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Critique de Sofiert


"Vous pensez connaître la douleur?"
La première phrase du roman donne le ton si bien que, malgré une solide carapace, j'ai dû interrompre la lecture de ce livre à plusieurs reprises tant la violence décrite est terrifiante et d'une totale barbarie.
Ce roman de Jack Ketchum, pseudonyme de Dallas William, a été publié en 1989 et s'inspire de l'histoire vraie d'une jeune fille de seize ans, qui a été torturée et assassinée par une femme et ses enfants dans le sous-sol de la maison de cette dernière en 1965.

Savoir que cette histoire est inspirée d'un fait divers n'est pas anodin.
D'abord Jack Ketchun ne tergiverse pas et décrit les scènes de tortures avec un réalisme tel que le lecteur enrage de ne pas pouvoir intervenir. Pourtant on est loin d'une violence pornographique et le livre ne nous rend pas complice d'atrocités parfois si dépravées que l'esprit préférerait en nier l'existence. Cette violence si explicite, cette montée progressive dans la cruauté sert un autre propos : comment un être humain peut-il infliger de tels sévices à un autre être humain, qui plus est à un enfant ?

Ensuite, la référence au fait divers met l'accent sur une réalité qui n'a rien d'exceptionnel puisque l'on sait que la maltraitance sur enfant est toujours d'actualité. Si l'action se déroule dans les années 50, des troubles psychologiques ou même psychiatriques qui peuvent mener au meurtre d'enfant sont toujours identifiables. le titre du roman ainsi que son contenu indique que tous les enfants peuvent être concernés mais aussi que tous les adultes peuvent être de potentiels coupables, sans que leur interaction sociale soit modifiée.

Enfin le comportement de l'entourage est ici stigmatisé. Ce drame aurait pu être évité si une chape de silence et de complicité indirecte ne s'était pas abattue sur cette maison de l'horreur. En ignorant les signaux d'alerte, le voisinage devient complice.
" A entendre les conversations entre les gosses du quartier, il apparaissait clairement que tout le monde avait une idée des événements qui se déroulaient là bas _ vague pour certains et assez précise pour d'autres. Mais personne n'avait d'opinion à ce sujet. Comme s'il s'agissait d'une tempête ou d'un coucher de soleil, d'une force de la nature, quelque chose qui, simplement, se produisait parfois. "
L'auteur met implicitement en garde contre une forme d'indifférence qui peut conduire à la tragédie.

Le talent de Jack Ketchum se révèle pleinement dans une montée en puissance de l'horreur. Une jeune fille comme les autres rencontre au bord de l'eau un jeune garçon comme les autres dans une campagne tout à fait ordinaire. Elle vient d'être recueillie par sa tante avec sa jeune soeur handicapée dans la maison voisine suite au décès de ses parents.
Un été idyllique s'annonce alors avec les balades à vélo, la pêche aux écrevisses avec les copains et une jolie fille pour compagnie . D'autant plus que la tante Ruth est la maman cool du quartier, celle qui distribue les canettes de bière aux gamins qui traînent toujours dans la maison.

Mais Ruth Chandler dans une sorte de culpabilité puritaine qui se transformera en folie, nourrit une haine profonde pour les femmes et va peu à peu se transformer en bourreau.
Tout en affirmant vouloir éduquer sa nièce et mettre en garde ses fils contre le pêché de la chair, elle se livre tout d'abord à une violence verbale, de la moquerie à l'insulte, violence dans laquelle elle entraîne ses garçons à l'âge où le sexisme agit comme un exutoire. Cette violence verbale n'est qu'une première étape vers la torture, comme si en s'emancipant d'une certaine bienséance du langage les instincts les plus bas trouvaient à s'exprimer.

Les garçons et leurs amis sont à un âge où les fantasmes et les idées sexuelles commencent à se développer et on les voit lire Play-boy en cachette. Ruth, en traitant systématiquement Meg de "petite pute" ou de " salope" , enlève toute dignité à la jeune fille et donne aux enfants le droit de la traiter comme un objet méprisable .
Alors que les coups et les tourments augmentent, Meg est retenue captive dans un abri anti-atomique au sous-sol, ligotée et nue.
Susan, la petite soeur handicapée, est également battue pour servir de moyen de pression.
Toute la violence exercée sur Meg est liée à la sexualité. C'est ce qui motive Ruth lorsqu'elle vocifére : " La baise. Il est là le problème. La chatte chaude et humide entre tes jambes. La voilà, la Malédiction, tu comprends ? La Malédiction d'Eve. C'est notre faiblesse."
C'est aussi les pulsions sexuelles des garçons, encouragées par leur propre mère, qui sont à l'oeuvre dans le déchaînement de cruauté et qui touchent essentiellement les seins et les parties génitales.

Le choix du narrateur permet d'entretenir tout au long du roman une ambiguïté morale délibérée. David, le petit voisin amoureux de Meg, raconte à la première personne, mais trente ans après les faits, les événements dont il porte toujours la culpabilité.
Gamin de 12 ans, ami des garçons, il a assisté au sadisme de la famille, fasciné et pétrifié avant de pouvoir réagir.
Cet aveu résume le terrible dilemne de David. On y lit le pouvoir d'exemplarite des adultes sur les enfants, la puissance de la dynamique de groupe et la sideration devant une forme de pornographie.
"Je ne pouvais pas partir. Pas avec les autres ici. D'ailleurs, je n'en avais pas envie. Je voulais voir. J'en avais besoin. La honte ne faisait pas le poids face au désir."

Stephen King dans une préface dithyrambique salue " une oeuvre de portée et d'ambition considérables".
Aussi éprouvante que puisse être la lecture, ce roman illustre brillamment les mécanismes de l'effet de meute et la montée en puissance de la violence dans le chaos de l'effondrement de toute barrière morale.
Il est d'autant plus choquant qu'il implique des enfants non seulement dans le rôle de victimes mais aussi dans celui de bourreaux, mais il laissera à ceux qui pourront le lire, le sentiment d'avoir lu une oeuvre magistrale.
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