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Critique de Charybde2


Un véritable récit d'horreur immémoriale inscrit au coeur d'une crise contemporaine d'identité amérindienne. Un formidable tour de force.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/02/18/note-de-lecture-un-bon-indien-est-un-indien-mort-stephen-graham-jones/

« Un Indien tué lors d'une dispute devant un bar » : sous ce titre de fait divers quelconque ou presque (à propos duquel néanmoins la voix off de la narration nous prévient tout de suite : « C'est une façon de voir les choses »), c'est de la mort de l'un des membres d'un quatuor d'amis d'enfance qu'il s'agit. Nés sur la réserve amérindienne des Blackfeet, au Montana, Ricky, Gabe, Lewis et Cassidy y ont fait les quatre cents coups dans leur enfance et leur adolescence. Jusqu'à ce que, la vingtaine arrivée, et après un triste événement qu'ils appellent encore entre eux le « Thanksgiving Classic », deux d'entre eux quittent séparément la Réserve pour tenter leur chance dans le monde des Blancs.

Dix ans plus tard, Ricky est mort, et Lewis, marié à une Blanche et installé au Dakota du Nord, où il exerce le métier de postier, commence à « voir des choses ». Dans les pales d'un ventilateur de plafond capricieux, alors qu'il tente de réparer un éclairage défaillant, il lui semble discerner quelque chose d'impensable, qui aurait à voir avec ce fameux « Thanksgiving Classic », dix ans plus tôt : s'étant alors introduits en douce sur le terrain réservé aux Anciens pour y traquer une harde de wapitis, ils avaient enfreint à la fois la loi des Blancs et celle des Amérindiens, aggravant leur cas vis-à-vis de leurs propres tabous ancestraux en tuant une femelle enceinte. Une sombre et improbable vengeance surnaturelle serait-elle donc en route à présent ?

Maître de l'horreur littéraire (et cinématographique), dont il maîtrise tous les ressorts et tous les « classiques », qu'il sait perpétuellement réinventer et démarquer, Stephen Graham Jones réussit un véritable tour de force avec ce vingtième roman (jusqu'alors le seul traduit en français, son dix-septième, « Galeux », tordait l'imaginaire habituel du loup-garou pour nous offrir un insensé road novel de l'Amérique des marges sociales, était déjà un bouleversant ravissement), publié en 2020, traduit en français en 2022 par Jean Esch chez Rivages.

En inversant au long cours la relation chasseur / chassé, en instillant d'abord le doute quant au surnaturel (avant que la coïncidence et l'hallucination ne se portent vers un point de bascule), en utilisant une grammaire narrative méticuleuse (ses passages de la 3ème personne à la 2ème personne, pour émuler le « regard du tueur » cinématographique de Jason (Voorhees), dans les « Vendredi 13 », de Michael (Myers), dans les « Halloween », ou de Freddy, dans la série éponyme, sont subtilement glaçants), Stephen Graham Jones réussit, comme à son habitude désormais, à proposer un commentaire social aussi discret et subtil que pertinent et acéré, au coeur de son récit d'horreur. Si pour la société nord-américaine contemporaine, un bon indien n'est peut-être pas tant un indien mort (le titre américain d'origine préservait un peu d'ambiguïté, là où le titre français, en menant jusqu'au bout la phrase attribuée à un célèbre général états-unien, referme la porte interprétative) qu'un indien ayant accepté d'être un fantôme, figé dans les films de John Ford et de John Wayne, prié de ne pas rappeler la mémoire du génocide perpétré, « Un bon Indien est un Indien mort » rappelle avec un éclat bien particulier la réalité politique d'une intégration en forme d'effacement volontariste, et d'une identité culturelle en crise perpétuelle et fatalement entretenue par le silence – rejoignant par un chemin fort inattendu, encore, le travail effectué par un Tony Hillerman, jadis, à propos de la nation Navajo.

Lien : https://charybde2.wordpress...
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