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sur 1452 notes
Toujours cynique, souvent caustique, Paul Raison promène sa dépression dans les longs couloirs déshumanisés du Ministère des Finances français.
Son mariage est au point mort, et seule sa relation de confiance avec le ministre semble le raccrocher encore à un semblant d'humanité.
Alors que des attentats numériques d'une portée internationale menace l'équilibre du monde, le président réélu en 2022 ne peut se représenter après un deuxième mandat. Bruno Juge, le ministre des Finances, semble être le mieux placé pour lui succéder.
Nous sommes en 2027. Bienvenue dans le nouveau roman de Michel Houellebecq.

Peut-être son livre le plus accessible, avec un personnage plus humain que jamais. Car derrière la mise en scène du bourgeois occidental désabusé - mais lucide - se cache une profonde réflexion sur la condition humaine.
Comment vieillir, mourir et éviter de s'anéantir ?

Le monde est au bord du gouffre, mais face au vide civilisationnel se reflète aussi un néant existentiel.
Le vide fascine. Sur quelle île de compassion se réfugier pour éviter de tomber dedans ?
La famille, la foi, l'engagement, la spiritualité, et l'amour toujours. L'amour et la passion. Comment résister à l'anéantissement définitif ?

Cela aurait pu s'appeler "Affronter", ça s'appelle "Anéantir" et c'est un livre plus positif qu'il n'y paraît.
À lire pour découvrir cet auteur controversé. À lire aussi en se moquant du nom sur la couverture, car c'est sans conteste un grand roman de cette rentrée.
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Décrépitude des corps mais pas des sentiments.
J'ai mis du temps à digérer le dernier Houellebecq avant de pouvoir gratter ces quelques lignes. Il faut dire qu'avec ses 730 pages dans un format de pavé cartonné inédit qui se veut éternel alors que le récit flirte avec le sapin, autant oublier la résolution de mettre sa bibliothèque au régime.
Si je m'étais lancé dans ce billet tête baissée dès la dernière page tournée, le verdict n'aurait pas brillé par sa nuance : roman inabouti, thriller en panne sèche à mi-parcours, record olympique de répétitions, provocateur en mal de polémiques... le bouquin prenait perpette et finissait dans une boîte à livres entre un vieil annuaire et un Sulitzer écorné (avez-vous remarqué que les boîtes à livres sont souvent des cimetières d'anciennes gloires éphémères ?). J'ai retenu mes mots de doberman en laisse car j'avais conscience que mon ressenti restait trop à la surface de l'histoire. J'ai souvent le cerveau qui flotte.
Avec davantage de recul, ma déception s'est muée en admiration. Oui, j'ai les convictions qui varient autant que celles d'un électeur entre deux scrutins. Alors, pourquoi ce retournement de pyjama (j'enlève ma veste pour lire dans mon lit) ?
J'ai d'abord compris que Houellebecq s'amuse quand il écrit et qu'il ne s'interdit aucune liberté. "La Possibilité d'une île", roman qui m'avait décu au moment de sa sortie, relevait selon moi de la même démarche. Ici, si son histoire d'étranges attentats et de campagne présidentielle dans les pas d'un clone de Bruno Lemaire s'efface peu à peu pour devenir un simple décor en carton, ce n'est pas parce que l'auteur était dans une impasse romanesque mais parce qu'il souhaitait passer ainsi d'un moment collectif un peu artificiel à la vraie vie.
La seconde partie du roman, la meilleure à mon goût, laisse donc les personnages fuguer de l'histoire. Il n' y a rien d'innocent dans ce changement de cap. Chacun est plus concerné par les affres de son quotidien que par les grandes affaires du monde. Et quand la maladie, la mort et l'amour s'invitent dans l'existence, l'actualité passe au second plan. Traduire cela par une bifurcation de genre au cours du récit est assez bluffant.
Ces épreuves vont raviver la flamme d'un couple d'énarques qui ne partageaient plus qu'un appartement et quelques politesses par consentement mutuel. L'AVC d'un père va réunir une famille qui s'était perdue de vue. Entre une soeur dévouée et guidée par Dieu, un frère sous le joug d'une harpie prête à tout, un père au passé mystérieux et un ministre habité par sa mission, le romancier s'écarte de son personnage habituel revenu de tout pour aller nulle part.
Il s'humanise le Michel, fait de la maladie et de la mort, l'occasion d'oublier les vieilles rancunes, de chasser les regrets et de consacrer les derniers moments de la vie à l'affection des siens. de Huysmans à Saint Augustin !
Comme on est chez Houellebecq, le naturel revient souvent comme un canasson emballé, la prose reste urticante. Il n'épargne au lecteur aucun détail dans les parcours de soin, c'est chimio vue d'IRM, et il prend plaisir à choquer son monde par des scènes de sexes qui s'affranchissent des limites. La politique ne sort pas non plus vraiment grandie de cette histoire qui voit un ancien animateur télé briguer en favori la présidentielle au royaume des apparences. J'ai déjà vu cela quelque part peut-être...
Avec ce romancier clivant et agaçant à souhait, je continue à penser que l'époque a trouvé sa plume.
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Quel plaisir d'avoir un bel ouvrage entre les mains !

Flammarion nous offre une reliure … puisse cet exemple inspirer d'autres éditeurs afin que nous retrouvions des livres solides pouvant être lus et relus. Souhaitons également qu'en 2027 nos imprimeurs auront investi et que les prochains Houellebecq seront imprimés en France et non plus en Italie. Exprimons enfin le voeu que les majuscules retrouvent leurs droits et places en couverture !

Anéantir est une dystopie qui me laisse une impression d'inachevé car, finalement, qui sont ces terroristes qui coulent les navires et qui sont ces « fachos » qui secourent les vieillards emprisonnés dans les EHPAD ?

Mais « il faut savoir Raison garder » et le romancier a un réel talent pour peindre cette famille avec ses anges Madeleine et Prudence, son démon Indy et narrer leurs amours et désamour, en jetant un regard noir sur la GPA et ses dérives californiennes, et en observant nos ainés déclinants.

C'est aussi une projection sur la campagne présidentielle 2027, vue depuis les bureaux de Bercy, et sur le fonctionnement du ministère de la culture et la sauvegarde de notre patrimoine ; c'est également une enquête sur nos services de renseignement mais celle ci est tellement enfantine avec ses croquis que le lecteur a l'impression de lire un club des cinq !

C'est enfin une réflexion sur la vie, la maladie et la mort et celle ci est fort émouvante car qui n'est confronté à ces réalités et conduit à s'interroger sur la condition humaine.

Anéantir est donc constitué de plusieurs intrigues imbriquées les unes dans les autres et certaines ne semblent pas achevées au terme de la lecture … mais l'auteur prépare sans doute une suite ?

Véritable page turner, ce livre se lit aisément mais j'avoue ne pas avoir compris ce que les rêves et les cauchemars de Paul apportent à la narration.

Critique acerbe de notre société que les experts et technocrates compliquent un peu plus chaque jour, l'intrigue est portée par un certain optimisme dont la trace était invisible dans les parutions précédentes de Houellebecq. Est ce du au positivisme de Conan Doyle et au réalisme de Sherlock Holmes qui dope le héros ?
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Nous sommes en 2027, quelques mois avant l'élection présidentielle. Paul Raison, inspecteur du Trésor de 47 ans, travaille au Cabinet du ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Juge (clone de Bruno le Maire), dont il est très proche. le père de Paul, Edouard, un ancien de la DGSI, a eu un très grave AVC dont l'issue sera probablement fatale. Avec la femme de Paul, Prudence, il ne se passe plus rien : ce sont deux étrangers qui cohabitent dans un splendide duplex sur le parc de Bercy. Paul a une soeur bigote mais au fond très humaine, Anne-Cécile, qui est mariée à un notaire au chômage, tous deux habitant Arras et votant RN, et un frère, Aurélien, qui travaille comme restaurateur d'oeuvres d'art au Ministère de la Culture et est marié à un dragon, la perfide Indy , personnage le plus négatif du roman (et qui m'a beaucoup fait rire). La campagne présidentielle se déroule sur fond d'attentats terroristes très bizarres, qui, du moins au début, ne font pas de mort ; on ne voit pas très bien qui en est à l'origine ni ce qu'ils revendiquent. ● Je trouve ce roman extrêmement réussi, à tel point que je me demande si le battage médiatique qui est fait autour ne le dessert pas, si l'éditeur n'aurait pas mieux fait de compter davantage sur ses qualités intrinsèques pour obtenir le succès. ● C'est un roman d'une grande richesse, qui entremêle à la fois plusieurs genres et plusieurs thématiques. En effet, on y retrouve, entre autres, le genre de la chronique familiale avec la famille Raison, dont tous les membres ont droit à de superbes portraits, la plupart du temps en action. Houellebecq est un maître dans l'art de caractériser les personnages : une fois croisés dans le roman, on ne risque pas de les oublier. Mais il y a aussi une composante thriller d'espionnage avec les attentats et leur décryptage. Et bien entendu Houellebecq demeure un analyste de la société. Son roman d'anticipation lui permet de porter un jugement sur notre société actuelle, d'autant que ce livre paraît, comme l'histoire qu'il raconte, au début d'une campagne présidentielle. La dimension philosophique est également loin d'être absente de ce roman protéiforme et l'on retrouve le regard désenchanté, mais pas désespéré, sur la vie (et sur la mort) de l'auteur. ● S'agissant des thématiques abordées, on ne peut pas toutes les citer, tant elles foisonnent : la vie politique française, la fin de vie, le déclin (de la personne, de la société), la médecine, le couple, les enfants, l'amour, le sexe, la magie blanche… Par exemple, n'a-t-on pas ici une belle définition de l'amour : « Est il vrai qu'on ne change pas, même physiquement, pour des yeux aimants, que des yeux aimants sont capables d'annihiler les conditions normales de la perception ? Est il vrai que la première image qu'on a laissée dans les yeux de l'aimée se superpose toujours, éternellement, à ce qu'on est devenu ? » Et là, dans le rapprochement des deux citations suivantes, une belle approche de la condition humaine : « [T]oute vie, songeait il, est plus ou moins une fin de vie. » – « Ce qu'il ne supportait pas, il s'en était rendu compte avec inquiétude, c'était l'impermanence en elle-même ; c'était l'idée qu'une chose, quelle qu'elle soit, se termine ; ce qu'il ne supportait pas, ce n'était rien d'autre qu'une des conditions essentielles de la vie. » ● J'ai aussi trouvé que le style de Houellebecq était meilleur que dans les autres livres que j'ai lus de lui ; d'habitude je le trouve un peu plat. Ici il a gagné à la fois en musicalité et en précision. ● J'ai lu et entendu que dans ce livre on trouvait un Houellebecq apaisé, et je suis assez d'accord avec cette affirmation, même si certains passages, par exemple sur la Révolution française, sur Rousseau ou sur Joseph de Maistre, sont concoctés pour faire réagir (ou encore le délicieux passage sur l'émission « C Politique » ! (voir mes citations)). Il n'en reste pas moins que le sentiment que donne l'ensemble du roman est celui d'un désenchantement apaisé, avec lequel une vie est somme toute possible. ● Deux bémols cependant : d'une part les nombreux rêves dont l'auteur parsème son récit. Je n'aime pas du tout lire les rêves des personnages, ils me paraissent toujours ennuyeux car ils nous font sortir de l'histoire ; je n'ai pas trouvé ce qu'en l'occurrence ils apportaient au roman, je n'ai pas non plus cherché à approfondir le lien qu'ils pouvaient avoir avec l'histoire. ● D'autre part, Houellebecq termine son livre en remerciant notamment les médecins qui lui sont venus en aide. Or je trouve que c'est dans ce domaine que la vraisemblance est la plus fragile. En bref (je n'en dis pas plus pour ne pas divulgâcher l'histoire), ça ne se passe pas comme Houellebecq le raconte. ● Il n'en reste pas moins qu'on a affaire ici à un grand roman, qui associe – chose rare – la qualité littéraire au plaisir de lecture qu'on y prend : c'est à la fois une oeuvre magnifique et un page-turner qu'on dévore. Une très grande réussite.
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730 pages de rêves. Un simili thriller politique genre méditation plus métaphysique que transcendantale. Une fois de plus le « génie littéraire français » se joue de nos questions angoissantes d'homme blanc engoncé, qui dans un costume trois pièces Hugo Boss, qui dans un chino soldé chez Bexley, magasin du boulevard Henri IV, qui dans un modèle 501 de Levis, braguette à boutons, moins pratique pour pisser, qui dans un polo Ralph Lauren manches longues. La liste n'est pas exhaustive, j'oubliais les fumeurs de Marlboro, contrebande espagnole remontée par des Fast Tracks, revendue trois fois son prix d'achat sur les boulevards.
Comment ce diable d'auteur sait-il que j'angoisse en 2027, façon 2022, avec un Zemmour tonitruant qui s'invite dans le débat comme un Judas honteux, le Pen qui dévisse façon cruciforme, Pécresse en belle-fille adorée des mères françaises, Macron égal à lui-même et une gauche en capilotade comme le nez et les joues d'Athanase Georgevitch le héros de Gaston Leroux dans Rouletabille chez le tsar, après l'éclatement de la bombe.
Je suis Paul Raison, 47 ans, haut fonctionnaire au ministère de l'économie et des finances, et mon père, Edouard, ancien agent secret est en train de mourir, alors que des attentats se déploient sur le territoire, ceci n'ayant rien à voir avec cela sauf pour l'homme blanc que je décris dans le premier paragraphe de cette chronique…
Ma femme, Prudence, ressemble à s'y tromper à Carrie-Anne Moss, l'actrice qui joue Trinity dans Matrix. Elle pourrait être une mère idéale pour les enfants que je désire mais je ne me résous pas à lui en faire un, non par conviction rousseauiste (je parle de Sandrine, pas de Jean-Jacques, vous l'aurez compris…) mais par simple angoisse plus qu'existentielle.
J'ai tout pour être heureux, Bruno (oui le vrai, mon patron) va se présenter au poste suprême dans la hiérarchie politique française et devrait m'emmener à l'Elysée dans ses valises…
Autrefois, il m'est arrivé de prier en l'église Notre-Dame-de-la-Nativité de Bercy, quai oblige, et je me repais toujours des paysages du Beaujolais et de leur production vieille de décennies sinon de siècles, malgré la farce annuelle du troisième jeudi de novembre qui sacrifie au désir de nouveauté des populations du monde entier.
Si vous êtes en train de lire « Certains lundis de la toute fin novembre, ou du début décembre, surtout lorsqu'on est célibataire, on a la sensation d'être dans le couloir de la mort. » vous n'êtes ni au bout de vos peines, ni au bout de vos surprises, vous avez la chance, heureux élus de l'aristocratie littéraire et journalistique, de commencer à vivre la vie de Paul Raison qui pour les lecteurs plébeïens verra le jour le 7 janvier…

Ajout du 31 janvier 2022 :
Après cette première lecture, j'ai scanné le texte, en reprenant mes notes de lectures, possibilité incomparable offerte par les fonctions de la liseuse.
J'ai retrouvé les nombreuses références aux symboles des années 1970-1980 et j'en ai fait deux quiz que vous pourrez jouer :
https://www.babelio.com/quiz/58162/Aneantir-la-nostalgie-Houellebecq
https://www.babelio.com/quiz/58181/Aneantir-la-nostalgie-Houellebecq-2

Anéantir contient plusieurs romans et plusieurs clefs de lecture :
- le récit des attentats terroristes qui reste inachevé
- le récit de l'élection présidentielle de 2027 à laquelle le Président en exercice ne peut se présenter puisqu'il a été réélu en 2022 (suivez mon regard). On y voit le président pousser la candidature d'un certain Benjamin Sarfati dont le "niveau en économie est celui d'un BAC G"...il est pour cette raison associé à Bruno Juge (avatar de Bruno LeMaire)...La coach Solène Signal, présidente du cabinet de consultant Confluences, se charge de faire monter les deux candidatures en puissance...
- Les rêves de Paul Raison émaillent le récit, et l'on croirait à des exercices imaginés par Sigmund Freud lui-même pour entraîner ses disciples à l'interprétation des rêves...
- Les histoires des différents couples est aussi un fil conducteur qui permet de mettre en perspective l'évolution des relations hommes femmes et de la lancinante question de la place de l'amour et du sexe dans notre société.

De ces différents points de vue, le roman réalise une coupe transversale des raisons qui ont conduit la société française à évoluer des trente glorieuses insouciantes à la société anxiogène que nous connaissons.
On retrouve dans Anéantir, mises en situation, nombre d'analyses proposées par Jérôme Fourquet dans L'archipel français...

C'est un roman à lire que l'on soit houellebecquien ou pas !


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Est-ce d'avoir été en thalasso avec Gégé que Michel Houellebecq s'est senti assez en forme pour jeter un pavé de 730 pages hors la mare de la dernière rentrée littéraire ?
Toute l'oeuvre précédant ce livre n'aurait elle été qu'une splendide ébauche où un écrivain nerveux et batailleur se préparait à livrer, avec "Anéantir" la meilleure de sa littérature, et aurait choisi pour cela une édition presque luxueuse ?
Michel Houellebecq nous a offert son livre de Noël, avec dedans, tradition oblige, son petit réveillon obligé ...
Dans "Anéantir", on retrouve le meilleur de Houellebecq : une écriture racée, une puissance d'analyse et de retranscription sans pareille, mais cette fois sans provocations inutiles.
Alors bien sûr, dès le début du récit, un ministre est guillotiné ... un ministre de papier derrière lequel on reconnaît sans peine un véritable homme politique de l'échiquier national d'aujourd'hui.
En guise d'insolence, une illustration de l'instrument a même été insérée dans le récit !
Bien sûr de sexualité, il est encore question mais les descriptions pornographiques qui alourdissaient les récits d'hier ont cédé la place à de vraies moments de vie de couples.
Michel Houellebecq n'a d'ailleurs ici rien cédé sur le fond, mais semble avoir aménagé la forme pour être mieux compris.
Le récit, moins polémique dans ses contours, est captivant, limpide et foisonnant.
Gros-Jean comme devant seront tous les hypocrites qui y attendaient la provocation entre deux mots pour pousser des cris d'orfraie effarouchée !
Le récit entremêle judicieusement un thriller d'anticipation à la vie quotidienne de quelques personnages.
Michel Houellebecq y analyse aussi efficacement, mais plus finement qu'à son accoutumée, les travers de notre société.
L'action nous projette, un quinquennat plus avant, à la veille d'élections présidentielles.
Je pose 4 et je retiens 1, l'actuel président ne sera pas candidat.
Et la bataille électorale est quelque peu troublée par d'intrigantes vidéos sur internet, et par de mystérieux attentats ...
Michel Houellebecq a, semble-t-il décidé de prendre de soin de ses personnages.
L'on sent même de sa part un vif attachement pour certains d'entre eux qui ne sont plus présentés comme des losers intégraux mais comme des humains heurtés par la vie.
Les personnages féminins sont clairement plus soignés, et moins malmenés qu'à l'accoutumée.
Ceux de Maryse et de Madeleine sont notamment deux splendides portraits de femmes.
Ce qui ajoute au récit une sensibilité et une humanité jusque-là masquées dans ses ouvrages précédents par la provocation et l'outrance.
Mais la réflexion et l'analyse de Michel Houellebecq n'en ont pour autant rien perdu de leur force et de leur justesse.
Les attaques, plus finement menées, n'en sont pas moins féroces.
Le récit est rythmé par les rêves de Paul Raison.
"Anéantir" s'impose d'ores et déjà comme un livre important, un livre qui compte dans la littérature d'aujourd'hui.
Et, presque toute polémique mise de côté, Michel Houellebecq y fait, plus que jamais, la démonstration de son talent de grand écrivain ...


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Paul Raison est un haut fonctionnaire de l'État, au service de Bruno Juge, ministre de l'Économie et des Finances. En cette année 2026, la campagne présidentielle se déroule dans un climat incertain : une série d'attentats, non revendiqués mais manifestement coordonnés par un groupe d'une étonnante puissance technologique et financière, frappe des cibles apparemment sans lien de par le monde. Bientôt quinquagénaire, Paul doit par ailleurs composer avec une accumulation de graves problèmes personnels et familiaux.


Parvenu en ce qu'il aimerait considérer comme le mitan de son existence, Paul se retrouve en fait baigné dans une atmosphère crépusculaire. Sa lucidité désabusée lui fait appréhender un monde décadent au bord du précipice, tandis que sa sphère privée lui semble se résumer à un déprimant vide existentiel. Comment ne pas se sentir sombrer quand les perspectives ne cessent de s'assombrir, entre une société où l'on ne se reconnaît plus et le vieillissement qui grignote de plus en plus avidement l'avenir ? Les doutes de Paul sont l'occasion d'une peinture froidement pessimiste, pleine d'un cynisme aussi caustique que désespéré, de la société contemporaine et de ses dérives, entraînant une large réflexion sur ce qu'il reste de portes de sortie pour éviter de s'y anéantir. Une certaine résignation pousse notre homme à se replier sur son individualité pour trouver l'apaisement. Et tandis que, comme lui, chacun des personnages explore sa voie, entre spiritualité, engagement et famille, en s'y perdant parfois, c'est l'amour qui met tout le monde d'accord, en une série de tableaux d'autant plus lumineux qu'ils s'inscrivent en faux contre l'inanité fatale et absurde de la condition humaine.


Les sept-cent-trente pages de ce livre se parcourent avec plaisir et facilité, au gré des multiples facettes de la narration. Tout à la fois cyber thriller, satire sociétale et chronique familiale, Anéantir est une oeuvre protéiforme, où la profonde mélancolie de l'auteur face au destin d'anéantissement de l'homme, mais aussi de toute civilisation, trouve la rémission dans la célébration du bonheur d'aimer, seule valeur qui tienne dans cette vallée de larmes. de ce texte en clair-obscur, se détachent plusieurs magnifiques portraits de femmes, où elles paraissent, bien mieux que les hommes, savoir faire spontanément la part de l'essentiel. Pour parvenir aux mêmes priorités et enfin décrypter les messages freudiens des rêves qui ne cessent de le poursuivre, il aura fallu à Paul l'écrasant poids de l'impondérable. Seulement alors, avant qu'il ne soit définitivement trop tard, trouvera-t-il la force de se réconcilier avec sa mortelle, et peut-être pas si absurde, condition d'être humain.


Humour grinçant, mais aussi émotions, sont au rendez-vous de ce livre, qui, à partir de constats terriblement noirs et anxiogènes sur le monde contemporain, mène une analyse aussi juste que féroce, et trouve à se recentrer sur ce qui peut, malgré tout, préserver un sens à notre existence.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Le dernier Houellebecq, ça ne se refuse pas pour bien se remonter le moral!
Ça commence fort : " Certains lundis de la toute fin novembre, surtout lorsqu'on est célibataire, on a la sensation d'être dans le couloir de la mort." Puis : " Cette lumière des fins d'après-midi du début décembre était sinistre, c'était vraiment le temps idéal pour mourir. " Youkaïdi youkaïda!
Cette fois-ci notre héros est un certain Paul, un haut fonctionnaire du Ministère de L'économie. Il vit en couple avec Prudence mais visiblement pour eux, ça n'est pas tous les soirs la fête du slip : "Prudence n'avait pas de vie sexuelle, les joies plus austères du yoga et de la méditation transcendantale semblaient suffire à son épanouissement. Prudence n'était pas une femme pour le sexe. Elle aurait mieux fait de lui montrer son cul, à la rigueur ses seins, son éducation n'avait pas été conduite dans cette direction et c'était regrettable, car peu d'autre opportunités seraient offerte à leur couple... de plus il avait complétement cessé de se masturber."
Ensuite Paul se livre à quelques réflexions philosophiques bien sympathiques : " le monde humain lui apparut composé de petites boules de merde égotistes, non reliées, parfois les boules s'agitaient et copulaient à leur manière, chacune dans son registre, il s'ensuivait l'existence de nouvelles boules de merde, toutes petites celles-là. Depuis quelques années, il est vrai, les boules de merde copulaient en moins grand nombre, elles semblaient avoir appris à se rejeter, percevaient leur puanteur mutuelle et s'écartaient les unes des autres avec dégoût, une extinction de l'espèce humaine semblait à moyen terme envisageable. " C'est une façon de voir les choses...
Notre Droopy conclut joyeusement : " Paul partit se coucher immédiatement après le diner. Il se sentait comme une boite de bière écrasée sous les pieds d'un hooligan britannique. Tout cela était un peu déprimant, sa vie aurait quand même dû être un peu plus vivante, se dit-il dans un élan d'autoapitoiement qui le dégoûta aussitôt." On le comprend !
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Noir, sombre, cynique, désabusé, mais aussi drôle, jouissif, provocateur, …
Je me suis lancée sans trop savoir ou je mettais les pieds. « Houellebecq ? » rien lu depuis Les particules élémentaires (autant dire que ça date un peu) qui ne m'avait pas laissé un souvenir impérissable… Et puis, ma curiosité a été piquée par le récent battage médiatique, et j'ai eu envie de redécouvrir cet auteur controversé.
Un peu sceptique sur les premières 200 pages du livre, ça part dans tous les sens, attentats terroristes, fonctionnement de nos institutions politiques, stratégies dans la course à la présidentielle, vie à mourir d'ennui de Paul Raison (tellement bien campée qu'on finit par s'ennuyer nous aussi), …, et puis finalement, on s'installe dans la vie de la famille Raison. J'ai fini par m'assoir à leur table dans leur maison du Beaujolais et écouter leurs doléances.
Les personnages prennent corps avec leurs qualités et leurs défauts (enfin surtout leurs défauts, on est quand même toujours chez Houellebecq), et là ça devient savoureux, ces personnages deviennent familiers, et on attend la suite.
Tout cela reste très fouillis, et l'ensemble des sujets constitue un gigantesque inventaire à la Prévert, comme l'épisode rocambolesque complètement loufoque mais extrêmement réjouissant de l'exfiltration du père de son EHPAD. Cependant, le fil d'Ariane reste la famille Raison, ses failles et sa traversée des épreuves envoyées par la vie permettent à Houellebecq des remarques décapantes sur notre société, qui ont sonné très juste à de nombreuses reprises.
À ma grande surprise, j'ai fini par dévorer les 300 dernières pages, happée par ses réflexions sur notre lente et inexorable marche vers la mort, l'affrontement de la maladie, la perte d'autonomie, l'amour/désamour familial /dans le couple… clairement la partie que j'ai préférée.
Le livre aurait gagné à être plus court, certains passages ne présentant pas grand intérêt, le décor prend du temps à être planté, mais ensuite, je n'ai pas boudé mon plaisir ! Alors si la curiosité vous titille, sautez le pas !
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Alors que Sérotonine, le précédent Michel Houellebecq, était particulièrement décevant – absence de vision, incapacité à comprendre l'époque, et complaintes fatigantes du mâle blanc occidental – Anéantir s'avère dense, ambitieux et complexe, même si le propos reste parfois difficile à saisir.

Le roman se déroule en 2027, à la veille des élections présidentielles, et débute comme un cyber thriller, particulièrement excitant, avec plein de bonnes idées – des images et des photos insérées dans le texte, une maîtrise des enjeux technologiques actuels –, avant de nous plonger dans le quotidien de Paul Raison – conseillé spécial de Bruno Juge, le ministre de l'Économie – et de sa famille.

L'anticipation permet moins de prédire le futur que de créer une réalité alternative où l'on peut étudier la société sous un autre angle, libéré des contingences de l'actualité – le Covid, Zemmour – et de la réalité du monde – la crise écologique, MeToo... Houellebecq ne cherche pas dans ce nouveau roman à être « un fin observateur de la société française » et encore moins de comprendre notre époque. On pourrait même dire qu'il évite volontairement la confrontation avec cette dernière pour suivre sereinement des personnages confrontés au vide de l'existence et à la mort.

La charge contre le capitalisme trouve ici son aboutissement. Après la défaite vient la résignation. Face à l'absurdité du monde moderne, il ne reste aux personnages qu'à se refermer sur eux-mêmes, en faisant du couple, de la famille et de la lecture, les seuls fondements, le seul refuge. En synthèse, il s'agit de remplacer l'individualisme économique par un individualisme social. Un individualisme intime même.

Comme souvent chez Houellebecq, les personnages, médiocres et lâches, tentent de trouver leur voie dans une époque cynique et une France gangrénée par le capitalisme. Ils sont successivement touchants et odieux, se livrent à des compromis gênants. Veule, Paul apprécie son beau-frère raciste, ne reproche pas à sa femme son absence d'engagement citoyen. Il se laisse porter. Au point de donner l'impression d'une complaisance avec la bêtise, celle de ses compatriotes et la sienne. Alors qu'il se revendique comme progressiste, Paul ponctue ses réflexions de « en particulier chez les femmes » et défend la supériorité du couple homosexuel. Sur la question des femmes, le roman réalise néanmoins un revirement stimulant en érigeant Prudence, la femme de Paul, âgée de cinquante ans, comme un modèle d'attractivité sexuelle – un pied de nez à Yann Moix et son incapacité « à aimer une femme de 50 ans ». Malheureusement, les femmes restent, volontairement ou involontairement, cantonnées à un rôle : celle qui nourrit, celle qui apaise, celle qui fait jouir, celle qui dicte dans l'ombre la conduite de l'homme.

Une fois de plus, il est difficile de savoir où Houellebecq veut en venir, s'il endosse les réflexions de ses personnages, s'il se moque d'eux ou s'il les observe froidement. On ne sait jamais où s'arrête la description froide et où commence la provocation volontaire. La vision passéiste et nihiliste de Houellebecq, poignante au moment de la lecture, par sa description du désabusement, continue d'agacer par sa défense du monde d'avant, celui d'avant les ravages du capitalisme, qui est aussi celui du règne du bon père de famille à qui tout était dû. Quelle est la part du penser et de l'instinctif ? Les scènes de rêves sont à l'image du livre. On ne peut pas déterminer si elles sont dénuées de sens, strictement guidées par l'instant de l'écriture, ou si elles sont méthodiquement élaborées recelant d'indices cachés.

Rien n'est univoque. Les seuls positionnements que l'on peut acter restent l'anticapitalisme et la lutte contre l'euthanasie – il est intéressant de noter que Houellebecq, qui fait preuve d'un pessimisme total, mise pourtant sur l'idée que les personnes en état végétatif vivent de manière apaisée, dans un quasi-rêve permanent.

Houellebecq défend l'idée que le « grand public » détient la raison politique et la vérité culturelle – idée qui se concrétise moins dans un éloge du populisme que dans une valorisation de la littérature de genre, polar et SF en tête. le livre lui-même revendique ce souhait de toucher le plus grand nombre. Sa construction, son style et son propos en font probablement son roman le plus facile d'accès. Une approche cohérente avec sa croyance dans la nécessité de généraliser pour pouvoir théoriser. Anéantir est un livre à la fois consensuel – tout le monde se retrouvera dans certains passages – et détestable – chacun trouvera des phrases qui lui donneront envie de fermer le livre, à commencer par un discours dégueulasse sur les migrants d'un décideur politique.

Néanmoins, Anéantir est aussi le livre de l'apaisement. Les protagonistes ont peu d'occasions de faire le mal ou le bien, mais, et c'est nouveau, quand ils le peuvent ils sont plutôt enclins à faire le bien. La misanthropie originelle de l'auteur fait place à une bienveillance molle. Il y a comme une réconciliation avec l'existence. D'ailleurs, pour la première fois, un personnage religieux – Cécile, la soeur de Paul – n'est pas moqué, mais admiré pour son engagement.

C'est aussi et surtout un roman bourré de pistes de réflexions et de digressions passionnantes, sur la manière dont l'occident a rendu la mort et la maladie obscènes, sur la place de la fiction dans l'acceptation du quotidien, ou encore sur ce qu'il appelle « la vie sur le côté ».

Michel Houellebecq reste le grand écrivain de l'attraction / répulsion.
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