Citations sur Loving Frank (42)
Elle l'avait souvent entendu dire que la réalité d'un bâtiment réside dans sa dimension intérieure. Votre façon de vivre et votre devenir. Ici, à Taliesin, il n'avait pas envie d'encombrer l'espace d'objets qui n'élèveraient pas leurs âmes. Mamah non plus.
Sur le quai, au milieu de la cohue de gens et de bagages, elle serrait une petite valise sous son bras. A l'intérieur se trouvaient ses traductions manuscrites de "la morale au féminin" , de" la femme de demain", et de "la femme conventionnelle". Elle ressentait un farouche instinct de protection, très proche, imaginait-elle de ce que devait éprouver Frank quand il transportait son carton à dessins: comme un coursier chargé de transmettre un projet politique qui va changer le monde.
Car d'aussi loin qu'il lui en souvint, Mamah avait toujours ressenti un manque sans pourtant arriver à le préciser. Elle avait meublé ce vide avec toute sortes de choses - livres, réunions de l'association, militantisme pour le droit de vote, cours - mais rien ne l'avait comblée.
Frank s'était mis à arpenter la terrasse. "Nous devons enseigner à nos étudiants que l'architecture ne se résume pas à la colonne grecque. Où est passée l'inspiration individualiste ? (...)
Je pourrais changer tout cela. Vraiment. Confiez-moi une poignée de jeunes esprits encore vierges et nous transformerons le visage de l'Amérique. Il ne serait question ni de cours ni de tableaux noirs. Ils auraient besoin d'un seul manuel, -Les Entretiens sur l'architecture- de Viollet-le-Duc qu'ils pourraient lire tout seuls. Comme je l'ai fait. Pour le reste, ma table à dessin leur tiendrait lieu de classe. Je leur apprendrais à innover. Ils n'auraient qu'à me regarder ! Quand ils sauront résoudre les problèmes par eux-mêmes, ils seront dignes du titre d'architecte. Ils pourront alors partir et changer la face du monde." (p. 257)
(...) "Mais vous avez raison, il y a des artistes à Chicago qui croient eux aussi que l'art va sauver le monde. En Amérique, ce sont les architectes qui constituent l'avant-garde moderniste. ils se sont donné le nom d'école de Chicago. Ils bâtissent des immeubles à vous couper le souffle. Frank Lloyd Wright est le plus brillant de tous." (p. 288)
[a propos de Taliesin, la maison que F.L. Wright s'est construite, dans le Wisconsin ]
Taliesen tenait à la fois du camp de bûcheron et de la galerie d'art. (p. 459)
[A propos de volatiles, les Grues ]
Voilà ce que je veux dire: elles se fichent sans doute complètement de nous. Pour elles, nous sommes des fourmis, tout au plus. Elles ignorent tout de nos gouvernements, de l'art culinaire, des journaux et des religions. Elles ne voient que de l'eau, les champs et le ciel. Mais, contrairement à nous, elles n'ont pas de mots pour les décrire. Pourtant, elles les connaissent. Et elles partagent toutes sortes d'acquis qui nous sont totalement inconnus, sur les vents, la manière de retrouver certains lieux sur leur itinéraire pour y retourner chaque année. Elles ont peut-être un langage secret. Leur expérience de cette planète est entièrement différente de la nôtre, mais tout aussi rélle. (p. )
(...) "Bonjour, Mattie. Maintenant, raconte-moi ce tableau.
-Cela s'appelle de la peinture lumineuse. J'en faisais avant que nous venions nous installer ici. Quand je vivais à New-York, j'étudiais la photographie avec un artiste qui utilisait cette technique. Une fois la photo tirée, on la peint à l'aide d'une mixture gluante composée de gomme arabique et de dichtomate de potassium. Une épaisse couche de ce mélange donnera ce grain à la photo, ce côté irréel. (p.)
Mamah savait ce qu'était le deuil. Elle allait souffrir et pleurer Mattie, comme elle avait souffert et pleuré Jessie et puis, un beau matin, elle se réveillerait heureuse. Elle reprendrait sa vie là où elle l'avait laissée. Dans un an, la précieuse amie qu'elle regrettait si profondément aurait quitté ses pensées quotidiennes. Dans deux ans, il lui serait difficile de se représenter le nez ou la bouche de Mattie sans avoir une photo d'elle sous les yeux. De toutes les vérités si cruelles que la mort vous réservait, celle-là lui semblait être la plus dure.
Elle poussa un cri en apercevant la photo : dans le coin en haut à droite, son propre visage occupait près d’un quart de la page 7 du journal. Elle était surmontée d’un gros titre : LA FEMME QUI S’EST ENFUIE AVEC L’ARCHITECTE. C’était le portrait qu’elle avait fait réaliser pour les bans de son mariage. Il portait une inscription : MRS E. H. CHENEY.
Elle serra les lèvres, mais les cris continuaient à s’échapper de sa poitrine et se pressaient dans sa gorge, comme la plainte d’un animal blessé.