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Critique de LiliGalipette


1917 dans le Sussex : Edward et Anna Whig sont comblés depuis la naissance de Jack. Mais Anna aimerait reprendre ses travaux de traduction tout en offrant à son fils les meilleurs soins possible. « Je voulais que Jack jouisse de la vie avec insouciance, dans un nid de mensonges bienveillants que j'avais fabriqué pour lui. » (p. 10) À l'annonce postée dans le Times, c'est George qui répond. George comme l'auteure George Eliot. Mais ce n'est pas une jeune fille qui descend du train : c'est un jeune homme qui sera le garde d'enfant de Jack. Décidant de ne pas donner prise aux préjugés, Anna accueille avec curiosité ce garçon au coeur fragile qui sait si bien s'occuper de Jack. « J'ai remarqué comme il aime tenir la main de Jack tout comme Jack aime avoir sa main dans la grande paume du jeune homme. L'un lié à l'autre, aussi intimement qu'une éléphante à son petit, avec la même disproportion de taille entre les deux. Comme si l'enfant se hissait en se tenant à George. Comme si George puisait en Jack la joie même de l'enfance. » (p. 70) Quant à Edward, horloger minutieux et aux ambitions réduites, il est jaloux de cet inconnu qui lui vole l'affection de son fils et l'attention de sa femme, qui le place en intrus dans sa propre maison, qui fait de lui le bouffon d'un drame intime. « Edward rêve à son monde avant que George ‘y fasse irruption. Un jeune homme cardiaque entre chez vous, votre l'enfant l'apprécie et votre femme change, qu'en penser ? » (p. 136)

Les chapitres sont courts et présentent une réflexion ininterrompue qui relève de l'intime, sans jamais tomber dans l'écueil – éculé – du journal. le lecteur est pris dans une manifestation du stream of consciousness : ce que l'on lit, ce n'est pas le personnage narrateur qui s'exprime consciemment, c'est plutôt le flot coupablement débridé de ses pensées. La guerre en fond sonore ajoute à la tension qui se noue dans le théâtre domestique : l'incertitude qui entoure la survie du cousin John et l'horreur qui arrive par bribes de France jettent des ombres sinistres. « Comment avez-vous métamorphosé les Flandres en champs de boue, en territoire de sang ? » (p. 75)

L'auteure propose un remarquable portrait de femme : Anna, déchirée par l'accouchement, doit recomposer sa féminité en y ajoutant la maternité. « Je suis une lionne aimante en colère, ma nature demeurée secrète est d'une sauvagerie sanglante. J'ai tous les droits face à toi, Jack. » (p. 87) Face à George, Anna se redécouvre et change, jetant aux orties une pelisse qu'elle ne savait pas avoir endossée et qu'elle ne savait pas si inconfortable. Anna devient sublime et – comme la femme du bandeau qui entoure le roman et qui ressemble tant à une peinture de Dante Gabriel Rossetti – elle irradie de mystère.

Si vous êtes toujours à l'affût des plumes de demain, arrêtez-vous ici : Stéphanie Hochet est une plume d'aujourd'hui, moderne et originale, érudite et modeste. La lettre qu'Anna Whig écrit au ministre de la guerre contient toute la beauté et tout le talent de l'auteure. Lisez-la, relisez-la. En un sens, elle fait écho aux lettres de poilus que l'on connaît tous un peu. L'écriture de Stéphanie Hochet est fine, précise et très évocatrice. Il y a des images dans ce roman. Je n'ai pas pu m'empêcher de prêter à George les traits de David Bowie dans Merry Christmas Mr Lawrence (titre français : Furyo), pendant les années de pensionnat du personnage : ce jeune homme blond, longiligne et troublant s'est imposé à mon imagination, comme un mirage, comme une évidence.

De Stéphanie Hochet, lisez aussi son brillant Éloge du chat ou un autre de ses romans, Sang d'encre.
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