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Citations sur Premier et second journaux parisiens : Journal 1941-1.. (6)

Paris, 18 août 1942.

Acheté un agenda dans une papeterie de l'avenue de Wagram ; j'étais en uniforme. Une jeune fille, qui servait les clients, m'a frappé par l'expression de son visage ; il était évident qu'elle me considérait avec une haine prodigieuse. Ses yeux bleu clair, dont la pupille s'était rétractée jusqu'à ne plus former qu'un point, plongeaient droit dans les miens, avec une sorte de volupté - celle-là peut-être qu'éprouve le scorpion enfonçant son dard dans sa proie. J'ai eu l'impression qu'il y avait longtemps sans doute que chose pareille ne s'était produite chez les hommes. Le rayonnement de pareils regards ne peut rien nous apporter d'autre que destruction et mort. On devine aussi qu'il pourrait passer jusqu'à vous comme un germe de maladie ou une étincelle, que l'on ne saurait éteindre en soi-même qu'avec peine et en se faisant violence.
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Paris, 7 juin 1942.

Dans la rue Royale, j'ai rencontré, pour la première fois de ma vie, l'étoile jaune, portée par trois jeunes filles qui sont passées près de moi, bras dessus, bras dessous. Ces insignes ont été distribués hier ; ceux qui les recevaient devaient même donner en échange un point de leur carte de textile. J'ai revu l'étoile dans l'après-midi, beaucoup plus fréquemment. Je considère cela comme une date qui marque profondément, même dans l'histoire personnelle. Un tel spectacle n'est pas non plus sans provoquer un choc en retour - c'est ainsi que je me suis senti immédiatement gêné de me trouver en uniforme.
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Paris, 8 octobre 1941.

Je me suis entretenu avec Sacha Guitry de Mirbeau, dont il m'a raconté qu'il était mort dans ses bras, lui chuchotant à l'oreille dans un dernier souffle : "Ne collaborez jamais !", ce que je note pour ma collection de dernières paroles. Mirbeau voulait parler des pièces écrites en collaboration - un mot qui, de son temps n'avait pas les relents faisandés d'aujourd'hui.
Assis à table, à côté de l'actrice Arletty, que l'on peut justement voir en ce moment dans le film Madame Sans-Gêne. Pour la faire rire, il suffit du mot cocu ; aussi ne cesse-t-elle guère, ici, d'être en joie.
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Paris, 29 septembre 1943.

Toujours sans raison sur cette galère. A ma prochaine incarnation, je reviendrai dans ce monde sous la forme d'une bande de poissons volants. On peut de cette manière se fragmenter [...]
Les queues qu'on voit s'allonger devant les bureaux ouverts au public et devant les magasins. Lorsque je passe en uniforme, je surprends des regards empreints de la plus profonde aversion, aiguisée d'un désir de meurtre. On voit à ces physionomies quelle joie ce serait si on se fondait dans l'air et s'évanouissait comme un songe. D'innombrables êtres, dans tous les pays, attendent avec une sorte de fièvre le moment où ce sera leur tour de verser le sang. Mais c'est justement de quoi il faut s'abstenir.
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Paris, 21 avril 1943.

A midi, visite du colonel Schaer, un vieux Bas-Saxon. Examen de la situation. Toujours pas de rameau d’olivier. D’entre les choses qu’il raconta, la plus horrible était la description d’une fusillade de Juifs. Il tient les détails d’un autre colonel Tippelskirch, je crois, que son armée a envoyé là-bas pour voir ce qui s’y tramait.
De telles nouvelles me font frémir d’horreur ; le pressentiment d’un monstrueux danger me saisit. Et ceci, sur un plan très général ; je ne serais guère surpris si la planète volait en éclats, que ce fût par la rencontre d’une comète ou dans une explosion. En fait, j’ai le sentiment que ces hommes-là sont en train de percer la terre et que ce n’est pas simplement par hasard qu’ils ont choisi les Juifs pour victimes principales. Leurs maîtres bourreaux possèdent une sorte de clairvoyance inquiétante qui ne repose pas sur l’intelligence, mais sur des instincts démoniaques. A chaque carrefour, ils trouveront la voie qui mène à plus de destruction.
Il paraît d’ailleurs que ces fusillades n’auront plus lieu, car maintenant on passe au stade où l’on gaze les victimes. 
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Paris, 7 janvier 1942.

Une lettre, aussi, de mon frère Wolfgang qui, de nous quatre, a été appelé le dernier sous les drapeaux. Il dirige maintenant, en qualité de première classe, un camp de prisonnier à Züllichau ; les prisonniers ne seront pas mal, avec lui. Il me raconte ceci, pour la bizarrerie de la chose :
"Hier, je me suis rendu pour raison de service à Sorau, en Lusace, où j'avais à conduire un prisonnier à l'hôpital. Là, il m'a fallu également faire une visite à l'asile d'aliénés. J'y ai vu une femme dont la seule manie était de marmonner sans arrêt : "Heil Hitler !" Quand même, voilà une folie qui est bien de notre époque."
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