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Critique de sachaburian


Tout commence bien. Très bien même. Roman d'apprentissage fleuve desservi par une plume ample et classique, on suit les déboires de Cyrille qui nous entraîne dans ce qui ressemble au grand roman d'une génération. On se plaît à se dire qu'il y a un je ne sais quoi de chef d'oeuvre en sommeil, un faux-air du formidable Triomphe de Thomas Zins de Matthieu Jung, roman d'apprentissage magistral.

Et puis de petites phrases sèment le doute. Des pointillés qui deviennent vite des coups de pinceau et terminent en monochromes mastodontes. L'auteur, obnubilé par sa vision réactionnaire des temps contemporains, en oublie tout le reste : ses personnages, son intrigue, sa fiction (mais quel dommage !) qu'il délaisse au profit de son message. Las ! Cyrille et les autres ne deviennent plus que des pantins servant des scènes qui s'égrènent comme un catalogue d'exemples idéologiques maladroits d'on ne peut plus rien dire !, d'à bas le politiquement correct !, une succession pataude de clichés lourdingues. Alors forcément le roman s'étiole. La fiction s'effondre et le lecteur perd pied. On n'entend plus que le tintamarre de l'auteur, ses jérémiades contre le racisme anti-blanc et le totalitarisme des bien-pensances, toutes les scènes donnant lieu à une pique contre (et dans le désordre) : les villes dénaturées par les zones commerçantes des beaufs ou les mosquées des Musulmans (eux même victimes de l'instrumentalisation qu'en font ces décidément bien nocifs « progressistes » - sorte de mot fourre-tout dans l'intellectualisme d'extrême-droite), les intellectuels censeurs de gauche (avec un personnage totalement ubuesque sorte de figure improbable à la croisée entre BHL et Juan Branco), les « féminismes » (autre mot fourre-tout) qui cherchent à faire chanceler l'autorité (de qui de quoi ? sûrement de l' « homme blanc moyen ») et donc devant tant de litanies attendues, l'horizon du chef-d'oeuvre s'évapore pour devenir une démonstration scientifique boursouflée et prétentieuse des thèmes chers à Valeurs Actuelles/Répliques/Revue Éléments/Nouvelle droite/Figaro magazine/L'heure des pros et autres contestataires réactionnaires (qui se qualifient plutôt d'antimodernes, – délicieuse métaphore) et qui, nantis de leur mépris de classe d'aristocrates dandys (qu'ils déguisent en chouannerie contre le progressisme moderne) s'indignent de voir que les manants, tout en bas, aient le culot de vouloir que les choses changent – un tout petit peu et qui considèrent que la féminisation de professeur(e), le changement d'un titre de livre d'Agatha Christie ou l'odieuse volonté des femmes de partager tâches ménagères et charge mentale sont le signe avant-coureur d'une débâcle civilisationnelle, de l'abdication des racines de l'Europe chrétienne, de la soumission à l'Islam et son grand remplacement et autres foutaises obsessionnelles et pourtant furieusement tendance depuis dix ans. Retour feutré et germanopratin de l'immonde, qu'on ne s'étonne plus de trouver partout désormais, même chez Gallimard, qui n'est pourtant pas – encore ? – dans le giron du grand argentier en chef le sieur bigouden Bolloré. Et alors, même la plume pourtant élégante de l'auteur, certainement pas dénué de talent littéraire commence à sonner faux, comme un manifeste du bien-écrire français, qui était forcément mieux avant, à l'époque des Mallarmé, des Chateaubriand, des Flaubert comme si la langue ne pouvait pas ou ne devait pas évoluer et que la « moderniser » n'était qu'une manifestation de plus de l'abêtissement sociétal, de la pauvreté du français condamné à se décomposer dans un idiome hybride mêlant l'arabe et l'écriture inclusive (cette caricature n'est malheureusement pas si éloignée de certaines saillies du pavé qui en regorge).

Sûrement le plus odieux dans tout cela c'est que l'auteur – et tous ses autres acolytes littéraro-médiatiques – abonnés aux tribunes de Causeur, aux tables-rondes du Figaro ou aux micros de Finkielkraut – se voient en révolutionnaires "apolitiques", en derniers Mohican dans un pays noyé par le fléau du « progressisme », alors qu'ils ne sont rien de moins que les ixièmes chantres du c'était mieux avant, les mêmes que ceux d'hier et d'avant-hier et du siècle dernier et de jusqu'aussi loin que remonte l'humanité – sorte de hantise générationnelle assez triste finalement comme une peur de son propre déclin –, dans une rhétorique tellement éculée, tellement dépassée et surtout tellement détestable lorsqu'elle se pense singulière et ne trahit finalement que la connerie.

Parenthèse nécessaire ici : qu'on ne pense pas que l'idéologie de l'auteur soit condamnable per se, il a bien le droit de penser ce qu'il veut et des réacs ont écrit parmi les plus belles pages de la littérature mondiale. le problème ici, c'est que le texte se laisse déborder par l'idéologie d'extrême-droite qui la sous-tend au point de finir par devenir à une caricature de ce qu'il dénonce. Je reprends ici à mon compte une des citations de l'auteur, que lui adresse à la littérature « progressiste » et qui décrit parfaitement ce texte : « En général, on lit quelques lignes, quelques pages et l'on comprend que l'auteur racole le lecteur à coups de bons sentiments, d'indignations comme il faut, de révoltes bien coiffées. » Inversez la citation et vous aurez la Poursuite du Bonheur ou comment (mal) déguiser un manifeste politique en roman.

C'est d'ailleurs et peut-être le seul point jouissif du livre : ce grand raté de l'auteur qui conduit ses lecteurs « progressistes » à adorer ce texte, où ils pensent lire une farce parodique et cynique sur des réacs bien crétins.
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