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Critique de berni_29


Victor Hugo a vingt-sept ans lorsqu'il publie Le Dernier jour d'un condamné. Je suis toujours frileux à mettre en avant l'âge de celles et ceux qui ont écrit des chefs d'oeuvre, comme si cela devait étonner. Camus avait vingt-trois ans lorsqu'il écrivit Noces. Quant à Rimbaud, n'en parlons pas, ce jeune surdoué était déjà à la retraite de la poésie à cet âge-là. Cependant, l'âge auquel Victor Hugo écrit ce récit a une importance, car il vient d'être confronté, quelques jours avant le démarrage de l'écriture de ce texte, à l'exécution en Place de Grève d'un jeune homme qui a, à peu de chose près, le même âge que notre homme de lettres. Et dans son enfance, Hugo a assisté à plusieurs exécutions capitales dont il ne s'en est pas temis. Cela ne peut plus attendre.
Le roman est une narration. Le condamné à mort nous parle, à voix basse, tandis qu'il écrit, durant les vingt-quatre dernières heures de son existence, le journal dans lequel il relate ce qu'il a vécu depuis le début de son procès jusqu'au moment de son exécution, soit environ six semaines de sa vie. C'est un long monologue dont on connaît par avance l'issue fatale.
Nous ne savons rien de cet homme condamné, ni son nom, ni son crime, mis à part la phrase : « moi, misérable qui ai commis un véritable crime, qui ai versé du sang ! ». Nous suivons l'homme, au plus près de son angoisse en tant que condamné à mort et ses dernières pensées, les souffrances quotidiennes morales et physiques qu'il subit, nous découvrons aussi les conditions de vie des prisonniers qui sont rudes. L'homme, au plus près de sa mort prochaine, exprime ses sentiments sur sa vie antérieure et ses états d'âme.... En faisant le choix d'utiliser la première personne du singulier, Victor Hugo veut transmettre au lecteur l'angoisse ressenti par le condamné.
Pourtant, Victor Hugo n'est pas dans la recherche de l'effet. le récit est froid. Au fond, il révèle peu de choses sur cet homme. D'ailleurs, l'opinion publique accueillera mal ce récit, ne comprendra pas.
Toute sa vie durant, Victor Hugo va lutter contre cette ignominie, cette tâche sombre dans la constitution de notre société. Tout d'abord dans ses livres et celui-ci en est le principal plaidoyer littéraire, mais forcément aussi politique, parce que le sujet est politique. En effet, ce texte constitue un magnifique plaidoyer pour l'abolition de la peine de mort. Plus tard, on retrouvera cet engagement dans d'autres oeuvres de l'auteur comme Claude Gueux, mais aussi dans l'Homme qui Rit, dans une des premières scènes de l'ouvrage où il décrit avec effroi la scène quasiment dantesque d'un gibet où pend un homme, qui vient s'offrir aux yeux ébahis de Gwinplaine, encore enfant. Derrière le paysage, un ciel lugubre, noir de corbeaux, accentue l'angoisse et la tragédie de cette vision...
Sur l'âge de Victor Hugo, s'il faut vraiment insister sur ce point, il s'agit donc ici d'un roman de jeunesse, soulignant, déjà avec une conviction lucide, la révolte face à la cruauté et l'injustice de ce châtiment suprême. Plus tard Victor Hugo portera ce sujet de manière obsédante et véhémente jusque dans l'hémicycle de l'assemblée nationale en farouche abolitioniste de la peine de mort.
Le roman n'est pas sorti de son imaginaire. Comme je l'ai évoqué précédemment Victor Hugo s'est nourri de scènes qu'il a vécues, peut-on appeler cela spectacles, les gens venaient assister aux exécutions capitales comme on se déplace aux jeux du cirque, au stade, à la corrida... Qui a-t-il au fond de différent aux yeux de beaucoup ? Victor Hugo s'en est indigné. Ici c'est une indignation sans relâche qu'il veut nous communiquer, il veut nous convaincre, il nous prend par les vêtements, il nous prend par le bras, pour peu il nous prendrait par le col, à la gorge, pour venir nous placer au plus près de cet homme, dans son haleine, dans sa respiration, dans ses battements de coeur, cet homme qui va mourir bientôt, la tête tranchée d'un coup et qui a peur. « Regardez cher lecteur, cet homme aura de son vivant bientôt la tête tranchée d'un coup ».
Il faudra attendre plus d'un siècle et demi pour que notre cinquième République lave enfin cet affront, cette tâche sombre faite à la République. Car la France des Lumières, la France des droits de l'homme, la France terre d'asile, a trimbalé cette guillotine, la veuve comme on disait autrefois, tout d'abord en place publique, puis plus tard dans l'arrière-cour glauque des prisons, et cela jusqu'en 1981, c'est-à-dire, presqu'avant-hier !
Robert Badinter n'eut de cesse de crier à la barre des tribunaux, devant les jurés : « vous ne vous rendez pas compte de ce qu'on vous demande de faire. La guillotine, qu'est-ce que c'est ? Prendre un homme vivant et le couper en deux morceaux ». Il vint le crier, lui aussi à la tribune de l'hémicycle devant l'assemblée nationale, au même endroit où 133 ans plus tôt, Victor Hugo disait : « [...] Messieurs, il y a trois choses qui sont à Dieu et qui n'appartiennent pas à l'homme : l'irrévocable, l'irréparable, l'indissoluble. Malheur à l'homme s'il les introduit dans ses lois. Tôt ou tard elles font plier la société sous leurs poids, elles dérangent l'équilibre nécessaire des lois et des moeurs, elles ôtent à la justice humaine ses proportions ; et alors il arrive ceci, réfléchissez-y, messieurs, que la loi épouvante la conscience [...] ».
La force du récit est de ne pas savoir la raison véritable, de prendre parti pour la cause de la peine... Il n'est pas question d'entrer en empathie avec le condamné. Victor Hugo n'en n'a que faire... C'est ici la force de son propos, ne pas laisser entrer l'émotion, le doute sur l'innocence ou la culpabilité de l'homme. Peu importe. D'ailleurs, à un moment du récit, le condamné reconnaît que c'est sans doute justifié au regard de ce qu'il a commis... Victor Hugo nous convoque seulement pour nous amener à porter un regard lucide sur la peine de mort. Et c'est efficace.
C'est un texte indispensable, intense et solaire, dont on n'en sort pas indemne.
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