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Critique de karmax211


Si l'on veut s'immerger dans ce que la langue offre de plus beau, si l'on est prêt à faire une cure littéraire, se laisser pénétrer, devenir perméable et bénéficier de ce que j'appellerais un phénomène d'imprégnation du génie des mots, de ce qu'ils véhiculent de plus haut, de plus fort, de plus noble en termes d'esthétique et dit prosaïquement de sémantique, alors il faut réserver quelques jours de sa vie dans les thermes de l'immense écrivain qu'est Henry James.
Pour mener à bien cette cure, il faut laisser derrière soi les mauvaises habitudes contractées en lisant de la littérature industrielle, des romans fast-food ou feel-good, qui ne sont en fait que les deux faces de la même pièce, et consentir au dépouillement, à la détox, à un retour ou à une approche de la lecture méditative, introspective, à celle qui fait abstraction de tout ce qui n'est pas ELLE, qui parasite, pour se fondre dans un roman de 800 pages... dans lesquelles il ne faut jamais laisser échapper le moindre mot, moins encore la moindre phrase.
Être suffisamment disponible et patient pour ne pas craindre d'avoir à revenir une ou plusieurs fois sur un mot, une phrase, un paragraphe ou une page déjà lus.
Ce n'est qu'à ce prix que la lecture vous sera profitable, que vous sentirez au dernier mot de la 800ème page que votre cure a été bénéfique.
Non pas qu'elle aura fait de vous un lecteur débarrassé à tout jamais de ses scories que sont les mauvaises habitudes, les tentations qui guettent et auxquelles on ne résistera pas très longtemps, ne serait-ce que parce que y succomber est une façon comme une autre ou presque de se défaire (provisoirement) de ladite tentation.
Elle vous aura permis de tutoyer le temps d'une parenthèse l'Olympe de l'art littéraire, sous le regard bienveillant d'Apollon.
Il serait frustrant de se dire qu'ayant goûté à l'ambroisie littéraire, on est condamné à retrouver les "piquettes" et à s'en satisfaire à défaut de pouvoir être à nouveau invité à la table des dieux.
Ce serait absurde de voir la chose ainsi.
Ce que vous aurez fait une fois, vous pourrez le refaire.
James n'a pas écrit, "dieux merci... !", qu'un seul livre.
D'autres n'attendent que vous.
À ce moment de mon invite à une cure de littérature, il devient plus que normal de vous impatienter et de vous interroger sur ce que cette belle langue raconte, de vous exclamer : c'est bien beau tout ça, mais il parle de quoi ce livre ?
Moi de répondre :
d'une histoire a priori plutôt banale : une captation d'héritage.
Un thème somme toute cent fois visité.
Oui mais Henry James est un diable d'écrivain.
Imaginez des paysages peints par d'excellents paysagistes.
On peut avoir l'impression d'avoir affaire à des "copistes".
Sauf si le paysagiste se nomme Cézanne ou Van Gogh...
Donc, deux amants très épris sont prisonniers de leur trop modeste condition.
Pour le dire de manière triviale : ils sont fauchés
Elle, Kate Croy, est la plus belle jeune femme de Londres et une personne remarquablement intelligente, une aristocrate déchue, aux mains de sa tante Maud, femme riche et ambitieuse, qui a pour l'avenir de sa nièce de "nobles" projets... dont est exclu Merton Densher, l'amoureux de Kate, journaliste sans fortune et sans avenir.
Aux États-Unis vit une séduisante jeune fille, orpheline et richissime, Milly Theale dont la meilleure amie Susan Stringham fut jadis très liée à Maud Lowder.
Un voyage en Europe est envisagé par nos deux Américaines.
Voyage dont l'épicentre va être Londres.
Susan, très préoccupée par la santé très fragile de Milly, sa jeune protégée, va la présenter à Tante Maud et à Kate.
Coup de foudre des deux femmes pour celle que Kate qualifie de " colombe"...
Entre les deux jeunes femmes naît une "profonde" amitié.
Jusqu'au jour où Milly apprend que Morton Densher, ce jeune journaliste qu'elle a croisé lors d'un séjour professionnel à New York et dont elle s'est éprise, est un ami proche des deux Londoniennes.
Les deux amants sachant que l'espérance de vie de Milly ne tient à presque rien vont se servir du sentiment de la jeune colombe pour Morton.
Kate est des deux la plus froide, la plus calculatrice, la plus manipulatrice et la plus déterminée.
Morton est le maillon faible du couple. Celui que sa conscience ne laisse pas en paix.
Mais il est faible et amoureux ou faible parce qu'amoureux ?
Kate n'est-elle pas allée jusqu'à se donner à lui pour qu'il accepte de tromper la pauvre colombe !
La mort va se jouer à Venise... c'est presque un classique du genre.
Entre les un(e)s et les autres, c'est la lutte des âmes, le jeu pervers des contradictions, de l'amour de la haine.
Les intrigues sentimentales mues par l'appât du gain, et le gain est immense, créent un vortex, des dédales tortueux, des méandres obscures, au sein des âmes des protagonistes en proie à tous les déchirements, prêts à toutes les vilenies... parce que ainsi va l'humain... et n'en doutez pas... ça vaut bien un bon polar !
La colombe que l'amour parvenait à garder en vie finira, par la trahison ourdie par ( ? ), par déployer ses ailes, non sans avoir accompli un dernier acte d'amour et d'héroïsme...
Au final "dans cette nouvelle variation sur un thème qui l'a obsédé toute sa vie (l'écrivain n'est-il pas par essence condamné à manquer sa vie, étant condamné à ne la vivre qu'à travers les livres), l'innocente colombe (Milly, une riche héritière) triomphera du sordide complot ourdi contre elle par un couple d'amants désargentés. Densher, le jeune homme qui devait la séduire pour s'emparer de sa fortune, sera converti à l'amour véritable, il préférera la mémoire de la morte à la présence de Kate, son amante."
On retrouve dans ce roman les thèmes chers à Henry James : l'opposition entre la jeune Amérique moins corrompue que la vieille Europe, le pouvoir de l'argent, le dévoiement des hommes face aux apparences, l'obsession de la mort...
Une très, très grande lecture qui se caractérise et se singularise selon Bertrand Poirot-Delpech "par une accumulation patiente de menus faits et de fines analyses."
Mais ces menus faits et cette accumulation de fines analyses finissent par former un bloc narratif romanesque de haute volée qui, en dépit de ses exigences, séduit le lecteur... patient.
Précisons que tout n'est pas dit dans ce roman.
Tout n'est pas explicité.
Le mal dont souffre Milly n'est jamais nommé...
La malfaisance dont s'est naguère rendu coupable le père de Kate... ses indélicatesses restent dans le flou.
Ce n'est pas frustrant si l'on se dit que le lecteur n'est pas qu'un oisillon affamé qui n'attend que sa becquetée.
Il lui faut apprendre à attendre que poussent ses ailes pour pouvoir voler hors du nid.
Peut-être croisera-t-il lors de son envol les ailes d'une colombe ?...
Un classique.
Un chef-d'oeuvre.



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