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EAN : 9782253941392
160 pages
Le Livre de Poche (01/03/2023)
3.8/5   379 notes
Résumé :
Sur la presqu’île de Solak, au nord du cercle polaire arctique, trois hommes cohabitent tant bien que mal. Grizzly est un scientifique idéaliste qui effectue des observations climatologiques ; Roq et Piotr sont deux militaires au passé trouble, en charge de la surveillance du territoire et de son drapeau. Une tension s’installe lorsqu’arrive la recrue, un jeune soldat énigmatique, hélitreuillé juste avant l’hiver arctique et sa grande nuit. Sa présence muette, menaç... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (116) Voir plus Ajouter une critique
3,8

sur 379 notes
Un roman glaçant dans tous les sens du terme. Solak ; presqu'il située au milieu du cercle polaire, où se trouve implanté une zone militaire. 4 hommes vivent , survivent au quotidien. Suite au décès d'un des leurs, un nouveau vient d'être hélitreuillé. Un personnage, discret, mystérieux, taiseux, qui avoue être muet. Nous sommes à la vielle du fameux hiver arctique, où la nuit va s'installer pour un moment. Les descriptions sont époustouflantes . Ce huit clos, d'une noirceur extrême, cette tension qui s'installent entre les protagonistes, font peur, une sorte de folie se fait ressentir. L'écriture est tout en longueur, certains pourraient se lasser rapidement de la lecture, mais c'est existentielle dans cet univers. Nous sentons les tensions qui se multiplient, un mal être, une violence, une cohabitation qui par en vrille. L'auteure nous livre un premier roman remarquable. Un suspens qui nous suivra tout au long de la lecture, avec une fin totalement inattendue.
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Un diamant brut que ce roman ! Que dis-je, une rivière de diamants blancs et noirs : L'atmosphère y est aussi sombre que sa banquise est blanche immaculée, ses personnages aussi pervertis qu'elle est vierge… et les éclats de pensées du narrateur coulent en phrases éblouissantes, comme le jour et la nuit de cette banquise qui est tout l'un ou tout l'autre.


« Parfois je rêve que la neige et la glace, la banquise toute entière, par fidélité à mon âme nécrosée, sont noires. Une étendue d'obscurité laquée qui s'étendrait à l'infini comme un voile de deuil givré. »


Comment oser écrire avec mes mots après avoir admiré, pendant 120 pages, la beauté, la précision, la poésie même, certes toute virile et militaire, mais non moins touchante bien au contraire, de ce récit via son narrateur Piotr ? Peut-être simplement en donnant un serti aux mots de l'auteure, laissant s'exprimer toute leur lumière, et leur matière.


« Saleté d'espoir. L'avantage de l'âge, c'est qu'on le fait taire très vite et moi je suis trop vieux pour tout, y compris cette saloperie de froid qui me craquelle la bouche, me couperose tellement la gueule que j'ai l'air d'un lutin de papier mâché roulé dans le sucre glace. »


Piotr est un militaire au passé obscur, probablement dans les deux sens du terme, habitant depuis 20 longues années sur cette banquise du bout du monde où sa fonction est de veiller… sur le drapeau national, planté là, en plein milieu d'un nulle part hostile au possible pour le commun des mortels.


« Tout ça pour un drapeau quand on y pense, et que d'autres troufions puissent pas claironner au monde que leurs bottes sont prioritaires, ce morceau-là, il est à nous, rien qu'à nous. »
« Quand on m'a parlé de cette mission tellement conne qu'elle en devenait sublime, garder un drapeau sur un glaçon, revendiquer la propriété du blanc et du vide, faut le faire quand même, c'était comme un cadeau de Dieu ou du diable qui sont l'envers et l'endroit d'une même médaille aussi ces deux-là, en tous cas ça tombait bien puisque ce que je voulais, c'était m'anesthésier, et la banquise pour ça, c'est l'idéal. »


Il accomplit sa mission avec un scientifique et deux autres militaires sous ses ordres. Mais vu que l'un de ces derniers a clamsé les mois précédents, paix à son âme, les « terriens » viennent chercher son corps bien conservé, hélitreuiller du sang neuf à la place, et larguer l'unique ravito de l'année : conserves, journaux (putain ces cons d'intendants ont encore oublié les pornos, on aimerait bien les y voir eux, privés des bordels de l'armée), sans oublier la Vodka, la seule à pouvoir endormir l'ennui, la douleur, la solitude, l'agressivité et les pulsions.


« On est tous arrivés ici pour la même raison, l'espoir d'amnésie à moins que ce ne soit d'amnistie, c'est le problème des grands mots, à deux lettres près comment savoir ? En tous cas l'espérance vénéneuse qu'à force de bouffer de la banquise, y aurait un peu d'innocence ou un truc originel bien limpide qui viendrait nous laver d'être des hommes. le faux espoir que si le temps peut servir à une chose dans nos vies de cafards, ça devrait au moins être à ça, à y rouler les choses trop laides pour être racontées et en faire un grand cigare amer qu'on fume seul, le soir, avant d'en faire retomber les cendres froides sur nos âmes jaunies. »


Or, ces maux sont difficiles à maîtriser dans un endroit où les jours sont sans nuit puis les nuits sans jour ; où les jours sans nuit vous empêchent de dormir aussi sûrement que les nuits sans jour vous font littéralement broyer du noir H24. Un huis clos en pleine nature dont aucun d'entre eux ne peut s'échapper, tout comme leurs pensées désespérantes et leurs pulsions violentes sont enfermées dans leurs têtes… Jusqu'à ce que plus personne ne puisse plus les retenir.


« La montée de la violence comme une drogue qui irriguait le corps entier jusqu'aux poings, le délicieux baiser du pouvoir, du sentiment de supériorité qui vous enfonce sa langue jusque dans la trachée et en demande toujours plus, plus loin, comme c'est bon, comme ça remplit, comme c'est jouissif, d'être celui qui domine, et puis après, la décrue, tout aussi violente, le vide sidéral, la honte. »


Mais où les drames commencent-il ? Y-a-til seulement un début et une fin, ou ne sont-ils que l'enchevêtrement de petites causes et de grandes conséquences ? L'un des éléments déclencheurs en l'occurrence est l'arrivé du nouveau militaire. On le surnomme le gosse tellement il paraît ne pas faire le poids. Pourquoi est-il là : Volontaire ou envoyé de force ? C'est que s'il ne faut surtout pas raviver le pire chez les personnes avec qui tu es isolé, il faut quand même pouvoir apprendre à se faire confiance dans ce territoire hostile, à compter les uns sur les autres pour faire face aux ours blancs, aux blessures sans hôpital etc… Mais le gosse est taiseux avec ça, à pas pouvoir compter sur lui pour animer les soirées ni répondre aux provocations. Pourtant il attend que ça Roq, le troisième et dernier militaire. le plus agressif sûrement. le plus atteint par la solitude, le manque - et la vodka.


« Pour gagner, il ne faut pas vaincre la violence mais l'aimer. » « La défaite des tendres tient tout entière dans la croyance qu'ils ont qu'on peut battre un chien enragé dans un duel au fleuret, l'espoir que la raison et la finesse pourront embrocher la violence avec de la dentelle de mots. »


Le tour de force de l'auteure, c'est d'arriver à rendre crédible sa narration au langage parlé et familier d'un vieux soldat bourru, soi-disant récalcitrant aux lettres, tout en nous faisant admirer chaque phrase : putain que c'est beau, bordel que c'est bien dit, comme dirait le narrateur. Des images fortes, des métaphores sensuelles jusque dans la violence : Cette plume trifouille au fin fond des âmes humaines, pas toujours jolies mais questionnant notre humanité. le choix charnel des mots et le ton du récit m'ont complètement séduite, et parvient à nous rendre attachant ce personnage qui ne le voudrait peut-être pas, du moins pas consciemment. Il parvient même à nous faire comprendre l'attitude des collègues moins fréquentables, tant il en parle avec la bienveillance et l'empathie de celui qui sait parfaitement ce que chacun vit et ressent. On se prend alors à penser que, pour parler avec autant de naturel poétique, brut certes, c'est qu'une belle sensibilité survit coriace sous la carapace.


« Dans un endroit comme Solak où on est quatre bonshommes obligés de frayer ensemble sur un bout de presqu'île glacée, y a un contrat tacite pendant la grande Nuit. On frôle les autres, mais on cherche pas à entrer vraiment en contact avec eux. Faut surtout pas péter la fragile bulle que chacun a soufflé autour de lui et dans laquelle il s'est enroulé pour supporter l'égouttement des jours sans lumière et du froid indescriptible qui ont piqué la vie au sol. »


Enfin, je gardais le meilleur pour la fin : On perçoit dès le départ la tension palpable qui monte entre les personnages, ainsi que la catastrophe vers laquelle chaque mot du narrateur nous amène. Ce que l'on ne sait pas encore, c'est ce qui va vraiment se produire, comment, ni même le pourquoi… Jusqu'à la fin ! Fin que je n'avais pas vu venir, tellement accaparée par les personnages, la beauté de la langue et cet univers en blanc et noir, dans lequel j'ai été totalement aspirée.


« Rien ne le retenait, on aurait dit qu'il voulait dissoudre la glace, croquer le blanc qui venait pourtant tout juste de prendre comme de bons gros oeufs en neige qui menaçaient encore par endroits de s'affaisser, parce que c'est une bête assoupie la banquise, jamais vraiment endormie, on sait pas si elle va pas cambrer le dos, s'étirer d'un coup et vous gober couillons sous la coque de sa surface. Faut pas penser à ça quand on lui chatouille l'échine, à l'idée qu'on avance sur une pellicule de quelques dizaines de centimètres d'épaisseur sous laquelle est ventousée l'énorme bouche de l'océan avec ses grosses lèvres rondes qui attendent que ça, de vous super, un peu comme celles des poissons nettoyeurs sur la vitre des aquariums. »


Beau, profond. Magistral. 120 pages qui pèseront bien plus lourd dans votre vie de lecteur. A LIRE absolument, vous m'en direz des nouvelles !
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Un huis clos étouffant dans le cercle polaire arctique où les motivations de chacun des protagonistes restent confuses, Caroline Hinault ne parvenant pas toujours à leur donner la dimension qui en ferait de véritables héros.

Pourtant, tout les ingrédients sont là dans le silence où seuls les craquements de la banquise animent l'atmosphère, l'histoire, noire au possible, est bien installée, mais son dénouement est bâclé, quel dommage!

Aucun des personnages n'émerge vraiment, il y a le mort, Igor, les vivants ou morts-vivants pour certains d'entre eux, et cette posture est sans doute la mieux rendue par la prose alerte de Caroline Hinault.

La vie quotidienne dans ce désert blanc, sans autre attente que celle de la longue nuit, puis du retour hypothétique du printemps, avec toutes les opportunités pour un drame, est bien relatée. Mais, cette narration manque un peu de la substance qui aurait pu en faire un grand roman, il s'en est fallu de peu.

Les descriptions de la nature, des animaux, des aurores boréales sont très belles, elles n'adoucissent cependant pas le climat très noir de l'oeuvre et ce n'est certainement pas leur but.

Donc, un roman qui déroute, embarque, puis débarque, selon la sensibilité des lecteurs.
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Sur la presqu'île de Solak, au nord du cercle polaire arctique, trois hommes affrontent les rafales de vent glacial provoquées par l'hélico. Une fois la nouvelle recrue et le ravitaillement déposés, il repart avec le cercueil d'Igor. Piotr remarque aussitôt combien le gamin, au regard d'iceberg, semble tout frêle, malgré l'épaisseur de ses vêtements. Aucun mot échangé lors des présentations et, pour cause, le gamin est muet. Une situation qui étonnent Piotr, militaire installé depuis 20 ans à Solak, chargé de surveiller le territoire et la tenue du camp, Grizzly, un scientifique venu ici pour mesurer la glace et dont le départ est prévu après la grande Nuit et Roq, un militaire un peu rustre mais bon chasseur. Que sont donc venus faire ces hommes à l'autre bout du monde, isolés et soumis à un climat rugueux ? S'il faut savoir composer avec le froid, les ours ou encore la grande Nuit qui approche, c'est surtout la promiscuité et le passé de chacun qui, immanquablement, vont installer, dès les premiers jours, ce climat de tension...

Solak, une terre hostile, loin des terriens, soumise à de rudes conditions climatiques et où les mots nuit et jour n'ont parfois plus de sens... C'est ici que vivent trois hommes, Grizzly, Piotr et Roq, bientôt rejoints par une nouvelle recrue. Immersif, pénétrant, l'on est saisi, dès les premières pages, par ce huis clos glacial planté au coeur de ces immensités blanches. Saisi par ce froid mordant, par ces hommes au caractère rustre, au passé trouble et dont on ignore les raisons de leur présence à Solak, par cette ambiance tendue et nerveuse, par cette promesse d'une nuit qui ne finira jamais et par cette plume rude, à vif, tranchante comme la glace et poétique à la fois. Caroline Hinault dépeint, de son oeil implacable, la cohabitation de ces quatre hommes si différents, prisonniers à la fois de Solak, de leur promiscuité et de leur passé, et cette nature, tout à la fois grandiose et hostile. Une lecture en apnée dont on ressort haletant, abasourdi, presque abattu, admiratif surtout...
Un roman surprenant et profondément noir, telle cette grande Nuit qui aura scellé le destin de ces hommes...
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Un drapeau et une poignée de baraquements dans l'étendue arctique : c'est là, sur la base militaire de Solak, que cohabitent péniblement le climatologue Grizzly et deux engagés au passé trouble, Roq et Piotr. L'arrivée d'un jeune soldat stressé, difficile à cerner et muet, juste avant que ne commence la grande nuit de l'hiver arctique, vient bousculer le précaire équilibre du petit groupe. La tension devient si explosive que le drame semble inéluctable.


La couverture plante le décor, les premiers mots nous y jettent. Nous voilà brutalement livrés aux conditions extrêmes d'un territoire sauvage et glacé, bientôt prisonniers de la nuit âpre et sans fin de l'hiver polaire où tout est danger, au physique comme au moral. Car, tandis que blizzards, crevasses et ours risquent à tout instant de ne faire des hommes qu'une bouchée, l'ennui et la promiscuité du confinement ont de quoi ébranler les nerfs les plus solides. Alors, quand s'éloigne le dernier hélicoptère ravitailleur avant l'embâcle et la nuit polaire, c'est comme un couvercle d'angoisse et de tension qui s'abat sur le lecteur et les exilés de Solak.


Livrés à eux-mêmes loin de toute civilisation, les hommes ne tardent pas à se révéler dans leur vérité la plus nue. Si Grizzly est un idéaliste totalement investi de sa mission écologiste, les autres ont tous échoué ici pour de sombres raisons. Roq n'est que rapport de force et brutalité, la jeune recrue méfiance et tension nerveuse, pendant que Piotr, le plus âgé et le plus expérimenté puisqu'il survit à Solak depuis vingt ans, cache sous sa rugosité désabusée, la blessure et la culpabilité d'un passé dont il semble chercher malgré lui une forme de rédemption. C'est sa voix, brutale et crue, qui nous raconte sans ménagements et avec la force de sa colère, cette implacable histoire dont l'ultime, et pourtant attendue, déflagration prendra tout le monde au dépourvu.


Les mots de Piotr, sortis sans apprêt des tripes de cet homme, ont la puissance de carreaux d'arbalète. Directs, à l'os, ils s'enchaînent sans respiration dans une montée d'angoisse dont on sait d'avance qu'elle mène à une tragédie plusieurs fois annoncée. Mais, surtout, ils sont illuminés d'une beauté singulièrement poétique malgré leur expression brute et parfois triviale, si sincère et si spontanée. Innombrables sont les phrases que l'on s'attarde à relire dans une délectation stupéfaite et éblouie, avec la certitude de découvrir, dans ce premier roman, une plume d'exception dont on attendra avec impatience les prochaines productions.


Cette petite merveille de livre rejoint sans coup férir la très sélective liste de mes coups de foudre.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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critiques presse (5)
Telerama
24 juillet 2023
Un premier roman saisissant.
Lire la critique sur le site : Telerama
Son premier roman, Solak, est un huis clos d’une grande intensité se déroulant dans l’Arctique. Il vient d’être récompensé du prestigieux prix littéraire Québec-France Marie-Claire Blais 2023 et l’écrivaine a fait une courte tournée au Québec au cours des dernières semaines.
Lire la critique sur le site : LeJournaldeQuebec
Telerama
13 mars 2023
Solak est le premier roman, formidablement réussi, d’une agrégée de lettres modernes, Caroline Hinault, qui enseigne la littérature à Rennes. Un titre un peu mystérieux, qui claque comme un coup de fouet et désigne le lieu imaginaire où prend place le récit.
Lire la critique sur le site : Telerama
Telerama
25 mai 2021
L’autrice de “Solak” interroge la masculinité dans une langue âpre, rugueuse et terriblement organique. Un premier roman saisissant.
Lire la critique sur le site : Telerama
LaCroix
14 mai 2021
La Rennaise Caroline Hinault, enseignante au lycée de Bain-de-Bretagne, signe un premier roman réussi, une tragédie dans un huis clos gelé, qui questionne notre humanité et l’état du monde.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Citations et extraits (131) Voir plus Ajouter une citation
Faut avouer, le ravitaillement c'est un événement qui tend son cou de dindon a la surface des jours, ça fait toujours son petit effet dans nos caboches tièdes. Les caisses contiennent pourtant jamais rien d'incroyable, aucune révélation, si bien que je frétille pas non plus de la queue, mais ça donne une chance à cette crevure d'illusion qu'on croit toujours avoir bien écrabouillée au fond de soi et qui palpite encore parfois comme quoi, saleté d'espoir. L'avantage de l'âge c'est qu'on le fait taire très vite et moi je suis trop vieux pour tout, y compris cette saloperie de froid qui me craquelle la bouche et me couperose tellement la gueule que j'ai l'air d'un lutin de papier mâché roulé dans le sucre glace.
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La lame s’enfonce dans la chair de l’abdomen comme un sexe d’homme dans un sexe de femme, c’est doux, ça glisse beurré dans les plis de l’autre, une caresse lente qui perce l’envers jusqu’à l’abîme offert où la colère tombe et implose.
La lame creuse en vrille lisse. Sa mèche fore un trou rouge d’où la révolte de tout temps, du premier jour, celle jamais éteinte avec son noyau noir qui lui roulait au ventre depuis l’obscurité originelle, souffletait dans tout son corps, fulminait et tapait de son pied de taureau aux narines dilatées ; la révolte qui gangrenait tout, empêchait tout, ne pouvait se dire, exulter, jouir pour mourir ; la révolte qui l’inondait quotidiennement d’une sève opaque et gluante et sur laquelle un couvercle de plomb appuyait comme sur un œuf de vautour qu’on empêcherait d’éclore ; la révolte qui grondait depuis des zones lointaines, profondes et incarnées ; la révolte au reflet d’œil sombre, qui était sienne et pas seulement, qui avait tout infecté, corrompu et dont la seule issue était la mort imminente ou le crime, qui avait choisi le crime, avait cessé de prendre sur soi pour prendre dans l’autre, lui fendre l’abdomen et y tracer une voie par laquelle la colère allait enfin pouvoir perler, puruler, jaillir en un intarissable geyser de sang et de soulagement ; la révolte qui dévorait de ses dents creuses jusqu’au regard sur le monde, le rendait inhabitable, hostile et inconnu ; la révolte giclait à l’air libre désormais, ensanglantait ses doigts, se répandait en fleuve sur les phalanges crispées qui tenaient rouge la garde, profond dans le gargouillis des entrailles à la résistance molle et au poids d’une lourdeur soudain incommensurable.
Mais déjà le flot brun commençait à tarir, le corps à s’affaisser, hagard et bête devant sa propre mort. Le soulagement n’est jamais qu’un éclair.
On ne sait jamais ce qui suit.

(Prologue)
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Si on a la chance de pas crever de froid ou dans une crevasse, l’autre danger blanc, plus rare, mais qu’il faut pas oublier quand même, c’est le Pater. L’ours blanc. Mâle ou femelle, c’est pareil. Sur Solak, on sort jamais sans son fusil, jamais. Attention, ça veut pas dire qu’il faut forcément lui tirer dessus. Si tu le croises, t’attends de voir comment ça se passe. Parfois ils cherchent juste leur chemin, ils te regardent avec leur tête de faux nounours mais de vrais carnivores et puis ils font demi-tour, ils te snobent de leur gros cul dédaigneux. Mais si tu sens le Pater grognon, alors là, faut pas réfléchir parce qu’entre lui et toi, c’est tout vu. Il faut que tu comprennes que le bestiau peut peser jusqu’à près d’une tonne et que sous la fourrure épaisse où t’aurais gentiment envie d’enfoncer la main comme dans un bain chaud, se cache un tueur qui t’arracherait le bras avant que t’aies pu armer ton fusil. Le gamin a acquiescé de la tête l’air de dire j’ai compris. J’ai pas parlé du danger gris, il devinerait bien assez vite de toute façon. À un moment ou à un autre, ça le saisirait et le secouerait violent comme un poireau terreux. L’isolement, la solitude, l’angoisse, ça l’asphyxierait. C’est pas rien, l’instant où on comprend ça. Que rien ni personne viendra nous sauver. Qu’on est seul ici. Rien qu’une carcasse chaude sur un continent froid.
Du vivant, mais pas pour longtemps.
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On sortait suréquipés dans la cour, pour supporter le froid terrible. Grizzly clopinait sous ses couches d’emmitouflage technique et le gosse avançait lent, sans que j’arrive à deviner s’il était épuisé du moral ou empêché physiquement par la lourdeur et les épaisseurs de textiles qui enrubannaient son corps comme une petite momie noire. Roq venait pas, il en avait rien à foutre du ciel et de ses trompe-l’œil à la con. Y avait pourtant parfois des aurores boréales tellement immenses qu’on aurait dit des ogresses vertes qui traînaient derrière elles leur dentelle d’étoiles, ça nous saupoudrait les yeux et nous coulait un goût de lumière au fond de la gorge. Depuis le temps, je connaissais ça par cœur, les grandes vagues vertes et violettes piquées de blanc, les ondulations qui vous ensorcellent le regard avec leur roulis magnétique, même si c’est comme tout, cette beauté-là, il faut se méfier de son envers. Grizzly et le gosse tendaient le cou, attirés eux aussi par la créature mouvante qui leur échappait tellement que, sous leur cagoule, je les devinais entrouvrir la bouche comme des enfants de chœur, espérant peut-être recueillir sur la pointe de la langue un bout de confetti lumineux, une poussière d’hostie astrale qui les ramènerait dans le monde des vrais vivants.
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Y avait qu’à voir Igor. Pauvre Igor. La charpente pourtant taillée pour cette vie-là. Une mâchoire-équerre plantée à angle droit sous le bonnet, des biceps bien durs qu’on devinait bandés sous l’édredon de la parka, faut le faire deviner le nerveux d’un muscle sous les couches de laine et de duvet comme si le spectre de sa chair se baladait tranquille à la surface du manteau. À Solak, on finit par croire que la peau, les muscles, tout ce petit monde chaud et souterrain du corps, ça existe plus, c’est une légende de vivants, même les entrailles sont figées, l’estomac rose en stalagmite, les intestins congelés. Malgré ses biceps bien vivants ou à cause peut-être, Igor a commencé à gripper. Il a dû sentir qu’il se cryogénisait de l’intérieur et s’est mis à causer tout seul. On le fait tous. Mais Igor parlait seul avec nous, c’était ça le problème, c’est par le langage, toujours, que ça commence. Il avait trouvé refuge dans un coin de sa tête, le seul qui crachotait encore un peu de chaleur. Chaque jour qui passait, il se repliait un peu plus sur ce foyer minuscule qui brûlait dans sa boîte crânienne pour y réchauffer le ragoût de sa folie.
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