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Critique de Christophe_bj


Nous sommes en 2027, quelques mois avant l'élection présidentielle. Paul Raison, inspecteur du Trésor de 47 ans, travaille au Cabinet du ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Juge (clone de Bruno le Maire), dont il est très proche. le père de Paul, Edouard, un ancien de la DGSI, a eu un très grave AVC dont l'issue sera probablement fatale. Avec la femme de Paul, Prudence, il ne se passe plus rien : ce sont deux étrangers qui cohabitent dans un splendide duplex sur le parc de Bercy. Paul a une soeur bigote mais au fond très humaine, Anne-Cécile, qui est mariée à un notaire au chômage, tous deux habitant Arras et votant RN, et un frère, Aurélien, qui travaille comme restaurateur d'oeuvres d'art au Ministère de la Culture et est marié à un dragon, la perfide Indy , personnage le plus négatif du roman (et qui m'a beaucoup fait rire). La campagne présidentielle se déroule sur fond d'attentats terroristes très bizarres, qui, du moins au début, ne font pas de mort ; on ne voit pas très bien qui en est à l'origine ni ce qu'ils revendiquent. ● Je trouve ce roman extrêmement réussi, à tel point que je me demande si le battage médiatique qui est fait autour ne le dessert pas, si l'éditeur n'aurait pas mieux fait de compter davantage sur ses qualités intrinsèques pour obtenir le succès. ● C'est un roman d'une grande richesse, qui entremêle à la fois plusieurs genres et plusieurs thématiques. En effet, on y retrouve, entre autres, le genre de la chronique familiale avec la famille Raison, dont tous les membres ont droit à de superbes portraits, la plupart du temps en action. Houellebecq est un maître dans l'art de caractériser les personnages : une fois croisés dans le roman, on ne risque pas de les oublier. Mais il y a aussi une composante thriller d'espionnage avec les attentats et leur décryptage. Et bien entendu Houellebecq demeure un analyste de la société. Son roman d'anticipation lui permet de porter un jugement sur notre société actuelle, d'autant que ce livre paraît, comme l'histoire qu'il raconte, au début d'une campagne présidentielle. La dimension philosophique est également loin d'être absente de ce roman protéiforme et l'on retrouve le regard désenchanté, mais pas désespéré, sur la vie (et sur la mort) de l'auteur. ● S'agissant des thématiques abordées, on ne peut pas toutes les citer, tant elles foisonnent : la vie politique française, la fin de vie, le déclin (de la personne, de la société), la médecine, le couple, les enfants, l'amour, le sexe, la magie blanche… Par exemple, n'a-t-on pas ici une belle définition de l'amour : « Est il vrai qu'on ne change pas, même physiquement, pour des yeux aimants, que des yeux aimants sont capables d'annihiler les conditions normales de la perception ? Est il vrai que la première image qu'on a laissée dans les yeux de l'aimée se superpose toujours, éternellement, à ce qu'on est devenu ? » Et là, dans le rapprochement des deux citations suivantes, une belle approche de la condition humaine : « [T]oute vie, songeait il, est plus ou moins une fin de vie. » – « Ce qu'il ne supportait pas, il s'en était rendu compte avec inquiétude, c'était l'impermanence en elle-même ; c'était l'idée qu'une chose, quelle qu'elle soit, se termine ; ce qu'il ne supportait pas, ce n'était rien d'autre qu'une des conditions essentielles de la vie. » ● J'ai aussi trouvé que le style de Houellebecq était meilleur que dans les autres livres que j'ai lus de lui ; d'habitude je le trouve un peu plat. Ici il a gagné à la fois en musicalité et en précision. ● J'ai lu et entendu que dans ce livre on trouvait un Houellebecq apaisé, et je suis assez d'accord avec cette affirmation, même si certains passages, par exemple sur la Révolution française, sur Rousseau ou sur Joseph de Maistre, sont concoctés pour faire réagir (ou encore le délicieux passage sur l'émission « C Politique » ! (voir mes citations)). Il n'en reste pas moins que le sentiment que donne l'ensemble du roman est celui d'un désenchantement apaisé, avec lequel une vie est somme toute possible. ● Deux bémols cependant : d'une part les nombreux rêves dont l'auteur parsème son récit. Je n'aime pas du tout lire les rêves des personnages, ils me paraissent toujours ennuyeux car ils nous font sortir de l'histoire ; je n'ai pas trouvé ce qu'en l'occurrence ils apportaient au roman, je n'ai pas non plus cherché à approfondir le lien qu'ils pouvaient avoir avec l'histoire. ● D'autre part, Houellebecq termine son livre en remerciant notamment les médecins qui lui sont venus en aide. Or je trouve que c'est dans ce domaine que la vraisemblance est la plus fragile. En bref (je n'en dis pas plus pour ne pas divulgâcher l'histoire), ça ne se passe pas comme Houellebecq le raconte. ● Il n'en reste pas moins qu'on a affaire ici à un grand roman, qui associe – chose rare – la qualité littéraire au plaisir de lecture qu'on y prend : c'est à la fois une oeuvre magnifique et un page-turner qu'on dévore. Une très grande réussite.
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