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Critique de Presence


Ce tome contient une histoire complète (parue en 2012) qui correspond à une version de Batman différente de la continuité en vigueur. Il s'agit d'une nouvelle version du personnage, destiné au marché des librairies américaines (par opposition aux magasins spécialisés en comics).

Batman poursuit un malfrat en costume et noeud papillon sur les toits de Gotham. La course poursuite ne se termine pas comme prévue et il fait peur à une pauvre SDF, terrée dans une ruelle sombre. Précédemment Alfred Pennyworth se souvient dans quelles circonstances il est revenu à Gotham pour être employé comme garde du corps par Thomas Wayne (le père de Bruce) pour assurer sa protection à la veille de son élection en tant que maire de Gotham. de nos jours, James Gordon a du mal à canaliser l'entrain de sa fille Barbara. Au boulot, le commissaire lui présente son nouveau partenaire : Harvey Bullock.

En 2010, DC Comics publie Superman - Earth one, un nouveau récit des origines de Superman déconnecté de la continuité des séries mensuelles. L'opération est un succès commercial significatif. En 2012, ils récidivent avec le personnage de Batman. Pour les lecteurs les plus anciens, ils ont l'impression de revenir dans les années 1980 et 1990, à l'époque où DC Comics proposait à des auteurs de donner leur version de ses principaux personnages dans des récits alternatifs estampillés "Elseworlds".Avec un tel état d'esprit, le lecteur peut aborder "Batman - Earth one", comme un récit alternatif à apprécier comme un tout. C'est d'autant plus alléchant que l'équipe de créateurs appartient au groupe des meilleurs pour ce qui est des comics : Geoff Johns au scénario, Gary Frank aux dessins, accompagné de Jonathan Sibal, son encreur attitré. Il n'y a que Brad Anderson (chargé des couleurs) qui ne soit pas connu. D'un coté cette équipe a déjà réussi une version captivante des origines de Superman (Superman - Secret origin), à la fois fidèle au personnage et personnelle. D'un autre coté, appliquer cette démarche à Batman révèle d'une témérité inconsciente car pour la majeure partie des fans du personnage le récit définitif et indépassable des origines a été réalisé en 1987 par Frank Miller et David Mazzucchelli : Year one.

Exercice périlleux : créer une nouvelle version des origines de Batman en en gardant la substantifique moelle, mais en étant assez original. La scène d'ouverture permet d'apprécier la force graphique de Gary Frank en 10 pages muettes. C'est bien le Batman que le lecteur connaît, mais dans un environnement un peu plus réaliste que d'habitude, dans des gestes moins assurés, avec une forme d'hésitation quand il bondit de toit en toit. Arrive ensuite la scène attendue du meurtre des parents de Bruce (oui, il y a les perles du collier) et la prise en charge par Alfred. Geoff Johns a modifié quelques paramètres par rapport au récit canonique (c'est ce qu'on attend de lui dans un récit de type "Elseworlds") et comme à son habitude il sait engendrer et communiquer une émotion sincère et spécifique à son récit. Ce n'est pas du sous Frank Miller, c'est une manière de raconter qui lui est propre et qui souligne des aspects du récit différents de d'habitude. À partir de là, la partie est gagnée et Johns peut vraiment commencer à s'éloigner du schéma classique avec la position inédite de James Gordon et la personnalité inattendue d'Harvey Bullock. le lecteur s'intéresse au premier niveau de l'histoire racontée, et les variations sur les personnages deviennent secondaires. C'est bien Batman, c'est bien Gotham, l'asile d'Arkham n'est pas loin ; c'est une nouvelle histoire prenante, émotionnellement intense. C'est un bon thriller, avec suspense haletant et quelques passages bien noirs.

Gary Frank et Jonathan Sibal réalisent des illustrations nettes et précises, assez proches du photoréalisme. le niveau de détails est un régal qui permet au lecteur de se projeter dans chacun des endroits grâce à des finitions minutieuses, qu'il s'agisse du dallage de la crypte des Wayne, des briques d'un mur, ou de la façade rouillée d'un bâtiment ancien. Ils ont effectué un travail tout aussi rigoureux et construits sur chaque accessoire : briquet, robe pour bimbos, bottes du costume de Batman, étagères métalliques de rangement dans le réduit de Lucius Fox, baguettes de pain servies lors de la réception du maire, etc.

Et puis il y a les personnages eux-mêmes ; et là Gary Frank s'est surpassé pour donner une apparence et un visage spécifique à chacun d'entre eux. Les expressions qui se lisent sur les visages sont toutes révélatrices, sans tomber dans l'exagération ou les mimiques forcées. Harvey Bullock est magnifique. Frank s'amuse également beaucoup avec la plastique siliconée des invitées particulières du maire en place. Les nouvelles versions d'Alfred Pennyworth et James Gordon permettent de mieux définir les personnages que leurs actions. Frank et Sibal disent plus de choses par les illustrations que Johns par le biais des phylactères. Leur style graphique à base de traits fins finit par créer une ambiance incisive, coupante, presque tranchante.

En tant que lecteur aguerri, je suis toujours circonspect quand un éditeur propose encore une nouvelle version d'un de ses personnages pour essayer de conquérir un nouveau lectorat. En tant que lecteur régulier des aventures de Batman, il m'a été donné d'en lire des dizaines. Force est de reconnaître que cette nouvelle itération a l'intelligence de raconter d'abord une bonne histoire réalisée par des créateurs virtuoses, et de s'amuser avec les variations sur le canon en filigrane. Johns et Frank ont construit un thriller qui pose également les bases de cette nouvelle version, et j'espère qu'il y aura d'autres tomes à suivre par la même équipe.
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