AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Judith Wiart (Autre)
EAN : 9791097339555
70 pages
Editions du Volcan (24/08/2023)
4.67/5   3 notes
Résumé :
Les souvenirs du rugby ennoblissent la mémoire de ceux qui l'ont pratiqué.

Et si le rugby était une sociologie à l'usage du monde ? Et si ce jeu d'enfants, tout d'abord, puis d'hommes et de femmes dans la force de l'âge, établissait vraiment « la proportion idéale entre les hommes » comme l'affirmait Jean Giraudoux ? C'est en tout cas ce que semblent penser tous les protagonistes qui peuplent et parfois hantent ce recueil. Pour la plupart, il s'agit d... >Voir plus
Que lire après Le ciel a des jambes : Mélancolies ovalesVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Trente-six nouvelles pour peut-être bien saisir, dans les creux et les bosses d'une rêverie poétique argumentée, ce que serait une âme du rugby.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/03/27/note-de-lecture-le-ciel-a-des-jambes-benoit-jeantet/

Au moins depuis « Nos guerres indiennes » en 2014, on sait que Benoît Jeantet sait distiller comme bien peu le savent une poésie de la mélancolie qui parvient à suggérer les défaites passées sans s'y appesantir, avec un sens tout bravache de la minutie qui ne lâche pourtant rien. Lorsqu'il applique cet art si spécifique à sa passion du rugby, on obtient, bien loin des clichés mais en phase étroite avec le ressenti des véritables pratiquants et amateurs, des beautés telles que les trente-quatre nouvelles de « Comme si le monde flottait », en 2016.

Qu'il décide d'un champ opératoire plus restreint, sur le même sport-passion, ou qu'il y affûte sa focale en se concentrant sur un « après » des (dites) plus belles années, lorsque le corps n'est plus tout à fait à la même hauteur que ce dont se souvient pourtant bien l'esprit (on songera sans doute parfois alors, sur le terrain si voisin et si différent qu'est celui du football, à la belle nouvelle d'Olivier Martinelli, « Les vétérans du Stade Balarucois », en 2012), et voici une infusion intense de quelque chose qui se refuse pourtant à se laisser appeler nostalgie – quelque chose d'à la fois plus fort et plus diffus : les trente-six nouvelles (comme autant de chandelles bien frappées, évidemment, diraient l'arrière ou l'ouvreur) de « le ciel a des jambes », publiées aux éditions du Volcan en août 2023.

Nous promenant des stades municipaux parfois devenus de fortune aux arrière-salles fiévreuses et plus vraiment taiseuses des troisièmes mi-temps, des souvenirs qu'il ne s'agit jamais de gâcher aux mémoires de jours enfuis et de personnes disparues (ou trop changées), des voyages en projection ou en réminiscence aux compositions qui ne doivent pas se faire compromissions, il y a ici à l'oeuvre tout un travail souterrain de définition de ce qui constitue, peut-être, une âme du rugby, à travers ce qu'elle dépose chez ses pratiquantes et pratiquants, longtemps après que le zénith de leur performance (quelle qu'elle ait pu être, alors) soit passé. Et la forme juste pour une telle entreprise est bien celle choisie ici par Benoît Jeantet : non pas l'essai, non pas le récit factuel, mais bien la nouvelle acérée, en forme de rêverie argumentée et néanmoins toujours poétique. Et c'est ainsi que l'on se laisse gagner par un charme qui vaut largement celui des malices de ces trois-quarts qu'il sait si bien décrire et partager, en un sourire songeur.
Lien : https://charybde2.wordpress...
Commenter  J’apprécie          30

Citations et extraits (3) Ajouter une citation
« Être heureux prend du temps. » Et je revois le sourire crispé de cet ancien journaliste qui rédige sur un bout de nappe – « une manière comme une autre d’amortir la chute interminable qui commence le jour où vous tombez en retraite » – les résumés de match pour le journal du club. Il y en a, ici, dont la bouche sent le ragot et l’aigre, pour oser prétendre que s’il a accepté de le faire, c’est uniquement parce qu’il « se bourre la gueule à nos frais ». Mais je l’ai toujours vu régler la note. Se tenir au comptoir comme autour de la main courante. Lucide. Toujours. Et surtout à l’écoute. Et lui, au moins, je ne l’ai jamais surpris au point où d’autres s’abaissent avec complaisance en dessous d’une certaine hauteur d’humanité.

Je revois le sourire de cet ancien journaliste que tous ces on-dit laissent de marbre. « Voyez-vous, jeune homme, celui qui rend service doit se taire, c’est à celui qui l’a reçu de parler. C’est de Sénèque. Connaissez-vous Sénèque ? Les gens parlent. Parler les maintient en vie. Plus ils parlent et plus, au fond, ils espèrent que quelqu’un leur réponde. Mais le grand jeu de questions-réponses auquel se résument parfois nos maigres existences, croyez-moi, c’est comme vivre, à la longue, ça fatigue. »

Et il a ce sourire de vieux tailleur de pierre à qui on ne la fait plus quand ses mains se remettent à trembler au moment où il lève son verre vers le mien.

C’est l’heure où les « gros » repartent, quelques packs de bière à la main, s’isoler dans un coin moite de la buvette. Le match est joué-perdu depuis longtemps et sans doute ressentent-ils le besoin de s’inoculer encore un peu de cette semence amère au creux des reins. Une manière, m’a-t-il expliqué un jour, de se dire « ces choses » qui restent aussi mystérieuses que les les sortilèges de la langue basque et c’est là-bas, à l’abri pudique des regards, qu’ils s’enchaînent à l’amour du combat, ce moment à part où les voix enfin se taisent, où les cœurs à nouveau se tendent, par les liens particuliers de la sagesse tacite qui les unit depuis que ce jeu existe. Si longtemps qu’il existe. Longtemps que les gens y jouent. Qu’ils ne souhaitent rien d’autre. Jouer, c’est tout. Sans justification.

Éparpillés autour d’un reste fumant de côtelettes, une poignée nettement plus joyeuse de trois-quarts préfère oublier tous ces ballons vomis à la lisière de leurs empreintes digitales. Et dans l’ennui d’une fin de troisième mi-temps qui s’éternise, leurs mains se tordent dans l’impatience qu’ils ont d’aller voir, mais surtout loin d’ici, s’il serait encore possible de prendre quelques dupes au piège de leurs charmes. Je sais bien qu’ils m’attendent mais d’un léger hochement de tête, j’indique que, non, désolé, les gars, ce sera sans moi. Et ce soir peut-être plus encore qu’après chaque défaite, j’ai un goût de crépuscule dans la bouche.
Commenter  J’apprécie          10
Décidé ce matin de mettre mes vieux héros sous cloche. Au début, ils avaient l’air plutôt contents de quitter la nuit sans fin du sous-sol où j’entrepose mes souvenirs. Les bons. Les mauvais. Les brutaux. Les truands. Mon sous-sol aux souvenirs ressemble à une immense rue de la truanderie. Une immense rue gisant six pieds sous terre. Les bâtiments qui la bordent de part et d’autre ressortent tous d’une architecture différente. Ici un saloon qui s’ouvre sur une sorte de club-house désuet. Plus loin, un terrain de rugby. (…)
En dehors de ce lieu clos sur lui-même, tous ceux-là n’auraient rien à voir, rien à faire les uns avec les autres. Ensemble. Les classes sociales sont à cette époque beaucoup plus marquées qu’aujourd’hui. Sauf qu’ici une étrange magie opère. Lorsqu’il pousse la porte, qu’il se faufile, pattes douces, le gamin est à chaque fois témoin de cette aventure commune un peu hors sol. une aventure dont chaque nouvel épisode s’écrit, d’un dimanche à l’autre, court sur la semaine, bat les rues, les campagnes, rythme les coeurs au quotidien, le temps d’alimenter les souffles. Le temps de vivre le plaisir et la mâle innocence d’une rencontre. De survivre à l’après-match avec le secours de quelques fables. L’après-match, ce moment si particulier où tout reste souvent à refaire, défaire. Et c’est comme si tous ces hommes aux profils tellement disparates faisaient encore un pas de plus pour ne faire qu’un. Comme si leurs cœurs s’agrégeaient, après la fatigue des corps, par la seule grâce de l’amitié. Cette amitié virile, il y a beau temps que ce garçon en est convaincu, n’a pas son pareil pour cimenter les différences. Surmonter les écarts que la société a toujours pris un malin plaisir à creuser entre les gens. Lorsqu’on vous apprend très tôt qu’il sera toujours plus difficile de remonter d’un cordonnier que de descendre d’un marquis, un club-house a au moins le mérite d’entretenir l’espoir de l’avènement, un jour prochain qui sait, d’un monde sans barrières. (…)
Décidé ce matin de mettre mes vieux héros sous cloche. Au début, ils avaient l’air plutôt contents de quitter la nuit sans fin du sous-sol où j’entrepose mes souvenirs. Les bons. Les mauvais. Les brutaux. Les truands. Mon sous-sol aux souvenirs doit ressembler à une immense rue de la truanderie. Cette rue, c’est Babylone. C’est l’Atlantide. Un stade municipal d’un autre âge. Un stade pour un Règlements de compte à O.K. Corral où se rejoue chaque dimanche une nouvelle version de La Charge héroïque. Un stade de rugby bâti comme une nef très ancienne qui a connu le cœur de bien des ports. Echappé à bien des périls, on s’en doute. Sur la mer ou au large d’îles défendues par des récifs cannibales. Cette nef échouée en cale sèche, comme plantée au milieu d’un désert de souvenirs tel un vieux décor de cinéma. Un bric-à-brac fantôme qui a failli être emporté bien des fois par la violence des vents. Lorsqu’ils soufflent, les vents lèvent une odeur de chose qui ne sert pas. Plus. Une odeur d’âge d’or.
Commenter  J’apprécie          00
Les enfants s’excitent dans le jardin et ce sera bientôt l’heure de la petite partie de rugby à toucher. Une sorte de rituel hebdomadaire. Je ne sais plus trop, à vrai dire, de quelle époque date cette habitude qui veut que dans la famille de mon vieil ami, chaque dimanche, oui quasiment, les « anciens » défient les plus jeunes, à moins que ce ne soit plutôt l’inverse. J’imagine que le succès de tous ces dimanches de la vie repose, encore et toujours, sur ce rêve immense et dispersé qu’ici on nomme rugby, ailleurs musique, cinéma ou littérature, et tout cela n’est jamais qu’une manière comme une autre de perpétuer les belles tragédies de la jeunesse. Un subterfuge astucieux qui permet aux gens un peu sur l’âge de prendre à revers le sentiment de solitude qui peut vous chavirer le cœur au milieu d’une bande de verres vides. Parce que notre petit empire prend un peu la poussière.
La veille, j’ai pris un train pour rejoindre notre vieille bande. Le club dont j’avais défendu les couleurs à l’époque de nos vingt ans battait de l’aile. Une trésorerie en souffrance. Des installations qui menaçaient ruine. Une réunion « entre anciens » était prévue pour mettre en œuvre un plan de sauvetage. Le temps jouait contre nous mais il fallait bien faire quelque chose. Quelques-uns mettaient déjà la main à la pâte. Certains prenaient sur leur temps libre pour réaliser des travaux de maçonnerie. Et puis des heures passées au téléphone, pour d’autres, partis en quête de partenariats locaux. Moi aussi, j’ai voulu apporter ma contribution. Je n’étais pas en mesure d’affronter la mort, non, pas maintenant. La veille, alors et presque sans réfléchir, j’ai donc pris ce train pour retrouver mes anciens complices. C’était, vous savez un de ces gestes en pure perte qu’on a l’impression d’accomplir au nom de la morale et de la liberté.
Commenter  J’apprécie          00

autres livres classés : rugbyVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus



Lecteurs (5) Voir plus



Quiz Voir plus

Coupe du monde de rugby : une bd à gagner !

Quel célèbre écrivain a écrit un livre intitulé Rugby Blues ?

Patrick Modiano
Denis Tillinac
Mathias Enard
Philippe Djian

10 questions
861 lecteurs ont répondu
Thèmes : rugby , sport , Coupe du mondeCréer un quiz sur ce livre

{* *}