rares avec un lexique familier, sans jamais rompre l'homogénéité de l'ensemble. ● le nom du personnage principal, Fauvel, est particulièrement bien trouvé (« fauve » + « elle ») et on nous précise que ce nom a été inventé par Fauvel elle-même, dont ce n'est pas le vrai prénom. ● Si le style de l'autrice m'a laissé pantois d'admiration, j'ai cependant trouvé que l'histoire se répétait un peu, surtout dans le troisième tiers, et que le roman aurait gagné à être un peu plus court. ● C'est néanmoins une expérience de lecture saisissante, tout à fait singulière, et que je recommande.
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Aliène c'est un pur OVNi littéraire, du genre X-Files - aux frontières du réel - complètement fou et bourré de TW, vous êtes prévenu.e.s !

Comment écrire une chronique qui rende justice au texte et à l'autrice sans se fourvoyer ? Car après tout la réceptivité du texte ne peut qu'être singulière, à l'image de ce roman extravagant, hors norme, atypique : « aliénant ». Autant se le dire, si vous n'êtes pas ouvert.e d'esprit, laissez tomber. Ici il faut apprécier le « conceptuel », le trash, la marge, le « politiquement incorrect ». Ce bouquin, je l'ai vu comme une oeuvre d'art, de celles qui nous absorbent entièrement, nous retournent dans tous les sens pour mieux nous recracher derrière.

Fauvel a perdu un oeil à la suite d'un tir de LBD. Depuis elle vit dans la peur. La peur permanente. Celle induite par sa condition de femme, faible et soumise. de proie. Proie du système. Proie des flics. Proie des hommes. Proie du monde. Fauvel a désormais peur de la ville, de son effervescence, de son agitation et des dangers potentiels. Depuis qu'elle a reçu ce tir de LBD, elle n'est plus que l'ombre d'elle-même. Devenue « petite chose fragile » elle se réfugie à la campagne pour s'occuper de la chienne clonée du père de son amie Mado. Elle espère probablement se libérer de l'emprise de sa peur, trouver un semblant de sécurité, de la chaleur et se régénérer.

Aliène c'est un récit perché, bestial, organique, qui prend aux tripes et donne parfois la nausée. L'autrice nous livre un texte cru, anticonformiste. La plume est acérée, le style acide, le ton cynique. C'est glauque et en même temps terriblement attirant. le travail d'écriture est fantastique : l'alternance de mots soutenus, familiers et désuets participant à toute la bizarrerie (alléchante) du bouquin. L'autrice joue la provoc en balançant à la tronche du lecteurice une authenticité dérangeante et contre-nature, celle que l'on cache habituellement, mais qu'elle au contraire, exhibe sans retenue.

Au cours de quelques virées, Fauvel rencontre Julien, le ténébreux chasseur puis Michel qui écrit une thèse sur les extraterrestres qui auraient « enlevé » quelques personnes du coin. Fauvel se perd alors dans ses rêves (ahurissants) et une réalité altérée par la consommation outrancière de toxiques. Pourtant elle se voue d'une étrange mission, celle de mener l'enquête pour retrouver, le, les, coupable(s) à l'origine de l'étrange massacre du bétail dans le village.

À travers le personnage torturé de Fauvel, l'autrice semble dénoncer les séquelles psychiques, le mal-être dans lequel peut se trouver une personne brisée, opprimée par la société et les « dominants » et se penche sur la question des violences sous toutes leurs formes (policières, humaines, animales…).

Ce livre c'est un peu un combat contre ses propres démons et ces peurs générées par un climat d'insécurité grandissant issu d'un monde en perpétuel changement, patriarcal, bouleversé par toutes sortes de cataclysmes, dirigé par les lobbies et écrasé par le capitalisme. Une lutte contre les dérives écologiques, politiques, sociales. Un combat pour les libertés et les égalités.

Alors oui le roman déplaira sans doute à certain.e mais l'autrice a osé ce que personne n'ose et ça, c'est tout bonnement remarquable.
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Le titre évocateur mais cryptique, et, la couverture avec le tableau du peintre allemand Cranach l'Ancien, peignant une allégorie de la mélancolie, ont augmenté mon envie de lecture.

Un malencontreux accident avec La Poste qui a égaré un premier exemplaire puis la réimpression ont prolongé l'insoutenable attente de lecture.

Voilà aléa jacta est telle est la lecture, Intense et haletante qui s'est emparée de moi pendant deux journées.

L'autrice franco-américaine Phoebe Hadjimarkos Clarke avec « Aliène », nous propose un texte politique et subversif construit comme un mosaïque dont toutes les pièces sont unies par la peur. Celle qui tourmente l'héroïne depuis qu'elle a subi des violences policières.

Peu à peu dans les pages de ce roman une thématique apparaît avec force, celle de la violence, mais surtout des rapports de pouvoir.

De la domination comme prisme de lecture de la société. Celle de tous les dominants sur les dominés.

Fauvel, le personnage central, a perdu son oeil à cause d'un tir de LBD en fin de manifestation. Grâce à cette blessure emblématique un lien au réel et à des faits réels prend forme même si l'histoire se déroule dans un futur proche et encore plus troublant que notre présent,

Dans ce texte un peu réel un peu surréel Fauvel qui vit en totale perte de confiance, la retrouvera grâce à la relation avec une chienne-clone, Hannah, qui prouvera que la sincérité de l'animalité peut soulager.

Dans ce roman le brouillard est constant déceler le vrais est une quête.

L'écrivaine joue avec les mots, déconstruit pour mieux construire son récit, la lire est un régal si on aime l'audace dans le style.

Une Science Fiction d'anticipation pleine de fragments et de perceptions qui font vibrer.

Cette lecture est celle de l'étrangeté recherchée et travaillée, des métaphores glaçantes, pour un résultat remarquable.


Aliène mérite le succès médiatique qui l'entoure et mérite toute votre attention !
Lien : https://blog.lhorizonetlinfi..
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Or donc, Fauvel, jeune femme passée de révolte à dépression (elle a perdu un oeil suite à un tir de flash-ball) se retrouve à garder une maison et un chien étrange (clôné d'un précédent) dans une campagne qui se révèle très vite glauque et oppressante. J'ai adoré ce livre admirable (l'auteure pourrait sans doute prêter un de ses dictionnaires à Dicker pour lui permettre d'enrichir son pauvre vocabulaire). Livre très contemporain, novateur par son style et son écriture, qui oscille entre onirisme, fantastique, vie triste et monde malsain. Superbe !!!!
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Adoré ce livre
Dévoré en quelques jours
Le style, la narration, l'ambiance.
L'indolence de la narratrice, une sorte de Houellebecq de gauche.
L'amour des chiens, les gilets jaunes, les chasseurs, les tueurs de poneys, la forêt qui fait flipper, le paranormal, les histoires qu'on se raconte, les pompeurs de nappe phréatique.
50 nuances de peur, ambiance France des ronds points.
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