Citations sur Une affaire de trois jours (23)
Ça aurait pu ne pas arriver – l’enlèvement et tout ce qui s’est passé ensuite. C’est ce qui me navre le plus, même maintenant.
— Il fallait que je l’emmène. Je le jure — attendez une minute. Écoutez-moi juste une seconde. Écoutez-moi. Le truc, c’est que je suis à sec. »
C’était soit un mensonge éhonté, soit une révélation stupéfiante. Quoi qu’il en soit, je n’aurais pu m’en foutre davantage.
« Où veux-tu en venir ? lui a demandé Nolan.
— Où je… ? » Jeffrey semblait presque offensé. « Vous m’avez écouté ? J’ai tout perdu ! Vous n’imaginez pas…
— La fille. Relie-nous ce fait-là à elle.
— Relier ?
— Qu’est-ce qu’elle fout dans notre putain de voiture ?
— Elle aurait appelé la police. » Comme si ces quelques mots expliquaient tout. Comme s’ils avaient le moindre sens.
— Ne me touchez pas ! » Elle s’est libérée d’un mouvement brusque.
— Du calme, a dit Nolan. Personne ne va te faire de mal.
— Vous m’avez enlevée ! » Elle avait des yeux de folle. Je n’arrivais pas à détacher les miens du rétroviseur. Une voiture venant d’en face m’a klaxonné — j’étais en train d’empiéter sur sa file.
« Jeffrey, a dit Nolan, putain de merde, qu’est-ce que…
« Oh, nom de Dieu, a lancé Nolan, d’une voix plus forte qu’auparavant. Est-ce que quelqu’un peut m’expliquer tout ce bordel ? Mon chou, inspire profondément et dis-moi ce qui se passe.
— Vraiment ? » La fille m’a dévisagé, puis Nolan. Peut-être se rendait-elle compte de notre perplexité. « Il vient… » Elle a pris une profonde inspiration, une deuxième. Jeffrey avait les yeux baissés sur ses genoux. « Il vient… » Mais elle a alors commencé à faire de l’hyperventilation, ce qui l’a rendue incapable de prononcer le moindre mot supplémentaire.
Bien sûr que je voulais savoir. Après toutes ces années, je n’allais pas me plaindre que Jeffrey me voie encore comme quelqu’un qu’il pouvait appeler au beau milieu de la nuit parce qu’il avait un problème — même si ledit problème était qu’il avait trop bu, et qu’il avait besoin d’appeler un vieux pote, juste pour s’assurer qu’il avait encore de vieux potes à appeler.
« Essaie toujours, ai-je fait.
— Non, je n’aurais pas dû appeler. Désolé de t’avoir dérangé — mais je suis sérieux à propos du voyage. Vous ne voulez pas de moi là-bas. » Il était censé arriver dans quelques jours, avec Nolan et Evan, mes deux autres meilleurs potes d’université. « Je suis au fond du trou. Je devrais vraiment appeler la compagnie aérienne pour annuler. Sérieux. »
Oh merde, a fait Jeffrey. Tu dormais, hein ?
— Oublie ça. Dis-moi juste ce qui se passe.
— J’aimerais bien. Vraiment. Mais je ne devrais même pas… » Puis plus rien ; le silence soudain m’a effrayé.
« Jeffrey ?
— Ah, putain de merde.
— Quoi ?
— Rien. Mon verre est tombé. »
Il m’est venu à l’esprit qu’il était deux heures du matin en Californie, et que Jeffrey mangeait ses mots. « Où es-tu ?
— Moi ? Chez moi.
— Sara est avec toi ?
— Elle dort à l’étage. Elle ne sait pas que j’appelle.
— Et pourquoi tu appelles ?
— Crois-moi, m’a-t-il dit, tu ne veux pas savoir. »
Il parlait ainsi, de temps en temps, à l’époque de l’université. Une litanie de malheurs et de mélodrames. Mais l’université commençait à franchement dater. « Qu’est-ce qu’il y a ? Tout le monde va bien ? »
Ça aurait pu ne pas arriver — l’enlèvement, et tout ce qui s’est passé ensuite. C’est ce qui me navre le plus, même maintenant.
Le téléphone a sonné tôt le dimanche matin, me réveillant d’un sommeil de mort.
« Il ne va pas falloir compter sur moi, mec, m’a-t-il dit sans même s’identifier.
— Qui est-ce ? » J’avais dû tâtonner pour retrouver l’appareil dans l’obscurité de la chambre.
« Je devrais rester en Californie.
— Jeffrey ?
— Jugé coupable, a-t-il lancé. Et complètement, définitivement en enfer. »
Je ne faisais plus de musique, mais j’aidais les autres à en faire. Cynthia a eu plusieurs promotions dans sa boîte de relations publiques. Et on a sauté de joie en apprenant qu’elle était enceinte. Trois ans s’étaient écoulés depuis notre déménagement à Newfield, et nous nous sentions prêts pour accueillir cet enfant dans nos existences. Les crimes violents n’avaient plus leur place dans mon esprit, à ce moment-là — jusqu’à la nuit où j’ai aidé un de mes meilleurs amis à kidnapper une jeune femme.
Nos vies n’étaient pas des plus excitantes, mais elles étaient malgré tout remplies de moments heureux. Des moments mari-et-femme. Des moments nocturnes. Des moments Noël-devant-la-cheminée. Quand les Tours jumelles sont tombées, presque deux ans plus tard, on avait déjà suffisamment fait le deuil de notre vie new-yorkaise pour que notre horreur ne revête pas une saveur particulière.