Citations sur Ivan allégresse et liberté (13)
Petit à petit, Mar avait fait parler sa grand-mère rieuse, elle l'avait amenée à chanter de vieux chants anarchistes en espagnol et en catalan, lui avait fait sortir ses archives... Elle lui avait donné la chance inouïe, disait Amada, de revenir à son état de petite fille.
- On reconnaît la liberté à la gaité qui l'accompagne. C'est comme une brise, un vent léger qui vient du coeur et caresse la joue de celle qui marche debout dans ce monde, et on reconnaît la gaité réelle à la liberté qu'elle entraîne et qui la précède, à la liberté qui la porte. Les deux sont imbriquées. Et les deux se vivent hors peur, hors domination, hors souvenirs et expectatives, les deux se vivent au présent. Lorsque l'une va sans l'autre, alors elle est tronquée, et alors c'est le début de l'oppression.
Voilà ce que disait sa grand-mère en gros plan au début du film, ce qui avait tant ravi Ivan, si sérieux lui, pourtant, Ivan aux yeux sombres et au sourire grave.
- Tu habites ici ? Elle a demandé.
- Non. Mais je viens souvent.
- Comment tu t’appelles ?
- Ivan.
Mar a souri. Il ne correspondait en rien aux adjectifs habituellement associés à ce prénom.
- Et toi ? Il a demandé.
- Mar.
Mar a eu une pensée reconnaissante pour le fâcheux voisin qui l’avait poussée à sortir de chez elle. La Barceloneta était un de ses endroits favoris. Un des derniers quartiers populaires du centre. Elle avait pensé y tourner un documentaire, à l'époque de la pré-crise. Avant que la méga bulle immobilière n’éclate et provoque un raz-de-marée. Au temps de l'ultra-spéculation, des immeubles qui voyaient leurs prix doubler en un jour, des gens jetés dehors pour le grand nettoyage, de la gentrification et autres carambolages orchestrés…
– Amada a grandi dans cette ville. C’est ici qu’elle a formé ses premiers mots, ici qu’elle a fait ses premiers pas… Elle disait qu’on lui avait enseigné à l’Ecole Nouvelle, la liberté et l’allégresse. Et qu’elle avait gardé ces deux états, qui n’en font qu’un, imprimés dans son corps, que, toute sa vie, c’est sur ces deux jambes qu’elle avait marché…
– La vie d’Amada a été une démonstration quotidienne qu’une autre façon de vivre est possible. Une façon plus amicale, plus gaie. Plus droite et solidaire. En fin de compte, une façon d’aimer.
Il avait pris peur la dernière fois qu’il était passé chez son oncle.
Effaré devant les informations télévisées que ce dernier regardait sur son nouvel écran, il avait vu des soldats, pratiquement grandeur nature, faire irruption dans sa salle à manger transformée en champ de tir par un son hypertrophié.
Il avait tenté de lui expliquer que, dans de telles conditions, n’importe quel humain non conditionné se jetterait sous la table, les mains sur les oreilles, puis ramperait vers la sortie de l’appartement, avant de détaler en courant aussi vite que ses jambes pourraient le porter.
En pure perte.
Manel, qui l’adorait, pensait qu’il était un être aussi angélique que marginal, n’ayant aucune notion de la vie réelle. Il lui avait dit :
– Toi, tu es intelligent, mon petit. C’est bien, très bien même. Toutes ces années d’études ! Tu réfléchis beaucoup. Mais pourquoi tu ne travailles pas ?
Yvan avait laissé tomber.
Il était aussi à l'aise dans la montagne que sur les façades des immeubles où il s'accrochait, avec ou sans banderoles, à des fins revendicatives.
Elle avait l'âme cinématographique et, en temps normal, aventurière.
Elle aimait porter un regard que rien n'arrête.
Oriol s’est penché vers elle et Mar a embrassé plus de barbe que de joue. Le regard doux, les cheveux longs et noirs, Oriol l’a saluée avec un accent chantant. Il était de Majorque.
Derrière eux s’est avancée une vielle dame pimpante et permanentée, qui semblait ravie de se trouver là. Mar l’avait déjà remarquée, de loin, elle chantait avec enthousiasme tous les slogans.
– Carme, je te présente Mar, a dit Ivan.
Carme l’a embrassée en souriant.
– Je suis ravie de faire votre connaissance, a dit Mar en lui rendant son sourire. Vous avez une bonne voix !
– Tu peux me dire tu. A répondu Carme. C’est ce qu’on a de mieux à faire, crois-moi, donner de la voix !