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Critique de Sofiert


A la lecture du résumé de Mercy street, on pense immédiatement au magnifique roman de Joyce Carol Oates ( Un livre de martyrs américains) et à celui de Jody Picoult ( Une étincelle de vie).
Certes le sujet est toujours terriblement d'actualité surtout depuis la décision de la Cour suprême du 24 juin 2022 au cours de laquelle quatorze Etats ont interdit l'interruption volontaire de grossesse sur leur territoire. J'étais donc curieuse de voir comment Jennifer Haigh allait aborder le sujet.

Le roman est très différent de ceux précédemment cités.
D'abord parce que l'autrice est davantage dans un mouvement "slice of life"( tranche de vie) et qu'elle s'attache essentiellement à la description de personnages et à leur mode de vie, leur façon de gérer le quotidien. On est ici davantage dans un observatoire de la société que dans une oeuvre pleine de rebondissements.
Pour cette raison, certains jugeront le roman trop contemplatif et seront déçus par l'absence de collision entre les personnages. En oubliant que c'est généralement la fiction qui organise des rencontres improbables et non le monde réel.

La vraie réussite de l'autrice tient dans la crédibilité et l'authenticité de ses personnages.
Au-delà du débat fondateur sur l'avortement,  il est ici question de pauvreté et de précarité. Les hommes et les femmes de ce roman ont constamment des épreuves à affronter parce qu'ils sont issus de classes populaires et n'ont pas les armes pour se maintenir debout. Certains comme Claudia choisissent d'aider ceux qui sont en difficulté, d'autres se réfugient dans la drogue, la religion ou le complotisme.

Deb, la mère de Claudia "élevait les enfants des autres, parce que c'était une des rares choses qui lui permettait de gagner de l'argent. le pays était rempli de gens rejetés, de vieux maladifs et de jeunes abîmés et on la rémunérait pour s'occuper d'eux. Que ce soit le boulot le plus mal payé qui soit en dit long sur le monde dans lequel on vit. "
De son enfance, Claudia a sans doute tiré la leçon que le gouvernement ne se préoccupait pas des plus défavorisés et que mettre un bébé au monde dans ces circonstances ne faisait qu'ajouter au malheur des femmes. Son investissement dans la clinique ne se limite d'ailleurs pas aux IVG, mais concerne toute l'aide apportée aux femmes en difficulté.

Ceux qui s'opposent à l'avortement sont objectivement des hommes pitoyables même si la romancière évite tout jugement critique.
Ils sont ici célibataires, solitaires et souffrent d'un complexe d'infériorité qui se nourrit de leur profonde misogynie. Traumatisé par une expérience ratée, Victor en veut à toutes les femmes et ne cherche à comprendre l'échec de sa relation. Il brandit l'argument masculiniste du droit à la descendance et promeut les valeurs patriarcales.
"Tuer un enfant à naître n'était pas qu'un simple meurtre ; c'était aussi un vol. Il y avait toujours une seconde victime invisible, un homme à qui on enlevait sa progéniture."
Militant pro-vie, Victor est aussi survivaliste et collectionneur d'armes à feu. Sa croisade repose sur le racisme et sur la conviction des suprematistes blancs que les femmes blanches doivent engendrer le plus de bébés possibles pour éviter que l'Amérique soit envahie par les Noirs et les Hispaniques.
Sous l'influence d' un prédicateur d'extrême-droite, il pose ainsi ses arguments :" Une femme noire née en 1950-  comme Victor - produisait en moyenne, quatre descendants viables. Une femme blanche née cette même année n'en produisait que deux. Depuis, la situation n'avait fait qu'empirer. La femme blanche sous-performante d'aujourd'hui ne produisait qu'un seul précieux enfant caucasien. "
Comme beaucoup des sympathisants pro-vie , il rêve de passer à l'action violente tout en se cachant derrière l'anonymat de son pseudonyme internet et il met en ligne des photos volées de femmes.

Anthony, un jeune homme handicapé après un accident, est sous son emprise par l'intermédiaire des réseaux sociaux. C'est lui qui prend les photos de femmes devant les cliniques mais il ne sait même pas à quoi servent les photos. Avant de s'associer à Victor, devenu son meilleur ( seul) ami sur Internet, il se refugiait dans la religion catholique, entendait sans convictions les sermons contre l'avortement et surtout, trouvait à l'église le peu de relations sociales dont il avait besoin.

Avec subtilité, Jennifer Haigh ne propose pas de polémique : elle présente simplement des portraits de femmes dans la détresse et des portraits d'hommes misogynes, racistes et complotistes.
Les relations de Claudia avec les patientes de la clinique sont des relations d'écoute, de bienveillance et d'entraide. Les terroristes antiavortement utilisent la menace et la peur.
L'autrice met en scène l'angoisse qui règne dans la clinique et les mesures de précaution qui se renforcent au fur et à mesure que la menace se précise. Mais elle choisit finalement de balayer cette violence et de surseoir à l'attentat.
Puisque ce qui compte vraiment, c'est ce qui pourrait se passer.
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