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Critique de ecceom


Dis, Kent, reviendras-tu ?

J'ai adoré détester ce livre.

Il raconte l'ascension puis la chute au cours des années 70, de Nick Kent, ancien critique musical d'une célèbre revue spécialisée (NME).

Heureusement, cette crise d'adolescence exacerbée ne finira pas de manière tragique.

A travers son parcours, tout le gratin du rock de l'époque défile sous nos yeux et c'est passionnant quand on s'intéresse à la bande son de ces années là.

Le tout est raconté d'un ton joyeusement désespérant et de manière sincèrement hypocrite et talentueuse.
Car Kent a du style, une culture littéraire omniprésente. Il ne confond pas James Joyce et James Gang.

Toutefois, comme toute une école de critiques, Kent ne s'est pas remis d'un mélange Burroughs/Kerouac/Bangs.

On retrouve donc sous sa plume, tout ce qui depuis, est devenu un poncif.
Kent est trop intelligent et lucide pour perdre tout recul, mais s'il attribue ses déboires à l'époque, à sa faiblesse ou à son immaturité, il ne remet jamais en cause les principes gravés dans le marbre du rock comme les têtes du quintette pourpre sur le Mont Rushmore.

En effet, dans cette autobiographie, apparaissent en filigrane, tous les postulats du rock critique :
- le rock, c'est ce que je définis comme tel.
- le rock, c'est subversif.
- pour comprendre le rock, il faut vivre rock
- le critique rock est un visionnaire.

1er commandement : le rock, c'est ce que je dis être du rock !

Pour Kent, l'étiquette rock se mérite et c'est lui qui la colle.
"Night At the Opera" et Queen ?
"Ce sont des "poseurs aux prétentions arty, du kitsch qui se fait passer pour de l'Art…" C'est du "rock progressif…prétentieux…etc".

Bon, pourquoi pas.

Mais ces épithètes peu flatteuses ne conviendraient elles pas également à Roxy Music qu'il adore ?
En quoi Brian Ferry est-il moins poseur ou moins prétentieux que Freddie Mercury ? Qui des deux a le plus de recul et d'humour par rapport à ce grand cirque ou le moins de prétentions arty ?

(Comme par hasard, on retrouvera en France dans Métal Hurlant sous la signature de Manoeuvre, la même posture roide et stéréotypée : "Roxy music est l'ultime degré de sophistication que je supporte, moi qui clame partout qu'il faut châtrer les musiciens de Queen").

Autre exemple : Cat Stevens.

"Sa musique est tellement sucrée" qu'elle lui donne "mal aux dents".., "ses textes sont nuls"…

Bon, là encore, pourquoi pas ?

Mais comment interpréter quelques lignes plus loin, les reproches qu'il adresse à Cat-man et qui tournent autour du fait que ce dernier attire toutes les filles (tandis que Kent lui, garde leur sac et ronge son frein) et que du coup, son revirement religieux prête à rire ?

Il y a donc des "rockers" qui ont le droit de se taper des camions de groupies et d'autres, non ?
Quand on a succombé à Sodome et Gomorrhe, tout autre engagement ultérieur est mécaniquement suspect ?
"Father and Son" est-il vraiment beaucoup plus nul que "No fun" ?
Kent aurait du mieux écouter pourtant : « It's not time to make a change, Just relax, take it easy, You're still young, that's your fault, There's so much you have to know ».

Mais au fond, ce 1er principe ne mérite pas qu'on s'y attarde, même si j'aurais aimé que Kent s'interroge davantage sur sa subjectivité (berk, quel vilain mot !) érigée en mètre étalon du rock.

2ème commandement : le rock, c'est subversif !

Alors, là…

Sous la plume de Kent, on colle au poteau, tous les traîtres à la révolution. Quand il croise un Eagle (Glenn Frey) cocaïné et rigolard dans la rue devant un spectacle de junkies allongés sur le trottoir, il y voit ipso facto, la preuve d'une arrogance triomphante car les disques des Eagles sont "creux" et que "leur attitude n'est en rien provocante et ne fait l'apologie d'aucun mode de vie alternatif".

Il y aurait donc des rebelles qui ont le droit de se shooter (et d'enrichir le crime organisé en signe de révolte sans doute) et les autres, qui ne sont pas légitimes ?

Kent rameute tous les stéréotypes : comme tous les rocks critiques moutonniers (mais lui, il a au moins l'excuse de les avoir souvent précédés), il ne jure que par Iggy Pop précurseur des punks qui ont sauvé le rock bla, bla, bla….

Il conchie le "rock yuppie" qui est coupable d'avoir de l'énergie, d'offrir des "suites d'accords plus sophistiqués, de véritables vocaux et de meilleures compétences musicales…" et surtout, crime ultime, de ne pas afficher une "authenticité destroy".

Une authenticité destroy ?!

Peut on entendre pire imbécillité pré pubère à l'est du Pécos ?

Autres fadaises du même acabit : Joe Strummer est un "Che Guevara avec une guitare électrique", les trépanés du bulbe que sont Steve Jones, Paul Cook ou Sid Vicious, sont anoblis au rang de "rebelles", poètes de la sédition" et lui, Kent, sert "la même juste cause"…

Donc, les voilà les anarchistes du binaire. Des pigeons, des pauvres gosses, de parfaits abrutis aux mains de marchands tireurs de ficelles ou de sympathiques exaltés qui s'imaginent révolutionnaires parce qu'ils s'habillent en treillis…

Police ? Ils sont bons, mais "ils ne menacent personne". Ah, évidemment, s'ils ne menacent pas… (quoi au juste : la vilaine société qui nous rend tout méchant ?).
C'est vrai qu'en voyant Iggy faire de la pub pour les Galeries Lafayette, la menace semble davantage réelle….

Tremble société ! Risible et pathétique…

3ème commandement : pour comprendre le rock, il faut vivre rock !

Ah le mal qu'aura fait Lester Bangs auprès de tous ceux qui ont décontextualisé son malaise et pris au sérieux son précepte : "plus on s'empoisonne, plus on développe ses capacités".
Car être rock dans ces années là, ça passait par l'abandon de la mythologie "Sur la route", pour rejoindre celle de "sur les rails"…de coke.
Autodestruction systématique, on cherche à approcher le modèle ou ce qu'il devrait être. Pour être libre.

Kent est surtout libre d'aller rôder en permanence à la recherche d'un dealer et de vivre comme une épave.

Complètement paumé, junkie au dernier degré, immature, incapable de relativiser son importance (eh oh, tu écris des articles dans le NME, tu ne ponds pas "De grandes Espérances" non plus).

Il est prêt "à risquer la mort ou le ridicule" plutôt que d'être assimilé à "ceux qui regagnent le confort de leurs vies privées bien en dehors de l'univers du rock".
Tant de falbalas d'opérette pour se retrouver aujourd'hui marié, un enfant, en train d'écouter Steely Dan et Joni Mitchell et surtout semble t-il, apaisé et heureux. Heureux ? Quelle horreur ! C'est pas rock, ça, coco !

D'ailleurs, il est tellement rock, que quand il se fait virer du "NME" où il n'est plus à l'aise, il est tout "vexé, outragé". Décidément il n'est pas à une contradiction près…

4ème commandement : le critique rock est un prophète combattant.

Titre de gloire de Kent : avoir lutté pour que le rock soit sauvé.

Car c'est grâce à lui si les Pistols se sont débarrassés des "idioties sixties" quand il les a dirigés "droit vers l'avenir" …en leur faisant reprendre "No Fun" des Stooges pendant leurs premières répétitions !

Reprendre en 75 un titre de 72, même en tenant compte de la lenteur intellectuelle de ces pistolets, ce n'est pas vraiment ce que j'appelle de la réactivité.

Et puis sauver le rock, est encore une baudruche à dégonfler.

Ils sont où, tous ceux qui criaient "Pas d'Elvis, de Beatles, ou de Rolling Stones en 1977" ?
Elle fait quoi la "Blank generation" ces temps ci ?
Elle a combien d'amis sur Facebook ?
Il en est où le compte d'épargne retraite du héraut du "No future" ?

Elles deviennent quoi toutes ces stryges stymphalides ?

Le rôle du journaliste nourri aux mamelles Rolling Stones/Creem/NME, c'est de créer la hype du moment et se faire plaisir en statufiant des disques que plus grand monde n'écoute.

Car c'est bien connu : le monde n'est jamais prêt, ou il a tort, car il est trop stupide pour ne pas suivre l'odeur de la daube universelle.

Et Kent de regretter en 1978 que les "Dire Straits", Blondie", "Talking Heads" aient du succès (horreur !) grâce à des hits (horreur !) internationaux (horreurs !), alors que les malheureux "Television", "Richard Hell" ou "Patti Smith" n'en ont pas…(Patti Smith n'avait pas de succès en 1978 ? Je pense que Kent n'a vraiment pas pris que de la "bonne").

J'arrête là !

N'allez pas croire que ce n'est pas un bon livre pour autant. Je me suis régalé et je le conseille vraiment. Nick Kent est très attachant et il a du talent. J'ai plutôt ressenti de la pitié pour ce gamin, dandy bourgeois qui par idéalisme adolescent, se retrouve, lui qui a lu l'Ulysse de Joyce, plongé parmi des brutes épaisses qui pour la plupart n'ont même pas feuilleté "Pim, Pam, Poum". Il va se faire insulter, humilier, tabasser, être traîné plus bas que terre, avant d'avoir un ultime sursaut.

Simplement, j'aimerais qu'on enterre définitivement ces oripeaux idéologiques d'un autre temps et qu'on arrête de prendre au sérieux tout ce fatras pour revenir au plaisir unique de l'écoute et du jeu.

Pourquoi ne pas retenir les bons conseils de l'ex petite amie de Kent. Alors qu'il est au fond du trou et qu'il s'apitoie sur son sort, elle lui fait comprendre que ce qu'il vit "ce n'est pas une tragédie, c'est une comédie".

Alors, assez de ces héros de carton-pâte et chacun à sa place. Nous, on joue le jeu de l'adoration, eux ils jouent le jeu de la séduction. Et basta. I love Rock'nRoll, put another dime in the juke box Babe…et pas plus.

Mais par pitié, faites les descendre !

Dream is over
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