Mon Dieu ! Ce monde se meurt, et ma plus grande infortune a été de vivre ma vie dans ce monde mourant. L'astre chaud commence à paraître, comme les contrastes qu'engendre sa lumière. L'océan resplendit sous le feu encore timide qui sort peu à peu de sa tanière lointaine. Des langues commencent à bien s'animer sur Erich, mais, dans le dortoir, ça dort encore. Je demeure au vieux hublot, à contempler le versant du monde qui s'offre mes yeux. Hélios tutoie Poséidon. C'est une voluptueuse danse de dentelles que forme, dans mon esprit à moitié ivre, le reflet des eaux illuminées, sur quelques surfaces opaques que j’aperçois du bateau. Je vois des rochers longilignes. Tendus entre les deux azurs, ils s’élèvent si haut ! Ils sont autant de ponts entre la mer et le ciel, ils sont les cheminées de l'Atlantique ... Mais, voguons-nous toujours bien sur l'Atlantique ? D'après ce paysage assez rocailleux, j'envisage une île. Oui, pour moi, la terre est proche. Ses enfants nous accueillent déjà !
Pour moi, il est trop tard pour tout. On me fustige, toutes les langues s'enflamment et se libèrent, me dardent des injures aux significations obvies, pointues... On ne dit pas directement que je suis l'assassin de madame Kust. On use et abuse de circonlocutions. Enfin, on m'impute incidemment ce crime odieux, allant jusqu'à invoquer de spécieux motifs, des arguments captieux, des paralogismes dignes d'un sophiste sans vergogne, pour m'atrophier définitivement, en m’étouffant dans l'épais voile de l'apparence... C'est l'histoire de toute ma vie.
Peut-être que rien n'est plus homogène que le néant... Que la perfection formelle ne peut se trouver qu'en lui... Puisqu'il nous demeure (à nous, êtres vivants dans un monde vivant), jusqu'à preuve du contraire, absolument ou positivement inaccessible, je peux dire ce que je veux à son sujet. J'ai le champ libre, pour ainsi dire. Une telle attitude ne fera que témoigner, une fois de plus, de l'impuissance qui est indissociable de ce que je suis, et qui serait comme le revers de ma puissance intrinsèque. Ah, chère faculté d'invention !
Je remarque son collier de perles...
- J'aime beaucoup votre beau cou.
La femme, qui rêvait à je ne sais quoi, sursaute et se met à rire. Elle ne rit pas aux éclats, certes, mais elle rit bien !
chaque visage est comme un arc-en-ciel
Axel Janvier lit sa nouvelle Le dernier lecteur