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Critique de colka


Entrer dans le monde du Loup des steppes, c'est un peu comme regarder la réalité à travers un kaléidoscope. C'est se perdre avec Hermann Hesse ou plutôt son alter ego Harry Haller, dans un monde protéiforme, où la réalité à la fois échappe, tout en étant un constant rappel des vécus antérieurs. Cette construction très mouvante est en même temps savamment orchestrée et les questionnements existentiels dont ce roman phare du XXème siècle se fait l'écho, sont repris et développés en boucle.
La première partie très introspective, les carnets de Harry Haller, et la deuxième, le traité du Loup des steppes, sorte de conte philosophique, sont construites en miroirs. le fameux loup des steppes, omniprésent dans ces deux premiers temps du roman et reflet de la dualité douloureuse vécue par l'auteur, accède d'ailleurs dans la deuxième partie à la dimension d'un véritable personnage de fiction, ce qui lui donne une épaisseur et une profondeur tragique beaucoup plus marquée que dans la partie introspective. La troisième partie, celle du théâtre magique, avec la scène de bacchanales du bal masqué, apothéose du roman, et les superbes passages hallucinatoires qui suivent, est vraiment pour moi la plus marquante à fois par l'écriture mais aussi par la force des évocations ou des convictions affirmées. Dualité du rebelle en même temps petit bourgeois, refus d'un moi unitaire et d'une binarité réductrice entre loup et homme, plaidoyer pour un moi multiple qui permet de toucher à toutes les dimensions de l'humain, tous ces thèmes sont repris en boucle et se développent au gré des déambulations de Harry Haller dans ce fameux théâtre magique. La quête spirituelle, le besoin éperdu d'une dimension qui transcende l'humain sont également très présents et souvent évoqués grâce au recours de ces "paradis artificiels" dont l'auteur ne fait pas mystère. Qu'il s'agisse du vin ou des hallucinogènes, cela donne lieu à des descriptions somptueuses où se mêlent précision des ressentis et poésie.
Mais ce roman dépasse aussi largement le cadre d'une quête initiatique intemporelle, il jette un regard décapant et sans concessions sur le monde de l'entre-deux guerres où la montée du nazisme et le bruit des bottes vont de pair en Allemagne. Et Hermann Hesse n'a de cesse de condamner, soit sur le mode réaliste, soit sur le mode fantasmagorique, le retour des idéaux qui exaltent un patriotisme nationaliste en même temps qu'ils glorifient le retour d'une guerre libératrice. Ce pacifisme affiché et militant va de pair, dans la dernière partie avec de très beaux passages oniriques, où la vision d'un monde détruit par les ravages d'un capitalisme industriel incontrôlé est lié de façon prophétique, pourrait-on dire aux problèmes écologiques actuels. Non moins acerbe est la critique de la bourgeoisie. Là encore Hermann Hesse s'en donne à coeur joie et démonte avec une ironie mordante tous les mécanismes de domination que met en place ce groupe social pour assurer sa pérennité. Intellectuels, artistes dont il reconnaît faire partie, sont à ces yeux les otages des bourgeois qu'ils exècrent ! Seule échappatoire possible : l'humour dont il chante le côté décapant et démystificateur.
Ce roman m'a marqué par son côté subversif, prophétique, par la lucidité sans concession de l'auteur à la fois sur lui-même et sur son époque. Mais je n'ai retrouvé ni le côté solaire ni l'écriture flamboyante qui m'avait tant plu dans Narcisse et Golmund. Bien sûr les passages d'une noirceur et d'une désespérance absolue correspondent à un vécu très douloureux dans la vie de Hermann Hesse à cette époque. Mais je dois avouer que le romantisme échevelé de certains passages ou le côte héros romantique à la fois maudit et au-dessus de la mêlée de Harry Haller, m'ont un peu tenue à distance. Ce qui explique que je n'ai pas attribué la note maximale à ce roman.
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