Lune ou l'autre

Je ne savais pas trop à quoi m'attendre en me plongeant dans la lecture de "Lune ou l'autre". Enfin si, à un roman noir. Mais c'est vaste, toutes ces ténèbres promises! Qu'importe: j'aime les surprises, l'incongruité de certains voyages, l'étrangeté de certains univers... J'ai donc fait cesser mes tergiversations et je me suis lancée.
Pas de doutes: cette histoire a un grain, un sacré bon grain! On est sur du déjanté, du débridé et ça pourrait être sympathique sinon réjouissant. Ou pas.
Mais voyons plutôt de quoi il est question...
Pierre-Octave, dit Pierrot la lune est "nègre-littéraire" et prête sa plume aux personnalités désireuses de laisser leurs autobiographies à la postérité. Il fait dans la starlette, l'acteur porno, le sportif et s'il aime écrire, on ne peut pas pour autant parler d'un véritable épanouissement professionnel. Dans sa vie privée non plus, ce n'est pas exactement la béatitude: sa femme vient de le quitter pour son ami d'enfance... Notre écrivain a tout du looser magnifique et comme c'est lui qui déroule pour nous son récit, on se sent proche de lui. On irait bien boire un verre avec ce bon vieux Pierrot au bar du coin, comme ça, sans chichi... Un homme simple Pierre-Octave, même qu'il nous emmène à son rendez-vous chez le dentiste où il assiste médusé à la fuite de la praticienne prise de panique face à la dentition d'une vieille patiente. Notre homme retrouve un peu plus tard Claire -la dentiste- et parce qu'il n'est pas insensible à son charme, il engage la discussion avec elle. Il y gagne une invitation pour une soirée poker qu'elle organise plus tard avec des amis, un flirt et une nouvelle cliente puisqu'elle lui demande de l'aider à rédiger son autobiographie. C'est à partir de ce moment que tout va s'emballer. de la bluette fantaisiste et décalé, un rien burtonnienne, on bascule dans un thriller malsain et angoissant à souhait qui sacrifie à tous les codes du genre, n'omettant ni le sang, ni les coups de théâtre ou les coups de bluff. Ce serait pécher que d'en révéler plus quant à l'intrigue mais sachez qu'elle est l'avenant de la couverture du roman.
J'ai donc passé un moment.... étrange et assez indéfinissable avec cet ouvrage dont j'ai apprécié le cadre et les thèmes tels que la folie et surtout la manipulation. Moi qui adore l'humour noir, j'ai été comblée, comme j'ai été satisfaite par le coup de théâtre final et les dernières lignes. Pourtant, je ressors aussi frustrée, réservée, comme coupée dans un élan, de cette lecture. Et déçue.
Tout d'abord, si l'écriture en elle-même ne m'a pas marquée, elle reste agréable et fluide, relativement simple et efficace. Voilà qui ne comble pas mon amour pour la stylistique, mais enfin, c'est concis et cela va droit au but. Mieux que cela: cette clarté syntaxique donne un vrai rythme à l'histoire, rythme qui devient de plus en plus haletant au fil de l'intrigue. En revanche d'où sort ce premier chapitre, qui n'a rien à voir avec le reste du livre? A croire qu'il n'a pas été écrit par la même personne que le reste de l'ouvrage! C'est boursouflé, alambiqué, surbrodé... En un mot: indigeste. J'ai d'ailleurs failli décrocher pour m'en aller vers de plus verts pâturages.
Ensuite, tout arrive trop vite et j'ai trouvé bâclé la seconde partie du roman: on manque d'explications, de descriptions. le dénouement arrive lui aussi sans crier gare, beaucoup trop vite et avec trop peu de matière...L'atmosphère aussi aurait gagné à une installation plus longue, plus approfondie... tout comme les thèmes (fascinants!) de la folie et de la manipulation qui sont à l'état d'esquisses... Je me suis sentie frustrée de ne pas en savoir plus mais aussi de ne pas avoir assez baigné dans la noirceur et toutes les arcanes de ce roman singulier et ô combien inquiétant. Je n'ai pu me départir de cette impression d'avoir lu une ébauche, un premier jet. Une tenace et désagréable impression d'inachevé...et cela m'a gêné. J'en attendais bien plus. C'est d'autant plus frustrant qu'on sent sous l'écriture tout le potentiel et les qualités de l'auteur et on se dit qu'avec les années, elle pourrait peut-être se montrer capable d'un chef d'oeuvre du genre, d'une "Tristesse du Samouraï" (roman de mon coeur!) à la française, d'un scénario à la Tarantino, sauce Belleville... Dommage. Vraiment dommage.

Enfin et avant de laisser mon clavier, je voudrais remercier Babelio qui, grâce à la Masse Critique "Mauvais Genres" m'a permis de découvrir ce roman singulier et de sortir de mes sentiers battus. Merci également aux éditions "Yaka books". Comme de nombreux babeliotes l'ont écrit avant moi, une petite maison d'édition familiale qui a fait le pari d'éditer des romans divers et variés, de qualité et qui les commercialise pour la somme unique de 2€ (oui, oui ma bonne dame!) mérite d'être soutenue, remarquée, remerciée et saluée. Bravo!