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Critique de Patlancien


Lorsqu'on a lu un livre qui vous a ébranlé comme celui de la Horde, vous vous dites une fois redescendu de votre petit nuage mais qu'est-ce que je vais pouvoir lire maintenant ? Qu'est-ce qui peut encore m'impressionner…C'est sans compter sur mes ami-es Babelionautes qui arrivent toujours à vous sortir de derrière les fagots une petite bombe à retardement, un de ces romans qui vous claque à la figure comme son titre d'ailleurs.

Si Solak est le premier roman de Caroline Hinault, sa lecture ne ressemble en rien à un essai ni à un premier jet. C'est déjà l'oeuvre d'une écrivaine chevronnée. L'action se situe sur un bout de glace au-delà du cercle polaire, avec quelques baraques et un drapeau planté au milieu. On y retrouve quatre hommes condamnés à y vivre plusieurs mois sous la nuit arctique et sans contact possible avant le retour du printemps (si on peut appeler çà un printemps). Il y a d'abord Grizzly le scientifique, qui effectue des observations climatologiques ; puis Roq et Piotr deux militaires au passé trouble en charge de la surveillance du territoire et de son drapeau ; et enfin un jeune soldat énigmatique, hélitreuillé juste avant l'hiver arctique en remplacement d'un autre militaire Igor, mort brutalement.

« Enfin la queue du câble caresse les poils de la toundra et le gamin pose deux guiboles flageolantes par terre, tête baissée sous la capuche fouettée par l'air. Avec le vent et le souffle de l'hélico, ça lui prend plusieurs minutes de se détacher du harnais, sans parler du froid qui engourdit les doigts. Il nous fait signe, se met à l'écart. On se précipite dans l'enfer de bourrasques, nos capuches sur la fente du regard, on saisit les câbles, les pinces, on réattelle tout le merdier, le container tout juste accouché de son précieux chargement dans lequel on a calé comme on a pu le cercueil d'Igor. On recule loin pour observer le troc de mort-vivant. On fait signe là-haut que c'est bon. »

Solak est aussi un roman écrit à la première personne du singulier pour une immersion qui vous permet de plonger plus rapidement dans l'histoire. Un roman où l'on partage les sentiments du personnage principal. Où l'on découvre les beautés du paysage par ses yeux. Où l'on vit ses sentiments les plus profonds dans ses situations les plus intimes. Ou l'on devient personnage à la place du personnage. Où l'on va directement à l'essentiel, sans fioritures, un roman à l'os. Où l'on a mal quand il a mal. Avec l'emploi du « Je » l'écriture devient rapide, les scènes s'enchaînent les unes après les autres dans un huis-clos limité aux champs visuel du narrateur.

« Il nous a tendu à chacun une main gantée nerveuse, sans rien dire. Nous on a quand même dit nos noms et puis que ce serait mieux de rentrer les caisses qui traînaient encore dehors, on allait avoir tout le temps qu'il faudrait pour faire connaissance. le gamin a pas répondu, son visage avait quelque chose d'abîmé, de déjà vieux, de déjà mort même j'ai pensé. Il est passé devant nous en portant un carton. J'ai repensé à ses yeux comme deux brochettes de glaçons. Fin comme une aiguille, mais ça puait l'écorché. le coriace. Les emmerdes je me suis dit. »

Ce roman est un juste équilibre entre l'immensité de la banquise et l'étroitesse du huis clos, les connaissances de l'unique scientifique et l'ignorance des militaires, la froideur du climat arctique et la chaleur du foyer de la baraque Centrale. On y retrouve aussi une subtile harmonie entre la poésie accentuée par la blancheur virginale de la banquise et l'horreur des scènes de chasse et la boucherie sanguinolente qui les accompagne. Il en va de même dans les relations entre ces individus que tout séparent et qui doivent pourtant vivre ensemble dans quelques mètres carré. Rien n'est blanc et rien n'est noir, la gentillesse des uns fait face à la violence des autres. Comme le dit Piotr, notre personnage central : « toute chose a son revers… »

« le problème c'est que les gens comme Grizzly savent pas lutter avec les vraies brutes qui ont jamais touché une goutte de nuance de leur vie alors que Grizzly a appris à nager dedans depuis sa tendre enfance, à croire qu'il en avait toute une piscine à la maison. Grizzly sait peut-être beaucoup de choses mais pas que pour gagner, il faut pas craindre la violence mais l'aimer. Il continuait à parler, sans deviner la jouissance de Roq dont j'entendais pourtant déjà déferler la rivière souterraine. Grizzly déballait ses réflexions de viking de la pensée, de valeureux combattant à valeurs et principes sans comprendre que les idées de Roq étaient des tiques hargneuses qui lâchent jamais le bout de haine qu'elles ont accroché. Celles de Grizzly volaient nobles et gracieuses comme des putains de hérons à la splendeur inhibante pour nous autres, petits morbaques de l'intellect. Moi ça va, ça fait longtemps que je suis en paix avec ma tronche d'ignare, mais Roq c'est différent, ses tiques ont faim, jamais rassasiées, et elles allaient pas supporter qu'un enfoiré de héron climatologue leur fasse de l'ombre. Qui a dit que c'était forcément la grosse bête qui mangeait la petite ? Ça l'excitait au contraire Roq, le réveil de l'élégant. Il jappait à l'idée de se farcir un de ces intellos qu'il vomissait. »

Et puis, il y a la fin qu'on n'attend pas et qui vient clôturer magistralement un roman que Caroline Hinault a su dominer depuis le début. Elle réussit dans son Solak à nous servir un épilogue digne d'un John Steinbeck. Si elle voulait garder le meilleur pour la fin c'est chose faite. Une vraie fin comme on les aime. Qui vous marque profondément dans la couenne comme un fer à chaud. Un roman poids lourd qu'il faut lire pour avoir une expérience inoubliable qui marque une vie de lecteur. On vous attend désormais au tournant Madame…

Merci à mes amies Onee et Yaena pour ce cadeau.

« Ça a duré un temps suspendu, agrafé au plafond pour pas que les minutes s'achèvent. »
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