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Critique de JustAWord


Attribué au général de l'U.S Army Philip Sheridan, l'aphorisme « The only good Indian is a dead Indian » porte en lui-même toute une vision du Natif Américain qui hante à la fois la société Occidentale mais aussi le peuple Amérindien à l'heure actuelle. Souvenir d'un génocide impardonnable et funeste avertissement qui se condense pour devenir le titre du nouveau roman horrifique de Stephen Graham Jones après son magistral Galeux qui vient justement d'être réédité en poche par les éditions Pocket.
Véritable succès critique et public Outre-Atlantique, Un bon Indien est un Indien mort débarque cette fois chez Rivages et tente une nouvelle fois de convaincre le public français du talent presque surréel de l'écrivain Blackfeet. Mais êtes-vous vraiment prêts ?

Chasse interdite
C'est par un drôle de fait divers que l'on pénètre dans Un bon Indien est un Indien mort.
« UN INDIEN TUÉ LORS D'UNE DISPUTE DEVANT UN BAR. » peut-on lire dans le journal. C'est une façon de voir les choses.
En vérité, Ricky Boss Ribs n'a pas vraiment trouvé la mort en se disputant avec des Blancs devant un bar. Autre chose rôdait dans les parages. Une chose qui semble impossible et pourtant.
Ricky fait partie d'un groupe de quatre Indiens issus de la même réserve dans le Montana et de la ville de Browning.
Ricky, Lewis, Gabriel, Cassidy. Quatre autochtones, natifs, amérindiens…enfin quatre Indiens. Choisissez votre génération et votre préférence de langage. Dix ans plus tôt, les quatre amis vont faire une partie de chasse illégale en pénétrant sur des terres où ils ne sont pas sensés traquer le caribou. Mais qu'à cela ne tienne, c'est le dernier jour pour eux où la chasse est possible, le dernier jour où un Indien ne doit pas revenir sans caribou.
Nous sommes cinq jours avant la dinde et le football, cinq jours avant un Thanksgiving classique.
En prenant au piège un troupeau entier, c'est finalement un carnage qui se produit. Un carnage inutile puisque nos quatre chasseurs seront surpris par le garde-chasse qui les contraint à abandonner leurs trophées dans la neige. Parmi les cadavres, celui d'une femelle caribou alors en pleine gestation. La promesse d'un avenir agonisant dans la neige.
Dix an plus tard, Lewis vit avec Peta, une femme blanche et végétarienne qui n'a pas grand chose d'Indienne au contraire de Shaney, une Crow avec qui il travaille et à qui il va finir par confesser cette chasse indigne qui le hante. Petit à petit, des évènements étranges surviennent dans la vie de Lewis. Son chien, Harley, meurt étranglé en tentant de sauter au-dessus de la palissade, la vision d'une étrange Femme-à-tête-de-Caribou dans son salon le faut basculer de son échelle, des bruits de sabots étouffés se font entendre dans les escaliers… Que se passe-t-il dans la vie de Lewis ?
Bien décidé à tirer les choses au clair, le Blackfeet essaye de démêler le vrai du faux, le réel du fantastique. Jusqu'à ce qu'il comprenne que la mort de Ricky n'a rien d'une coïncidence et que lui, Cassidy et Gabriel sont en danger…
Stephen Graham Jones nous livre donc un roman horrifique et fantastique plongé jusqu'aux bois dans la mythologie Indienne pour mieux saisir la réalité d'aujourd'hui. Si Un bon Indien est un Indien mort est un récit surnaturel, c'est justement pour mieux croquer la société Amérindienne d'aujourd'hui. Point de loups-garous cette fois mais une autre créature légendaire qui va venir bouleverser les attentes du lecteur.

Un seul petit Indien ?
De ces attentes, Stephen Graham Jones va constamment se jouer. Car si l'on pouvait légitimement penser que son roman avait tout d'une histoire de monstres ordinaire, rien n'est moins vrai. L'horreur chez le Blackfeet n'a pas un visage unique. Elle ne se donne pas aussi frontalement qu'on pourrait le croire et, en ce sens, la première partie d'Un bon Indien est un Indien mort en déroutera plus d'un, davantage préoccupé par le cadre de vie et les relations entretenues par Lewis que par la malédiction qui pointe le bout de son museau entre les pales d'un ventilateur.
En alternant quelques scènes gores et quelques morts particulièrement graphiques avec une paranoïa insidieuse et mortelle, Stephen Graham Jones tisse une atmosphère lourde et inquiétante qui semble un temps ne pas savoir où elle va.
Mais Stephen Graham Jones a un plan. Depuis le début.
L'horreur larvée, presque subliminale, va graduellement envahir la page et l'esprit des personnages. Notamment celui de Lewis, archétype de l'Indien moderne qui a quitté sa réserve pour adopter un mode de vie différent mais qui, au fond, ne cesse de s'interroger sur ses origines et son identité.
Bien vite, le scope se déporte vers Browning et la réserve pour retrouver les autres comparses, Gabriel et Cassidy.
C'est ici que l'horreur, déjà dévoilée, affirmée comme un retour de bâton du destin, se mêle à l'une des thématiques centrales de l'oeuvre de Graham Jones : qu'est-ce qu'être Indien aujourd'hui ?
Dès lors, l'américain dresse le portrait de Gabriel qui tente de renouer le lien avec sa fille Denorah alors que son mariage n'est plus qu'un lointain souvenir, puis celui de Cassidy qui a fini par retrouver l'amour après une longue traversée du désert avec Jolène, une Crow. Et puis Denorah, justement, la Finals Girl, promise à un avenir brillant et magnifique grâce à son don inné pour le basket.
On y croise également Nathan, un jeune qui pleure encore la mort de son grand-père, et une hutte de sudation pour un rite de purification Indien traditionnel et fortement signifiant. Stephen Graham Jones explore l'identité, confronte l'abord de la condition Indienne selon la génération à laquelle on s'adresse et finit par montrer qu'il n'existe pas une identité unique mais une pluralité de chemins vers notre ère moderne. C'est aussi le questionnement sur l'éternel opposition entre tradition et modernité, entre l'importance de respecter les anciens et de construire de nouveaux avenirs, de trouver des modèles et dépasser les clichés pour être qui l'on veut vraiment.
Comme dans Galeux, Stephen Graham Jones ne parle pas tant de l'injustice vécue par son peuple aux Etats-Unis que de ce que sont devenus les Natifs à dans l'Amérique d'aujourd'hui. du roman d'horreur, on glisse vers le roman social. Mais ce n'est pas tout.

Les non-dits de l'horreur
Car au fond, si Un bon Indien est un Indien mort parle de quelque chose, c'est avant tout de famille, d'amitié, d'amour et des liens qui unissent les personnages entre eux. C'est du respect des générations et de ses racines, de la violence qui habite l'Amérique et hante ses peuples.
Au centre de ce roman de chasse, la fameuse Femme-à-tête-de-Caribou, change forme vengeresse qui symbolise la faute, l'injustice et la rédemption tout à la fois et qui appelle, finalement, à s'interroger sur la façon de mettre fin au cercle de la violence et de la rancoeur.
En combattant, en n'abandonnant jamais, mais aussi en acceptant de reconnaître ses fautes et les façons de faire la paix avec soi-même.
Si l'on osait, un pourrait presque dire que le roman de Stephen Graham Jones et un roman sur la réconciliation avec soi, avec un passé où le sang a coulé de façon aveugle et injuste au mépris des règles et des traditions.
Si l'on osait, on pourrait voir un grand roman d'amour dans ce récit où l'on arrache des têtes et où l'on étripe des caribous.
Et si l'on osait, surtout, on pourrait dire qu'encore une fois, l'auteur nous livre un roman passionnant et dense où l'horreur ne masque jamais l'humanité de ses personnages faillibles et torturés.

Roman horrifique singulier et récit social sur la réalité de l'identité Indienne, Un bon Indien est un Indien mort surprend par sa façon de déjouer les attentes et par trouver les bons mots pour parler des maux les plus profonds. Une réussite, encore, qui confirme tout le bien que l'on pensait déjà de Stephen Graham Jones. Un auteur majeur de la littérature américaine contemporaine, définitivement.
Lien : https://justaword.fr/un-bon-..
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