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Critique de ZahraAroussi


Charles Juliet dans ‘Lambeaux' disait :
« L'existence ne présente pas grand intérêt lorsqu'on n'a pour but que soi-même. »
Henry James, à travers cette nouvelle, nous plonge dans une sorte d'enfermement, un huis clos dans lequel on rencontre John Marcher, un homme à l'humble allure. A ses côtés, une femme, May Bartram, rencontrée dix années plus tôt quelque part en Italie et qu'il recroise par hasard dans une soirée mondaine. Avant même de l'aborder, il ne cesse de la regarder, il est taraudé par le sentiment d'avoir déjà connu cette femme de très près mais il n'arrive pas à restituer avec exactitude quand et où cela a eu lieu. C'est là qu'intervient May Bartram pour rectifier les informations qu'il pensait avoir sur leur dernière rencontre (par exemple, il croyait qu'il l'a connue à Rome mais en fait c'était à Naples). Puis sur un ton malicieux, elle ne manque pas de lui rappeler qu'il lui a confié un secret par le passé. Ce dernier consiste à la croyance délirante (et narcissique avouons-le) que Marcher est promis à un destin incroyable. En effet, d'aussi loin qu'il s'en souvienne, il a toujours été obsédé et pétrifié par le pressentiment qu'un événement bouleversant - exploit glorieux ou chute dévastatrice ? - le guettait. Que quelque chose, à un moment donné de sa vie, va surgir comme une bête tapie dans la jungle de son existence. Lors de ces retrouvailles, il lui avoue que dix ans après, rien ne lui est arrivé. May Bartram, en toute bienveillance, prend son cas très au sérieux et lui promet de le soutenir et d'attendre avec lui quand surviendra « la chose ». Les dialogues entre les deux personnages sont finement ciselés, ils sont à la fois d'une implacable lucidité et d'un ton énigmatique déroutant. le texte est d'une virtuosité narrative exceptionnelle, on s'immisce, sans s'en rendre compte, dans la peau de Marcher à l'affut de la « bête » en vivant de façon abrasive les émotions du personnage.
Henry James offre un récit qui questionne énormément l'emplacement de l'être dans son existence par rapport à la notion du « choix » mais aussi de l'importance de s'engager dans sa vie. Marcher incarne, selon le point de vue, l'image d'un héros tragique accablé par une attente inexorable. C'est un individu tiraillé entre ses idées et son ancrage dans la réalité qui le plonge dans l'incapacité de vivre réellement. Il mène sa vie au gré des jours. C'est en « choisissant » qu'on décide de forger notre Être, or ici, Marcher ne choisit pas. Il attend. Et dans cette attente pesante et égocentrée, Henry James, tel un Dédale, nous jette dans les pensées labyrinthiques de Marcher et c'est à travers un fin fil d'ariane qu'on essaye de suivre ses pas ainsi que du très peu de rais de lumière que l'auteur laisse glisser dans ce récit à l'ambiance feutrée. On l'aura compris, il s'agit avant tout de décrire la psyché et la complexité de l'être humain et ses perceptions. La nouvelle incarne avec brio ce que Henry James disait : « […] Dépeindre la vie des gens n'est rien, tant que l'on n'a pas décrit leurs perceptions ».
La fin, puisque Marcher est resté assis, les bras ballants, et ayant laissé passer les meilleures années de sa vie, suggère qu'il est passé à côté de la « bête » sans qu'il s'en aperçoive, donnant alors un dénouement des plus tragiques. Mais on peut y voir autre chose.
« La Bête dans la jungle » est l'une des plus difficiles lectures qu'il m'est permis d'avoir. En somme, il s'agit là d'un texte brillant et vertigineux, vous ne serez pas à l'abri d'un intense brassage de neurones.
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