La piscine bibliothèque

- On dit toujours que les serveurs..., murmura James, avec dans la voix une excitation contenue. Et Arthur, il est bien... enfin elle est comment, au fait ?
- Absolument divine. Pas trop ton genre, sans doute - courte et épaisse, méchamment circoncise, pleine de tempérament et d'une résistance incroyable.
(p. 46)

Il est plus de deux heures du matin. J'entre sur la pointe des pieds, avec mille précautions, je le regarde dormir paisiblement. Tout ce que je suis tenté de faire, le moindre geste, le réveillerait -& ce serait impardonnable. Tout mon amour pour lui se traduit par un geste de renoncement à son chevet, une sorte de bénédiction, un large mouvement des bras qui me vient de je ne sais où & se dissout dans l'air.

"Cela faisait des mois que je n'étais pas entré là, et une fois de plus l,atmosphère du lieu me frappa: en poussant la porte, je la sentis peser sur ma vue, mon odorat et mon ouïe. L'odeur était de fumée et de sueur, une fragrance rance, mâle, recouverte par celle, astringente, d'un méchant déodorisant au citron, comme dans un taxi, et traversé de temps à autre par des effluves de trouble for men. le son était de la pop décontractée, vaguement aphrodisiaque qui, le film étant muet, passait en boucle, répétitive, pour rehausser l'ambiance et couvrir les bruits discrets qu'émettaient les spectateurs." p.108

"Quand j'étais au collège, les élèves responsables étaient appelés "bibliothévaires". Ce titre semblait impliquer que la responsabilité des livres était la base du commandement (...)

On les choisissait sur la base de leur aptitude pour telle ou telle tâche, et ils portaient officiellement le nom correspondant à celle-ci. Ainsi, il y avait le bibliothécaire de la résidence, le bibliothécaire du jardin, et même, de façon charmante, les bibliothécaires de la course à pied et du cricket." p.285

James dejeuna avec moi, je m'étais donné du mal et avais préparé des aubergines farcies et une petite salade originale, bien amère. Je ressentais vaguement cet élan de générosité presque maternelle qui émergeait parfois en moi dans les moments de stress. On pouvait tripoter de manière pathétique de la chicorée frisée et du cresson et éprouver presque le sentiment d'une création.

Me voilà sous les toits, dans le corridor ombreux, étouffant, devant la porte de Phil … le murmure de la circulation au loin, une latte de plancher qui craque sans altérer ce silence particulier que génère l'attente … vagues échos de soirs d'enfance, se lever pour prendre un livre et ne pas résister à la fenêtre ouverte, à la paix des ormes … ou à l'école, attendre Johnny, le menton appuyé sur les genoux au rebord d'une mansarde gothique, le cœur battant, et les hirondelles qui plongent dans la cour assombrie, en bas … les lourds panneaux de verre plombé de Corpus Christi que l'on pousse, et là le ciel qui se précipite, intensément bleu de toutes les nuances de bleu … l'étrange, secrète moiteur du crépuscule qui descend sur la piscine-bibliothèque, le léger brasillement d'une cigarette au cœur de la nuit du cœur de l'été … cet antique sentiment d'unicité divine juste avant les chuchotements, les frôlements des lèvres, l'amour … Tout cela, tout ce roman de moi-même, ressurgit soudain, m'enveloppa et m'étreignit en l'espace de quelques secondes, et je sentis ma bouche se dessécher.

- Pour autant que le sache, écrire un bouquin n'interdit pas d'avoir une vie sexuelle. Bien sûr, certains auteurs s'en sont passés : Jane Austen, par exemple, ne s'est jamais livrée à la fornication pendant qu'elle travaillait à un livre. Bunyan aussi, me semble-t-il, a rédigé l'intégralité du "Voyage du pèlerin" sans tremper une seule fois son biscuit. Mais tu n'as pas à t'appliquer de telles contraintes. Je veux dire, tu finis ton chapitre et, une demi-heure plus tard, tu peux être dans un backroom à baiser la terre entière.

Il y avait quelque chose de mélancolique, mais d’enchanteur, à imaginer les centaines de milliers de coupes identiques, standard, que Mr Bandini avait effectuées au fil des décennies.

J'empruntai les rues, les places si intensément familières, dans la première fraîcheur, douce et tout aussi intime, du soir couchant. Puis ce furent de nouveau les hauts platanes et l'éclaboussement des fontaines – tandis qu'en moi l'angoisse, l'impatience tourmentée du matin, cédait la place à une humeur plus placide, presque mélancolique. Plus que jamais enclin à l'esthétisme, je m'envisageais soudain comme un personnage romantique.

Sa mélancolie, si intense qu'elle en semblait presque malsaine, et la sensualité vulgaire du rapport de couleurs étaient profondément intolérables pour l'enfant que j'étais, et je ne supportais pas de rester seul dans la salle à manger où le portrait était accroché. La plaisanterie courait dans la famille que « snobais Sybil », devant toujours prendre mes repas dos à elle, et pour ma part je ne détestais pas être la victime d'une émotion esthétique aussi étrange.