- La jalousie est un horrible défaut, dit pensivement Kara-ji, mais bien rares sont ceux qui ne la connaissent pas. Moi-même dans ma jeunesse, je n'ai pas fait exception et il m'arrive encore d'en éprouver les affres, alors que l'âge aurait dû m'apprendre à vaincre de tels sentiments.
Rien dans son existence n'avait jusqu'alors préparé Ash à la vie que l'on mène dans un collège anglais, et il y trouva tout odieux : l'embrigadement, le manque de vie privée, le conformisme, à quoi s'ajoutaient les brutalités et vexations dont étaient victimes les faibles ou ceux dont l'opinion différait de celle généralement exprimée, le sport obligatoire avec ce culte témoigné à des dieux tels que le chef des Sports et le capitaine de l'équipe de cricket.
Bombay se cachait encore derrière l'horizon, mais le vent en rapportait les odeurs : des relents d'égouts et de végétation pourrissante s'y mêlaient à la poussière, aux senteurs des marchés enfiévrés, avec, planant sur le tout, un léger parfum de fleurs...œillets d'Inde, frangipaniers, jasmins et fleurs d'oranger...Tout concourait à lui faire sentir qu'il était de retour au pays.
Les quatre éléphants d'apparat étaient surmontés de splendides howdahs incrustés d'or et d'argent, dans lesquels prendraient place le jour du mariage les Rajkumaries avec leurs dames d'honneur, ainsi que leur jeune frère et certains hauts dignitaires.
- [..] Kaboul ! Ne seriez-vous pas aussi prêt à tout pour y aller ?
- Non, répondit Ash. Une fois suffit.
- Une fois... Oh ! oui, bien sûr, vous y êtes déjà allé ! Qu'est-ce que vous n'y avez pas aimé ?
- Un tas de choses. Certes, l'endroit ne manque pas de charme, surtout au printemps lorsque les amandiers sont en fleur et les montagnes environnantes encore blanches de neige. Mais ses rues et ses marchés sont sales, ses maisons croulantes, et ça n'est pas pour rien qu'on l'appelle le Pays de Caïn !
Ash ajouta que, selon lui, il n'y avait rien d'étrange à ce qu'une ville passant pour avoir été fondée par le premier assassin de notre monde ait cette réputation de violence et de fourberie, ni que ses dirigeants aient suivi la tradition de Caïn en s'adonnant au meurtre et au fratricide. Le passé des Emirs afghans n'était qu'une longue et sanglante histoire de pères tuant leurs fils, de fils complotant contre leurs pères et s'entre-tuant, d'oncles supprimant leurs neveux.
Ne sois pas triste, Sahis. Pour nous, la mort est peu de chose... une halte brève au cours d'un très long voyage, durant lequel nous continuerons à renaître et mourir jusqu'à ce que nous atteignions le Nirvana. Alors, pourquoi pleurer ceux qui ont franchi une nouvelle étape vers ce but ?
Tout aussi effarante était l'habitude européenne de se servir d'une brosse à dents, non pas une mais quantité de fois, au lieu d'une branchette ou d'un petit bâtonnet dont on ôte l’écorce et qu'on jette après usage, car tout le monde sait qu'il n'est rien de plus polluant que la salive.
Je sais bien que les coeurs ne sont pas des domestiques qui font ce qu'on leur ordonne.