- Je suis proustien, dit-il aussi.
- C'est quoi être proustien ?
- Être proustien, c'est ne pas avoir des jambes courtes et dodues, comme ta grand-mère. Tu verras plus tard, une longue phrase proustienne, c'est comme une belle femme. Ça doit évoquer des jambes longues, fines et interminables.
Le destin s'était présenté à grand-père sous la parure d'une femme berbère. Une folle ardeur l'avait poussé dans les rets de cette mante religieuse et les malveillances du hasard ont dicté la suite (...) C'était la guerre sous un toit.
Si tout est écrit d'avance, alors, que nous reste-il à écrire ?
Devant mes yeux, une pute donne un billet de cinquante dirhams à un policier en civil qui s'empresse de mettre l'argent dans sa poche. Le policier s'éloigne. Un mendiant tend la main au policier qui lui donne une pièce. C'est une bonne action, dit-on. Tout s'achète ici ! Même le Paradis.
Le Maroc est comme une horloge qui vous donne une heure, mais dont les aiguilles en affichent une autre.
La détresse sereine, grand-père passe ses journées assis sous le patio à panser ses plaies. Il tient un livre comme d'autres tiennent le Coran. Seulement, tous ces livres qui l'entourent ne servent qu'à colorer la tristesse qui enduit son visage. Il se réfugie dans du papier pour échapper à son mouroir. Il tourne une page et se laisse caresser par quelque chose. Il en tourne une autre et se laisse bercer par autre chose. Mais qu'attend-t-il donc ? Qu'un autre avenir sorte d'une page ? Il aurait dû comprendre que ce qu'il cherchait ne se trouvait pas dans les yeux de cette femme berbère. Plus tard, il me dira qu'il lit une phrase par jour. Une seule. Pas plus. Mais une belle. Puis plus rien, le reste de la journée; le silence et une cavale de l'âme.
Ma place n'est plus ici. Je quitte l'ensommeillement oriental pour les insomnies occidentales. Les derniers mots de grand- père sont : « Va apprendre la vie. Je te l'ordonne!»
J'emmène avec moi Du côté de chez Swann.
Mon avion décolle du côté d'ailleurs.
- Grand-père, pourquoi grand-mère crie ? (...) Pourquoi est-elle si méchante avec toi ?
- Tu sais, la terre est patiente. Elle attend que les humains soient bons.
- Tu as trop bu, grand-père, pour dire des choses pareilles (...)
- Je suis un athée scandaleux qui prône un athéisme parfait.
C'était le protectorat. La France était sûre d'elle-même. Arrogante, elle a imposé sa puissance. C'était une époque rugissante où les Français faisaient ce qu'ils voulaient sous le prétexte d'une "œuvre civilisatrice".