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Critique de horline


Hugo Hamilton possède un réel talent pour explorer le thème universel de l'exil, de la solitude des immigrés et des réactions de rejet qu'ils peuvent subir leur rappelant incessamment qu'ils ne sont pas d'ici…ceux que Tahar Ben Jelloun décrit comme « des invités qui ne veulent déranger personne ».

Vid Cosic fait partie de ceux-là : il a quitté la Serbie avec sa besace de menuisier pour l'Irlande, terre d'accueil des migrants après avoir été une terre d'exil pour Londres. Armé d'une solide volonté de reconstruire sa vie et de s'enraciner à Dublin, il prend très vite conscience de la difficulté à être un habitant ordinaire en accumulant des petits boulots jusqu'à sa rencontre fortuite avec Kevin Concannon, avocat fantasque. de cette rencontre nait une amitié aussi soudaine que fraternelle, animée par le désir commun de garder enfouis leurs souvenirs d'un passé douloureux, un père parti pour l'un et des parents tués dans un accident de voiture pour l'autre.
Profondément altruiste et crédule, Vid voit son rêve d'appartenir à la communauté prendre des airs de réalité lorsque Kevin lui présente sa famille et lui confie les travaux de rénovation de la maison familiale. Grande demeure dans laquelle Vid va très vite découvrir l'intimité et les secrets des Concannon. Il tente alors d'y ancrer son histoire mais elle lui échappe très vite. Littéralement happé par les problèmes de cette famille qui ne lui attire que des ennuis, Vid réalise l'illusion de sa condition et de l'affection que semblaient lui porter chacun de ses membres. On ne lui pardonne rien car il ne fait pas partie des leurs.

L'auteur fait de Vid un fin observateur de la société irlandaise face à ce qui a été appelé le « miracle irlandais » : il dépeint la réalité de cette terre où « la brume flotte au-dessus de la mer et remonte dans les rues » avec des effluves de sel portées par le vent, une terre qui peut susciter un sentiment d'hostilité pour celui qui est étranger aux moeurs du pays, aux subtilités de la langue et ne maîtrise pas suffisamment les usages pour éviter la franchise du candide. C'est un constat qui sonne comme une vérité universelle et se reflète à travers les malentendus et les maladresses. Cette incompréhension renvoie sans cesse Vid à ses insuffisances et le conduit à se retrancher derrière une espèce de "politesse de l'immigrant", un dévouement sans commune mesure à faire le bien en oubliant sa propre révolte. L'ostracisme est insidieux.
Ainsi au-delà de la fiction, c'est l'occasion pour Hugo Hamilton de dresser le portrait avec intelligence de ces gens venus d'ailleurs en quête d'un avenir meilleur ou voulant laisser derrière eux le passé. Pour Vid : le passé est nébuleux et douloureux qu'une balle a recouvert d'amnésie, il s'échine à renier cette mémoire dans un pays paradoxalement riche de légendes qu'il tente de connaître, un pays où les gens et les lieux ont une mémoire vivace. Cette mémoire qu'elle soit cadenassée ou nostalgique s'impose fortement dans le récit sans être étouffante.
Pour autant ce n'est pas un roman sombre, l'auteur use d'un style détaché qui rejette tout misérabilisme, il porte un regard lucide qui écarte les faux-fuyants et les subterfuges propres aux romans à l'intrigue un peu faiblarde. Il y a un réel sens de la narration et un foisonnement romanesque très bien maîtrisé dans "Je ne suis pas d'ici" au point que la lucidité de l'auteur refuse de compromettre l'espoir de Vid d'apprendre les banalités du quotidien des gens d'ici. Même si le désarroi guette celui qui court tête baissée après son rêve de vie meilleure et tisse les noeuds de l'intrigue, Vid n'abandonne jamais.
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