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Critique de Glaneurdelivres


« La petite ville où le temps s'arrêta », c'est la petite ville d'enfance de Bohumil Hrabal, en Bohème, au bord de la Labe (l'Elbe), qui coule de là jusqu'à Hambourg.

C'est une chronique qui est à la fois savoureuse et amère…

On fait d'abord connaissance avec le narrateur qui est un jeune garçon, qui rêve de devenir marin, lui qui vit dans ce pays bien éloigné de la mer, au centre de l'Europe.
Il observe souvent les mariniers qui s'affairent sur les berges du fleuve, et il aimerait avoir, comme l'un d'entre eux, un voilier, tatoué sur la poitrine. Cela lui tient à coeur ! Tant et si bien que ce marinier confie le jeune garçon au tatoueur local, mais ce n'est pas un beau bateau qu'il lui grave définitivement sur la poitrine, mais une sirène barbue, et lubrique ! Voilà comment commence ce livre…

Trois adultes entourent le jeune narrateur : son père Franci, sa mère Maryska et son oncle Pepi.

L'oncle Pepi était fantassin dans l'armée austro-hongroise. C'est un cordonnier sans le sou, pilier de bistrot et mythomane. Il était passé rendre visite aux parents du narrateur il y a bien longtemps, et il est toujours là, chez eux !
Franci, le père, gérant d'une brasserie, y emploie son frère comme ouvrier.
Pepi fait figure de « parent pauvre ». Il couche sur un grabat dans une mansarde.
Il « prenait exprès l'accent traînant des faubourgs de Brno pour bien marquer qu'il était le prolo de la famille. »
Maryska, la mère du narrateur est frivole. Ce n'est pas une mère aimante et il en souffre.
Il ne reçoit pas non plus l'affection souhaitée de la part de son père, qui lui apparaît comme distant, un peu timoré, soucieux de bienséance. Tout le contraire de l'oncle Pepi !

Pour notre jeune narrateur en mal d'amour, et qui a envie d'ailleurs, l'oncle Pepi est quelqu'un d'attirant, impressionnant, joyeux, « bruyant et remuant », personnage haut en couleurs, qui a beaucoup de gouaille, qui mord la vie à pleines dents, pilier de bistrot, qui revient tard dans la nuit « rond comme une queue de pelle », après avoir dépensé toute sa paie avec des filles de joie !
Il sait y mettre de l'ambiance dans ces lieux-là, comme partout d'ailleurs. Il ne passe jamais inaperçu ! Et de plus, il donne des cours de sexologie aux prostituées de son bar préféré !
(Il vous faudra peut-être vous munir d'un dictionnaire pour découvrir la signification du mot « monorchide »).
L'écriture de Bohumil Hrabal, avec ces parties du récit, pourrait être aisément comparée à celle d'un François Rabelais, mais tchèque bien sûr !

Cette première partie du livre semble se passer alors que la Bohème connaissait son indépendance à l'époque de la 1re république démocratique et bourgeoise de Tomas Masaryk.
Il y a de nombreuses connotations religieuses, naïves et amusantes de la part de notre jeune narrateur, qui est enfant de choeur. Par exemple, un colosse d'archiprêtre qui soulève ses deux servantes jusqu'au plafond pour jeter un oeil sous leurs jupes ! Un boucher, qui devient prédicateur et prêche l'Armageddon !
Personnages et anecdotes fantasques se succèdent :
un « vieux veilleur de nuit », « sujet à des coups de sang depuis qu'il a contracté le paludisme pendant la guerre », et qui voit des voleurs partout,
M. Donsa, qui ne peut pas passer devant une triperie de peur de vomir, ou encore le P.-D. G. des Brasseries qui ressemble à ses cochons…
On rit beaucoup à la lecture de ces nombreux passages anecdotiques et on a souvent l'impression d'assister à des scènes de films burlesques, tels que ceux avec Laurel et Hardy, Charlie Chaplin ou encore Jacques Tati ! Bohumil Hrabal est un merveilleux conteur, moqueur et farceur.

On arrive au milieu du livre, et un passage fait intervenir la femme du boucher (évoqué précédemment), qui est sujette à une véritable addiction à l'alcool. Elle subit par le père du narrateur, un traitement à base de courants de fulguration avec un peigne de néon.
« papa, de nouveau subjugué par les cheveux de la bouchère, les mêmes que portait jadis maman, les cheveux qu'elle avait fait couper sans demander la permission de papa. »
Ce passage est en rapport avec un autre roman de Bohumil Hrabal, « La chevelure sacrifiée ».

Et puis les allemands entrent en scène, c'est la guerre…
« les allemands étaient venus occuper la petite ville où le temps s'arrêta ».
A la radio, on annonce que le Reichsprotektor, Heydrich, a été tué dans un attentat.
A la brasserie où Franci est gérant, une commission militaire est passée et désormais un ingénieur, Friedrich, y prendra ses quartiers. Pepi sera inquiété par ce Friedrich qui trouvera que sa conduite est indigne, lui qui danse et chante, alors même que ce Reichsprotektor vient d'être assassiné…
Mais Pepi se moque ouvertement de lui et de l'armée allemande… Et Friedrich fulmine !
Les allers-retours verbaux entre ces deux personnages sont pour nous une occasion supplémentaire de rire.

Mais, les allemands vont se retrouver en mauvaise posture, avec l'avancée des troupes des alliés, et les russes de l'Armée Soviétique qui font leur entrée dans la petite ville…
Et avec le nouveau régime communiste qui se met en place, la brasserie est bientôt nationalisée.
Du jour au lendemain, les temps changent et les comportements aussi, l'ingratitude naît, les gens n'ont plus de reconnaissance. « il n'y a plus de maîtres, c'est nous les maîtres maintenant », « les ouvriers (…) c'étaient eux les maîtres ».
Conséquence de l'arrivée des « Rouges » au pouvoir, les deux frères, Franci et Pepi ont perdu leur emploi.
L'oncle Pepi s'assagit. Il ne va plus courir les bars à filles de joie. Il n'a plus le même entrain qu'avant.

Ce chapitre-là se termine par une cueillette de champignons en forêt, cocasse et dangereuse à la fois ! Ces savoureuses histoires et anecdotes tchèques, avec ces personnages qui se débattent dans ces périodes historiques agitées et déstabilisantes, racontées par un enfant, m'ont rappelé celles du livre d'Ota Pavel
« comment j'ai rencontré les poissons » (que j'avais adoré).

A la fin du livre, Franci retrouve « sa vigueur de jeune homme », et à l'inverse, Pepi, lui, devient décrépit, puis grabataire. le temps s'arrête dans la petite ville, et avec lui, la santé de Pepi se dégrade. Avec cette « nouvelle ère », terminé le temps des fêtes, et des réjouissances… « le temps ancien s'était assoupi comme La Belle au Bois Dormant », « on brandissait un poing contre tout ce qui sentait le passé ».
Dans le dernier chapitre, Franci se rend à la maison de retraite, la maison de « tous ces pensionnaires du temps arrêté ». Des petits haut-parleurs diffusent sans arrêt "Les
millions d'Arlequin », cette suave musique d'interlude étourdissante… A noter que « Les millions d'Arlequin », est le titre d'un autre roman de Bohumil Hrabal.

Le début du récit est empreint de naïveté et de cruauté, ensuite la gaieté y déborde, puis le temps s'arrête avec l'intrusion des allemands, et ensuite avec celle des russes. Et on bascule dans un mélange de tristesse, d'amertume et de nostalgie. Tout est beau dans ce roman, bien écrit et bien rythmé. B. Hrabal sait nous faire sourire et rire, avec son humour légendaire, mais il sait aussi nous émouvoir avec sa profonde sensibilité et son amour de l'humain.
Un bon livre pour faire connaissance avec cet auteur tchèque incontournable ou pour compléter la lecture de ses récits. Assurément j'aurai le plaisir de relire encore ce livre un jour !
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