Citations sur Le puits des mémoires, Tome 3 : Les terres de cristal (45)
- Toi, raconter ? Autant demander à un caillou de chanter des ballades !
Le monde à nouveau n'était plus que ténèbres. Une obscurité insondable, moite et suffocante, et l'air si rare que chaque bouffée paraissait être la dernière. A tâtons, Olen chercha la paroi de sa prison roulante, dont le bois crissa sous ses ongles. Un goût amer, presque acide, lui monta aux lèvres, tandis qu'il luttait contre le sommeil. Sa mémoire meurtrie lui renvoyait des bribes de rêves enfiévrés, des rêves de fuite éperdue, de femmes nues, de guerre et de tempêtes. Des images furtives de chevauchées glaciales, de villages en feu. Un délire insensé, peuplé de visages inconnus, où il se réveillait prince, acclamé par la foule, croulant sous l'or, le pouvoir et les honneurs.
Soudain, les cahots cessèrent. Ses yeux se fermaient comme si une vague de plomb coulait sur ses paupières, mais il refusa de s'endormir. Cette scène, il l'avait déjà vécue ; les dernières secousses, le silence, puis l'ouverture sur le ciel, le froid de la montagne, le chemin sinueux vers la vallée d'Helion. Dans quelques minutes, il en était sûr, des coups sourds résonneraient dans la boite, une brèche s'ouvrirait dans le bois, une planche se casserait pour laisser apparaître les visages hagards de ses compagnons de route.
Dans les grandes écuries du château, Ednar comptait les chevaux. Rien ne manquait, ni une couverture de selle, ni un fourreau, ni une pièce d'armure. Tout était prêt pour la charge. Il allait mourir, il le savait, il avait été formé pour cela. L'odeur de foin et de bois ciré, mêlée à celle du crottin, était si familière qu'il se sentait comme chez lui. Du reste, il n'avait pas de chez lui, juste un étroit lit de fer dans un casernement sans feu. Une chambre individuelle - privilège de l'officier - aussi vide que grise, avec une meurtrière si haute qu'on n'y voyait qu'un petit morceau de ciel. Non, il ne regretterait pas sa vie bien réglée, peut-être un peu plus les chevauchées et les charges… Il allait mourir la conscience tranquille, les armes à la main, après avoir sabré autant d'ennemis que son bras pourrait en frapper.
"Il avait souvent remarqué ce paradoxe : un homme que l'on supplie de se confier ne décroche pas un mot; alors que celui à qui l'on ne demande rien s'épanche pendant des heures. "
Depuis des siècles, la magie de guérison avait supplanté la médecine, qui dans les contrées les plus primaires poussait encore les hommes à se recoudre comme des sacs. Seuls quelques originaux - disciples de cultes haïssant les arcanes - et les citoyens les plus pauvres se faisaient encore soigner par voie naturelle, mais leurs chances de survie étaient minces.
Le monde à nouveau n'était plus que ténèbres. Une obscurité insondable, moite et suffocante, et l'air si rare que chaque bouffée paraissait être la dernière.
(Incpit)
En un mot, c était le genre d'endroit où l'on se réveillait mort.
Ednar sauta à bas de sa monture. Il retira son casque et passa son doigt sur les griffures que le vent abrasif y avait tracées. De ces fines cicatrices de métal, il pouvait déduire que le vent soufflait du nord vers l'est, annonçant sans doute une tempête sur l'autre versant de la montagne. En habitué du domaine, il savait dompter l'hiver. Mais tous les soldats n'avaient pas son aisance... Quel étrange moment pour faire la guerre! Les glaces allaient faire plus de victimes que les hommes.
".... : on y dormait en rang de sardines, protégé du vent par une simple bâche. La chaleur humaine y était la seule garantie de se prévenir des gelures, poussant de gros barbus à se blottir les uns contre les autres, comme des chatons dans un panier"
Tant qu'à mourir, autant mourir dans les bras d'une femme.