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Critique de mesrives


Il y a longtemps que j'espérais retrouver l'écriture de Carsten Jensen, le souvenir et le plaisir de lecture de la première traduction française d'un de ses romans, Nous, les noyés sont restés ancrés dans ma mémoire, intacts. Aujourd'hui, le dernier voyage terminé, le livre bien écorné j'avoue que mon attente a été récompensée.

Il était une fois sur une île danoise un fils de tailleur qui s'était mis à rêver d'une seule toile, non pas d'une de ces étoffes que travaillait son père ni une de celles qui gonflée par les vents emportait au loin ses concitoyens sur les mers du monde entier mais bien celle sur laquelle il souhaitait peindre pour y faille jaillir la beauté. Il devint au fil du temps un peintre obsédé par une couleur, le bleu cobalt, une couleur qui le poursuivit sa vie entière et le hantait, se cachant dans les yeux de ses figures ou dans les reflets des nombreux icebergs dérivants dans les fjords groenlandais de ses vues.
C'est l'histoire de ce petit bonhomme à la santé fragile, aîné d'une fratrie de onze enfants, élevé par un père protestant que Carsten Jensen nous invite à découvrir en nous en livrant les secrets et les tourments.

1893, sur un des quais de Copenhague une silhouette se dégage de toutes les autres. C'est Jens Erik Carl Rasmussen déjà âgé d'une cinquante d'années en partance pour le dernier voyage à bord du navire de la Compagnie royale de commerce du Groenland, le brick le Peru qui assure une ligne régulière de ravitaillement vers les colonies arctiques sous le commandement d'un capitaine expérimenté. Carl dont la renommée n'est plus à faire ne sait toujours pas si ce projet est le bon, retourné au Groenland une dernière fois à l'automne de sa vie en laissant derrière lui dans la grande maison de Marstal son épouse et ses huit enfants. Il n'a pas de réponses, envahi par le doute, encore à la recherche de l'équilibre entre sa vie d'artiste et celle d'époux et père de famille, l'esprit encombré par d'incessantes interrogations sur son art, nous sommes en plein âge d'or de la peinture danoise et il côtoie un temps les peintres de l'école de Skagen, il essaie en tout cas de croire, de se persuader que ce second voyage effectué vers l'inlandsis vingt ans après le premier lui redonnera ce coup de fouet qui lui manque pour révéler enfin ses talents hors des codes de l'Académie royale de peinture de Copenhague et ne plus être ce peintre bridé par les conventions esthétiques de son temps.

Voilà le cadre mais je ne vous en dirais pas plus cependant peut-être imaginez-vous déjà un tableau, la première de couverture représente une partie d'une de ses huiles sur toile Baleine à bosse et voilier dans le détroit de Davis datée de 1870 mais il manque la baleine c'est bêta mais au final pas tant que cela car dans la baleine peut se cacher un Jonas et un Jonas il y en a bien un dans cette histoire, c'est le prénom d'un inuit rencontré lors de son premier voyage et dont le souvenir ne l'a jamais quitté !

Jens Erik Carl Rasmussen, un peintre tourmenté, habité par des fantômes et des ombres.
Un artiste qui ne voulait pas peindre la face obscure de l'être humain.
Un homme qui s'ouvre à une autre culture, le premier à peindre les Inuits dont il avait su capter l'intensité métaphysique et spirituelle ainsi que leur lien indéfectible avec la nature.
Un homme et ses rencontres, balancé entre révélations et visions, fasciné par l'inlandsis, la toile blanche de Dieu.
Le dernier voyage, une toile blanche traversée par une traînée de bleu cobalt, l'inlandsis aveuglant, étincelant et ses reflets bleutés…

Carsten Jensen encore une fois a su m'emporter, son travail très documenté, sa collaboration avec les descendants de la famille de Rasmussen, ses amis et les habitants de Marstal sur l'île d'Aero, dont il est originaire, permettent une immersion complète dans la vie quotidienne et artistique de ce peintre danois du 19ème siècle. de plus la structure narrative agrémentée par de nombreux retours en arrière entraîne le lecteur dans le travail introspectif de l'artiste. Les nombreuses anecdotes et les détails historiques riches d'enseignements comme la vie des colonies groenlandaises régies par des pasteurs déclassées pour ivrognerie, l'évocation de l'installation du premier missionnaire du Groenland Hans Egede, ne font que rendre le récit plus fascinant et attractif.

Une réussite. Un roman passionnant, un portrait réaliste à la fois saisissant et troublant.
Le dernier voyage, paru en 2014 et traduit par Alain Gnaedig, est une dense et magnifique biographie romancée.


Né à Ærøskøbingen en1841, Jens Erik Carl Rasmussen fut avant tout un peintre de marines et de vues du Groënland. Il fut l'élève de l'architecte, Hans Holm, du peintre animalier Johan Didrik Frisch, de Christian Vilhelm Nielsen puis du peintre paysagiste Carl Frederic Aagaard lorsqu'il rentre à l'Académie de Copenhague de 1862 à 1866. Il se fit connaître à l' Exposition du Printemps de Charlottenborg en 1863, il exposa par la suite à Vienne en 1873 et à Munich en 1879. Il signa ses toiles toujours par ses initiales JECR. A Aero, son île natale, il réalisa un tableau d'autel dans l'Église de Marstal, une commande intitulé Jésus au lac de Tibériade conjurant la tempête dont les modèles sont tous originaires de cette île, encore une histoire de cette histoire !
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