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Critique de Lamifranz


Nâzim Hikmet est reconnu, en France, comme un des poètes turcs les plus représentatifs et les plus authentiques. Mais son oeuvre elle-même, assez peu diffusée, n'est guère connue du grand public, du moins en dehors des cercles intellectuels communistes. Longtemps, le nom de Nâzim Hikmet fut associé, chez nous, aux paroles de quelques chansons : Mon frère et La plus belle des mers (Yves Montand, 1967), ou encore A vous mes beaux messieurs (Julos Beaucarne, 1974). Ces textes forts et riches, portés par des pointures de la chanson française, donnaient déjà une idée de la dimension humaniste et poétique de l'auteur. Mais c'était peu pour attirer l'attention sur notre auteur.
Ce manque de notoriété – aujourd'hui comblé – ne doit pas cacher l'évidence : Nâzim Hikmet est un des plus grands poètes turcs, et un des plus grands poètes du XXème siècle. Comme souvent, sa vie et son oeuvre sont indissociables. Confronté depuis sa jeunesse à la misère sociale de son pays, il acquit très tôt les principes libertaires du communisme – tout en en condamnant les excès -, et très tôt mesura les limites des mots liberté et démocratie. Cet engagement auprès du Parti peut le rapprocher d'autres poètes comme Garcia Lorca, Maïakovski, Neruda, ou, pour rester chez nous, Aragon, Eluard ou Breton, mais la comparaison s'arrête là. Nâzim Hikmet, avant tout, est un poète turc, oriental, héritier de la tradition arabo-persane et en même temps soucieux de modernité (il fut l'un des créateurs du vers libre dans la poésie turque). Autre parallèle avec Aragon, cette double passion pour sa patrie et pour sa bien-aimée, ces deux amours qui n'en font qu'un, et qui tendent vers un idéal commun de bonheur et de paix. Mais si Aragon s'avance masqué, Hikmet, lui est transparent. Il n y a aucune ambigüité dans son propos : libertaire oui, son expérience communiste l'y a entraîné, mais surtout humaniste : la misère, la souffrance physique, morale et intellectuelle, la privation de liberté, le sentiment d'appartenance à la grande humanité, font de lui un poète compatissant, consensuel, et d'audience universelle.
Car le poète ne se limite pas au simple constat d'un monde où règnent la misère et l'injustice, il pose des jalons pour l'avenir. Il se fait porteur d'un idéal d'amour, de paix, en combattant inlassablement les excès du totalitarisme (prison, tortures, exécutions), en condamnant la guerre sous toutes ses formes (notamment nucléaire), et en célébrant la nature. Voilà tout un pan de l'oeuvre de Hikmet qu'il convient de mettre en lumière : le poète se confond dans la nature qui est son milieu ambiant, l'endroit où l'on vient – au sens littéral du texte – se ressourcer.
Car nous noterons bien évidemment que dans toute l'oeuvre de Nâzim Hikmet, le maître mot est Homme. le mot Homme, en tant que sexe par opposition, par juxtaposition plutôt, au mot Femme – et l'on sait quelle place tient l'amour dans l'oeuvre du poète ! – mais surtout Homme en tant que représentant de l'Humanité. L'un de ses plus beaux poètes, s'intitule justement La grande humanité (voir Citations)
Le combat pour la dignité de l'homme est un autre leit-motiv du poète. Il va de pair avec la compassion, avec la révolte éventuellement, avec l'espoir surtout. Cet espoir qu'il dit, invoque, et redit sans cesse à sa bien-aimée, au point qu'il fait corps avec elle : la liberté physique du prisonnier signifie également le retour à l'être aimé - dans les deux sens - et en même temps il se superpose avec l'espérance d'un monde meilleur pour tous les opprimés, les malheureux, les délaissés de ce monde.

L'humanisme n'est pas autre chose : c'est la conscience que l'homme appartient à un groupe dont pour sa survie, il doit rester solidaire. On pense à Saint-Exupéry et Camus, bien entendu. Mais Nâzim Hikmet tient exactement le même discours :

Si nous sommes affamés, épuisés,
Si nous sommes écorchés jusqu'au sang,
Pressés comme la grappe pour donner notre vin,
Irai-je jusqu'à dire que c'est de ta faute, non,
Mais tu y es pour beaucoup, mon frère.

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