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Critique de oiseaulire


Il y a longtemps que je voyais ce livre clignoter à la bibliothèque, et son titre ne m'attirait pas spécialement : encore une histoire de divan, me disais-je, de rabâchages de papa Freud avec sa zigounette en sautoir, d'enfumages enrobés de ranci petit-bourgeois qui s'échappent des portes des cabinets d'analystes, beurk.
Quelle erreur.
Voici un grand livre qui évoque bien sûr la psychanalyse, mais comme clé d'accès au flux de conscience de personnages vivants et attachants, qui pourraient être, vraiment, tous ou presque tous, chacun de nous, ou un aspect de nous.

Grâce à eux, grâce aussi à la progression d'une pensée dynamique interagissante avec celle de Franz Kafka, l'auteur fétiche de l'une des analysante, sont abordées les grandes questions existentielles, politiques, philosophiques : la vie, la mort, l'amour, la dévoration des enfants par les parents, l'urbanisation hideuse qui s'étend telle un cancer dans les zones qui entourent les villes, l'angoisse, la solitude.

Tous se débattent pour accéder à la clarté et à la sérénité. Parfois des liens sont faits, des évidences inattendues et aveuglantes viennent se poser aux pieds des personnages ébahis, une clé entre dans une serrure que l'on croyait condamnée. Et c'est la joie qui soulève.

Il y a Simon, le psychanalyste humaniste, bienveillant et doux dans la vraie vie aussi, Eva qui cherche un sens et se débat avec sa chienne d'existence, Josée, ex-prostituée un peu naïve, Louise la comédienne intuitive et sincère, Marie, qui cherche un homme à aimer, mais les hommes existent-ils ?... Côté garçons Marc, le chef d'entreprise à qui sa femme ne veut plus donner d'amour, Edouard le vendeur d'encyclopédies étouffé par sa mère, Sylvain le masochiste qui préfère aller au-devant de la douleur que de se la voir imposer par la force, Jérémie l'homosexuel dépressif depuis que son compagnon l'a quitté et qui reste seul avec son chat Jean-Pierre.

Il y a aussi des personnages secondaires, fugaces, parfois rencontrés dans la rue, dans les quartiers laids ou beaux de Paris, dans les jardins, par les protagonistes de cette histoire intime, et qui rendent la toile tellement plus vivante : Aurélie, la prof d'histoire qui projette "le dictateur" de Charlie Chaplin pour illustrer la montée du nazisme, Dominique la pédo-psychiatre devineresse, qui lit les enfants muets comme on lit un livre ouvert, Jean-Louis qui use les vêtements d'un mort pour se protéger et que sauve la tendresse d'une femme, Guy, le patron du bar de Pigalle, qui veille sur ses clients et Zoé, la petite Zoé, qui a la danse dans le sang et qui comprend la vie à travers elle.

Tous cherchent l'issue, tous cherchent à comprendre, tous ont leur quête et c'est la même : le bonheur existe-t-il ?

Et au milieu d'eux se tient l'ombre de Kafka qui veille sur tout ce monde et tente de métamorphoser la vie par l'écriture car écrire "c'est sauter en dehors de la rangée des assassins d'espoir" que sont les hommes normaux.

Le roman est présenté en courts chapitres, des "short cuts", ce qui fait qu'on ne se lasse pas, on passe de façon fluide de l'un à l'autre, on retrouve les personnages de loin en loin, on les suit dans leur parcours. Pas de lourdeur. Cela ressemble à un scénario de théâtre, ce qui n'est pas étonnant puisque de nombreuses oeuvres de Leslie Kaplan sont adaptées sur scène.

J'ai vraiment beaucoup aimé ce livre que je vais acheter pour pouvoir le relire. J'ai été très surprise par les critiques négatives des amis babéliotes que je ne m'explique pas. Certes ce n'est pas un roman traditionnel avec une intrigue, des aventures, des rebondissements. Ce n'est pas un livre d'Alexandre Dumas ou d'Olivier Adam. Cela s'apparente plutôt à la veine de certains romans de Marguerite Duras et d'Hélène Bessette. Ça en a le "gnac", la poésie, la nostalgie du temps qui passe et la révolte. Ça décortique, mais pas trop : ça laisse le lecteur faire son propre travail : pas de solution livrée clé en mains.
C'est une sacrée trouvaille, faussement facile, mais abordable et stimulante.

Je le recommande à toutes celles qui sont passionnés de quête existentielle. Et à tous ceux aussi, bien sûr.
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