C’était un coin rêvé pour des gosses. Aujourd’hui, ça m’étonne toujours les « réalisations pour enfants » dont parlent les architectes, il y a dans les nouveaux squares des nouveaux immeubles des bacs à sable, des toboggans, des balançoires, des tas de trucs. Conçus exprès, pour eux, par des experts possédant trois cent mille licences de psychologie enfantine. Et ça ne marche pas. Les enfants s’ennuient, le dimanche et les autres jours
Pas drôle la guerre, hein ? Le S.S. a eu un sursaut. Ce devait être la première fois qu'un Français lui adressait la parole et il a sauté dessus comme sur une aubaine. — Non, pas drôle
Au café, Raoul arrivait avec sa femme. Là, ça repartait de plus belle, Raoul, était plus lucide que son père, il n'était plus très sûr, lui, de la victoire de l'Allemagne, il prévoyait des difficultés, de graves obstacles, la "masse technologique américaine" en particulier. J'ai cru longtemps que les Américains avaient inventé une arme fabuleuse, un marteau géant, une masse qui broyait les armées allemandes par divisions entières.
Il y a des moments où il suffit de peu de chose pour que la vie continue ou qu'elle s'arrête.
Près de lui, Marcelle Mancelier. Il suffit de la regarder pour ne pas avoir envie de la décrire.
Sur la place, nous croisâmes la relève de la garde. Les soldats [italiens] suaient dans leurs uniformes, ils avaient le fusil sur l'épaule, le dernier également mais il serrait dans sa main libre le manche d'une mandoline.
_ Tiens, rigolo.
Je le regarde et prends la bille qu' il me rend.
Un frère est quelqu'un à qui on rend la dernière bille qu'on vient de lui gagner.
Je suis donc son ennemi ?
On ne s'est jamais vus, je ne lui ai rien fait et il veut me tuer. Ce n'est qu'en cet instant que je comprends un peu Maman ou des gens qui venaient au salon à Paris et que j'entendais discuter, ils disaient que la guerre était une chose absurde, stupide et cela ne me paraissait pas juste. Il me semblait qu'il y avait dans la lutte armée un ordonnancement, une raison d'être qui m'échappait mais qui existait dans le crâne des gens importants et responsables. Aux actualités, les régiments défilaient en bon ordre, bien alignés ; les chars roulaient en longues lignes, des individus à mine grave, cravate stricte ou poitrine constellée discutaient avec force et conviction. Comment pouvait-on dire que tout cela était absurde ? Ceux qui le disaient ne comprenaient pas, ils tranchaient, dans leur ignorance, mais la guerre aux yeux de l'enfant que j'étais ne ressemblait en rien au chaos, au désordre, à la police. Même dans mon livre d'histoire, en plus des belles images qui me la rendaient pittoresque et exaltante, on me l'avait représentée entourée d'accords, de traités, de réflexions, de décisions... Comment penser que Philippe Auguste, Napoléon, Clemenceau et tous les ministres, les conseillers, tous ces gens pleins de savoir, occupant les postes les plus élevés ait été des fous ?
C'est toujours lorsque l'on s'en va que l'on s'aperçoit que l'on s'est attaché aux choses.
"Les juifs sont des hommes, les juives sont des femmes, tout n’est pas permis contre eux, contre ces hommes, ces femmes, ces pères et mères de famille. Ils font partis du genre humain. Ils sont nos frères comme tant d'autres.
Un chrétien ne peut l'oublier.
Ce message circula en France en septembre 1942. "
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