Eh bien voilà un roman graphique adapté d'un roman dont on ne ressort pas indemne? Comme certains lecteurs de Babelio, il m'a fallu laisser passer un peu de temps pour écrire cette critique car j'avais un peu la tête à l'envers d'avoir vécu les parcours des ces être en errance.
Tout commence un été chaud, dans un bois, où deux adolescents massacrent un chien par vengeance et par bêtise. L'un porte le maillot de l'équipe de France attribué au célèbre numéro 10
Zinédine Zidane. L'autre, Jonas, porte les cheveux longs.
Ils reviennent ensuite vers leurs maisons qui semblent un peu en décrépitude, sortes de fermes avec plein de matériels et de matériaux plus ou moins à l'abandon. Ce hameau, La Fourrière, semble perdu au milieu de nulle part. le barbecue est un fut d'huile coupé en deux.
La cuisine est dans le même état : envahie par les mouches que le célèbre papier tue-mouche collant et gluant, tombant du plafond n'arrivant pas à éliminer les drosophiles. Idem au niveau du réfrigérateur et l'évier est rempli de vaisselle sale. Rien de bien ragoûtant, rien qui donne envie de rester.
Tout de suite, on ressent une atmosphère tendue entre ce jeune ado et son père. Sa mère est partie 3 jours chez sa soeur. le père pose des règles strictes mais se montre humiliant pour son fils. le jeune a un oncle qui a fait de la prison.
La vie est rythmée par des fêtes entre adultes où l'alcool est de la partie, les adultes étant ivres devant leurs enfants qui testent aussi la boisson.
Les adolescents vivent leurs vies en parallèle de celle des adultes, faisant leurs expériences. Ils vivent les plaisirs simples (ou pas) de la campagne : participation aux travaux des champs, les repas animés, les bals, le déplacement des charognes des moutons... Leurs véritables évasions, ils la prennent chez une vieille dame, qui les accueille et leur permet de regarder sa télévision. C'est le lieu de rassemblement des gamins comme cela l'a été celui de leurs parents. C'est un peu le foyer des jeunes, la maison de la culture ou le bar du coin pour d'autres.
La vie s'écoule lentement. Les jeunes ne sont pas malheureux tant qu'ils n'ont pas de moyens de comparaisons. le jeune au maillot de Zidane demande à son père la permission de prendre une douche car il s'est sali. La réponse est négative car il faut garder l'eau pour les bêtes. le jeune commence à découvrir une autre forme d'humiliation.
À la fin de l'été, il faudra intégrer le collège et les jeunes de la fourrière vont découvrir toute la méchanceté de leurs congénères. Ils ne sont de la ville, ils n'ont pas de vêtements de marques et les autres leur font bien sentir la différence. Ils n'ont pas les codes sauf celui de la violence et c'est pas la violence qu'ils vont s'imposer et de sa faire respecter quel qu'en soient les conséquences disciplinaires.
Syvain Bordesoules va nous plonger dans le parcours de ces jeunes et de leurs combines pour survivre. On va aller des petits chapardages de bonbons (qui sont cependant déjà des vols) à des vols plus importants et pas forcément nécessaires. Peu à a peu, ils avancent de manière inexorable vers des addictions de plus en plus complexes : alcool, tabac, cannabis et autres formes de drogues.
Pour l'un des jeunes c'est une lente descente aux enfers. On ne voit aucune main secourable se tendre pour les emmener vers autre chose. La seule entraide vient de ceux qui les entour et sont dans le même trip.
C'est poignant, c'est touchant, c'est poisseux. le graphisme m'a impressionné, le choix de l'aquarelle est plus que judicieux. Il renforce le sentiment de malaise, nous entraîne dans le monde de la nuit et des substances pour "voyager". Chaque case mérite que l'on s'y arrête, c'est saisissant et troublant.
Pourquoi ai-je té autant troublé ? J'ai enseigné dans des milieux difficiles et auprès des populations les plus éloignées des codes de l'école et parfois de la société. J'ai cru reconnaître certains de mes anciens élèves; ceux qui se faisaient moquer pour leurs vêtements, leurs coupes de cheveux, parfois pour leurs odeurs. Certains d'entre eux vivaient dans des lieux chauffés au bois et mal aérés, leurs vêtements étaient imprégnés de l'odeur de feu de bois. Je me souviens de cet élève qui ne venait pas en cours les jours de grandes marées car il allait à la mer pour pêcher et rapporter un peu d'argent à la maison. L'école était bien loin de leur priorité, ils venaient parce que c'était obligatoire. Comme enseignant, j'ai toujours agi pour permettre à ces élèves de trouver leur place à l'école et dans la société, faire en sorte qu'ils soient respectés, respectueux. Je leur ai toujours apporté l'estime à laquelle ils avaient droit. Devenu chef d'établissement, c'est devenu un point fort des projets des collèges ou des lycées que j'ai eu l'honneur de diriger.
Eh oui, ce roman graphique m'a renvoyé tout ceci et je peux affirmer que les jeunes décrits n'étaient pas des charognes, juste des victimes de leur environnement.
Je vais lire le roman de
Simon Johannin, mais pas tout de suite, pour récupérer.
Lisez ce roman graphique, il vous aidera peut-être à mieux comprendre les réactions de certains jeunes un peu marginaux.