Passant d'Irlande à l'Angleterre, je suis aussi passée d'une féérie à l'autre. C'est drôle et étrange parfois comme des lectures peuvent se suivre et se répondre, entrer en résonnance...
Ainsi après le sublime "
Dans la vallée" de
Hannah Kent, je me suis plongée dans l'étrange et troublant "
Comme un conte" de
Graham Joyce qui m'a tant plu que "
Les limites de l'enchantement" m'attendent déjà.
Dans ce roman au titre évocateur il va aussi être question de féérie. Pas celle que l'on imagine, poussière de fées, licornes et amours enchantées (quoique…) mais celle, plus authentique issue du folklore et de croyances si anciennes qu'on en a oublié les origines.
Cette féérie séduisante mais inquiétante, envoutante mais souvent cruelle, celle qui fascine et terrifie, celle qui piège, ravit et emprisonne.
Celle qui se tient à la lisière de notre monde et à laquelle on accède mystérieusement, parce que c'est l'endroit, le moment, l'heure; celle -enfin- que l'on retrouve dans tant et tant de contes et de légendes dans laquelle la temporalité n'est pas la même que la nôtre. Qui n'a jamais lu ou entendu l'histoire de ce beau jeune homme qui suivit un jour une demoiselle aux airs de fée gracile, qui l'aima quelques mois avant de vouloir rentrer chez lui, mordu par le mal du pays et qui de retour dans son village ne trouva que le tombeau de ses vieux parents et une vieillarde centenaire en lieu et place de son nourrisson de petite soeur?
"
Comme un conte", c'est cette féérie là et son inquiétante étrangeté.
Le roman commence le jour de Noël. Alors que Dell et Mary s'apprêtent à passer à table, on frappe à la porte. Lorsqu'ils ouvrent, c'est la stupeur, le choc: devant eux, cette silhouette menue comme celle d'une adolescente n'est autre que celle de leur fille, Tara.
Tara qui a disparu vingt ans auparavant et que nul n'a jamais retrouvé: ni ses proches, ni la police...
Pour les parents éplorés, ces retrouvailles sont un miracle et ils s'empressent de prévenir leur fils aîné, Peter, que le retour de sa soeur plonge dans la perplexité...
Tara, sur qui le temps ne semble pas avoir eu de prises, accepte enfin, le jour de l'an, de raconter son histoire et de révéler ce que fut sa vie durant les vingt dernières années mais ce qu'elle s'apprête à raconter va brouiller les cartes plus qu'elles ne l'étaient déjà: la jeune femme affirme avoir été enlevée par des fées, les "fairies" donc, et avoir passé six mois en leur compagnie.
Pour les siens, c'est trop d'extravagance, de mensonges, trop de tout et pourtant Tara est désarmante d'honnêteté... Quoiqu'il en soit Peter et ses parents préfèrent penser à une fuite, un squat, une communauté hippie. A moins qu'elle n'ait subi un traumatisme si violent qu'il ait effacé vingt années de sa mémoire, mais quel traumatisme peut-être si violent? Justifier l'invention et la croyance en de telles fables? Peter convaincu que sa soeur a besoin de soins la conduit chez un psychiatre qui accepte cette nouvelle patiente.
Classé en "Sf" par les éditions Folio, "
Comme un conte" est là où on ne l'attend pas. C'est un roman lent, psychologique qui joue à merveille avec les nerfs des lecteurs. Les chapitres alternent les temporalités et les points de vue, nous faisant vivre le récit tantôt du côté de Peter, de Tara, du psychiatre ou encore de Richie, l'ex petit-ami de la disparu. C'est riche, profond et cela contribue à cette impression tenace de doute qui nimbe toute la lecture: Tara dit-elle vrai? Son histoire a-t-elle au contraire une explication scientifique, rationnelle? Fable? Traumatisme? Véritable plongée en féérie? Manipulation? Les deux théories sont séduisantes, crédibles, se tiennent et charge à chaque lecteur de choisir la sienne...
Ce doute constant, cette oscillation entre surnaturel et rationnel est l'une des composantes principales du genre fantastique et il y a fort longtemps que je n'avais pas aimé un texte du genre contemporain! Certes, cette incertitude entraîne forcement une part de frustration mais c'est ce qui rend le roman si troublant, si délicieux et j'ai adoré cela! Et puis, n'est ce pas ce doute qui rend cette histoire (et toutes les autres) "vraisemblables"? Il y a une intelligence diabolique dans ce procédé, cette manière d'amener la narration et de la mettre en scène...
Enfin, je tiens à souligner l'abondance et la beauté de certaines descriptions, la construction et la complexité des personnages qui m'ont plu. Et puis écrire un mot des citations qui ouvrent chaque chapitre et qui témoignent de la part de
Graham Joyce d'une vraie "culture féérique" aussi bien du point de vue légendaire, poétique et culturel (La balade de Thomas le Rimeur, la merveilleuse "Sweet Bride" de la non moins merveilleuse Kate Rusby) que du point de vue social, historique et ethnologique (le compte rendu de l'affaire Bridget Cleary) qu'il a su allier à son formidable talent de conteur. Pour le meilleur.