Elle allait commencer la lecture du dossier de Samantha Betty quand on lui a demandé si elle voulait bien intervenir en urgence, le lendemain par exemple, car Samantha, justement, venait d'apprendre, en dehors de tout respect des procédures, qu'elle se faisait larguer par la famille qui l'accueillait depuis près de trois ans.(...) Elle a passé la nuit à découvrir son dossier. Une horreur.
Pour se changer les idées, elle se faisait un café en écoutant le flash info toutes les heures. Quand elle a entendu, pour la tuerie du lycée Columbine, elle n'a pas pu s'empêcher de se dire que finalement, les stages en protection de la jeunesse étaient peut-être moins dangereux que les écoles. Le monde était fou. La violence était partout, prête à surgir là où on ne l'attendait pas.
Les gamins auraient préféré une ado bien roulée, c'est sûr. Une pisseuse de sept ans, ils ne voyaient vraiment pas l'intérêt. Mais Gaïelle était ravie d'avoir une petite soeur et ils ont fini par se dire qu'avec une en plus, ils en auraient finalement une en moins dans les pieds.
Sam a adoré l'internat. Elles étaient toutes pareilles : des filles sans parents.
Elle y a retrouvé les rythmes rassurants de Betty. Les heures fixes des repas, les rituels de nettoyage et de rangement. Il ne fallait pas penser, organiser, choisir. Elle était la plus jeune, la petite protégée, Sambetty comme on l'appelait. Elle ne dormait plus seule. C'étaient des chambres à quatre.
Laurent est parti. j'ignore s'il m'a quittée parce que je suis enceinte, parce que je ne veux pas garder l'enfant ou parce que je lui ai dit la vérité au sujet de ma mère. Il est parti et je ne pleure pas. Il y a longtemps que je ne pleure plus. on peut m'abandonner, je ne pleure pas.
Pendant que Sam s'endormait paisiblement pour la première fois depuis son arrivée, Claire et Marc étaient sous le choc : on venait de retrouver Julie et Mélissa, après des mois et des mois de recherches. Tous deux se sont juré que jamais ils ne laisseraient Sam seule à la maison, jamais elle n'irait seule à l'école. C'est dingue, se disait Claire, cette petite est tombée dans notre vie depuis quelques semaines et déjà je sens que je ne pourrais pas supporter de la perdre. L'amour maternel est un sentiment étrange, plus puissant que tout.
Maman voulait qu'elle apprenne des choses, elle apprenait. Maman disait que grâce à l'école, elle serait comme tout le monde, mais Samantha découvrait peu à peu le contraire : l'école lui apprenait qu'elle était différente. Rien dans sa vie ne ressemblait à la vie des autres. A commencer par sa mère.
L'amour maternel est un sentiment étrange, plus puissant que tout.
Je ne suis pas au "printemps de ma vie", parce que ma vie n'est pas une suite de saisons mais une série de tranches coupées net.
La vie intérieure de Samantha se déroulait en deux dossiers distincts : l'amour filial et l'amour maternel. Samantha ne voyait pas les choses sous cette terminologie, bien entendu. C'était quoi, l'amour d'une mère ou d'un enfant ? Les concepts en étaient encore au stade de déflagrations tripales, de jets de larmes et de premiers bafouillages hésitants.
Un enfant, c'est si précieux, si fragile. Chaque enfant est un miracle, ils étaient bien placés pour le savoir.