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Critique de SZRAMOWO


LA PART DU MORT

Gallimard publie en un seul volume intitulé le «Quatuor algérien», les 4 romans de Yasmina Khadra se déroulant durant la période 1988-2000 en Algérie où le FIS fit régner la terreur dans le pays après l’interruption par le pouvoir en place du processus électoral qui devait permettre aux islamistes de remporter les élections.
Le premier roman s’intitule la part du mort, il nous permet de découvrir le héros de Yasmina Khadra, le commissaire Brahim Llob, un ancien maquisard qui s’est battu contre l’armée française au sein de l’ALN pour libérer le pays. du joug colonial.
Une fois l’indépendance obtenue, Llob ne se retrouve pas dans l’Algérie nouvelle. Les valeurs qui l’avaient amené à combattre les colonisateurs.
L’intérêt de ce roman est notamment, la vision qu’il nous donne de l’Algérie post coloniale. La référence permanente à la guerre et à ses héros empêche d’accéder à une véritable démocratie et de conduire le pays vers le développement économique que la population appelle de ses voeux. L’indépendance, paradoxalement, ne conduit pas immédiatement au bonheur...
Digérer la période coloniale s’avère tout autant difficile réduisant le débat politique à une opposition caricaturale entre les héros et les traitres.
Si la plupart des leaders du FLN ont été formés à l’école de la France, une telle vérité dot être occultée car elle n’est pas politiquement correcte.
Yasmina Khadra, un ancien commandant de l’armée algérienne, sous le couvert de la parole de Brahhim Llob, ne mâche pas ses mots.
Selon Llob, le malaise de la société algérienne vient de ce qu’après le 5 juillet 1962, l’histoire officielle s’est bâtie sur une vision simpliste. D’un côté «Les Colons», c’est à dire tous les non-algériens et leurs séides (Harkis et Musulmans non encartés au FLN, «neutres» pour leur plus grand malheur) ; de l’autre, les glorieux combattants qui ont conduit le pays vers la liberté.
Cette vision entraîna une épuration durant laquelle certains chefs locaux du FLN ont épuré «très large», un peu comme le chirurgien qui pour prévenir la réapparition du mal coupe bien au-delà de la tumeur dont il libère le patient.
Les Algériens qui ont combattus au côté de la France entre 1954 et 1962 sont suspects au premier chef, mais les familles dont les ascendants ont combattus en 1914-1918 et en 1939-1945 sont également jugées suspectes.
Une façon comme une autre de se débarrasser d’élites devenues encombrantes, de témoins gênants ou de propriétaires terriens dont on accapare les biens.
Ces exactions sont le plus souvent le fait de résistants de la dernière heure ou de résistants au parcours hasardeux.
Air connu que nous avons chanté en France au sortir d’une 2ème guerre mondiale où le pouvoir avait collaboré avec l’occupant montrant le chemin à des citoyens égarés qui pour se racheter, une fois les alliés présents, ont décidé avec courage de tondre des femmes supposés avoir couché avec l’occupant....
Llob a la dent dure contre ces «bergers» devenus «notables» qui considèrent le peuple comme leur cheptel.
- Mes voisins immédiats, deux nababs taciturnes flanqués d’une grosse truie enrobée de soie et de pierres précieuses me dévisagent, (Page 413)
Il persiste et signe en dénonçant la nomination à des postes importants d’anciens chefs de guerre supposés avoir des compétences universelles et la mise au placard des experts, des érudits et des intellectuels :

Il a été ami avec Frantz Fanon. Mais que peut faire un érudit dans un pays révolutionnaire où le charisme s’applique à être l’ennemi juré du talent, où le génie est traité en hors-la-loi ?
(La référence à Frantz Fanon n’est pas neutre si l’on se réfère à son ouvrage sur les femmes et la révolution en Algérie)

Llob a une position peu enviable, commissaire au central d'Alger, ancien Moudjahidin, il connait les travers de ses supérieurs, qu’il a souvent côtoyés au maquis, vus frémissant de peur, ou s’enfuyant face au danger, et dont il sait qu’ils n’ont jamais suivi le aprcours figurant sur leurs CV officiels.
Lui-même n’a pas voulu entrer dans les système «je te donne» «tu me donnes» - «je te tiens- tu me tiens» et pas que par la barbichette.
Comme il est un excellent policier et une enquêteur hors pair, on tolère une certaine indépendance de sa part, mais on lui montre que si la laisse est souvent longue, elle peut être parfois très courte, jusqu’à l'étrangler en le privant de moyens.

La voiture 14 est intangible, Llob. On ne la sort du garage que sur ordre exclusif du Ministère. (Page 405)

Il s’en accommode, la plupart du temps mais, quelquefois, la coupe est pleine et il explose...
Dans «La part du mort», il se retrouve au sein d’un règlement de comptes entre d’anciens maquisards devenus notables du régime. On instrumentalise sa probité et sa rectitude. Il s’extirpera du traquenard pour dévoiler la vérité en étant conscient que cela ne change rien. Une petite victoire qu’on lui autorise à condition que rien ne bouge.

Vous faites fausse route commissaire, je vous assure, il n’y a pas de complot. Haj Thobane a été rattrapé par son passé. Nous avons décidé de ne pas l’aider c’est tout. Ce n’était qu’un être immonde. Il a causé d'énormes soucis à la Patrie, l’empêchait d’avancer, s’opposait aux réformes, à l’ensemble des initiatives susceptibles d’améliorer les conditions de travail et de vie de nos citoyens et retenait le peuple en otage. (Page 439)

Quelquefois même, ses supérieurs se laissent aller à mettre en avant les talents multiples de ce commissaire qui est aussi un écrivain reconnu (Llob devient Khadra) :

C’est un écrivain, aussi, ajoute le dirlo.
C’est-à-dire ?
Ben, il écrit des bouquins.
C’est pas vrai !
Mais si, je vous assure. Il a même eu droit à des papiers élogieux dans la presse. (Page 79)

Le roman se termine en 1988 lorsque le président de l’époque, le Raïs Chadli Bendjedid demande au peuple de se révolter contre les élites, de secouer la Nomenklatura, et ouvre pour la première fois un processus électoral démocratique dont le FIS sort grand vainqueur.

Le roman présente un autre intérêt, il montre le quotidien des Algériens. L’écriture de Khadra se révèle, comme toujours, inventive, truculente, imaginative :

Je range ma bagnole au coin de la rue Baba Arroud, une venelle constipée, à peine assez large pour laisser passer l’air du temps. De part et d’autre de la chaussée, des immeubles croulants défèquent à même le trottoir. Le coin semble ne pas avoir vu l’ombre d’un éboueur depuis l'époque du volontariat estudiantin de 1970. Le relent des fondrières est tel qu’on est obligé de travailler à la machette pour avancer. (Page 167)

On a parlé de l’attentat à la radio. Même le speaker avait la tremblote. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Depuis Khemisti, on n’a jamais ciblé un ministre chez nous.
Mon Dieu ! Si en plus des misères qui prolifèrent à toute vitesse on s’amuse à tirer sur les gens... (Page 186)

Je vais réchauffer ton dîner.
Pas la peine. J’ai seulement envie de prendre un bain.
Le quartier n’a pas été ravitaillé en eau cette nuit.
Encore ! (Page 186)

L’écran de mon vieux téléviseur Sonelec met une éternité à s’allumer ; il me porpose un documentaire insipide sur le complexe sidérurgique d’El-Hadjar, fleuron du projet socialiste à l’algérienne, bâti à coups de slogans triomphalistes et de détournements tous azimuts. Mes enfants m’en veulent parce que je refuse d’installer une antenne parabolique chez moi. (Page 102)

- La rue larbi Ben M’hidi pullule de paysans venus de contrées lointaines soudoyer des guichetiers malins et gourmands. De jeunes loubards se pavanent sur les trottoirs, la chemise ouverte sur des chaînes en or massif ; ceux-la se prennent pour des vitrines et ne sont pas contents lorsque les demoiselles ne s’arrêtent pas pour les contempler. (Page 116)

- A Alger pour passer d’un siècle à l’autre, il suffit de traverser la chaussée. Lorsque, en plus, vous êtes amené à sortir de la ville, ne vous étonnez surtout pas si, par endroits, votre voiture se transforme en machine à remonter le temps. (Page 145)

Dans ce quotidien, le femme est réduite au rôle de ménagère ou d’objet sexuel :

Je vois d’abord une jupe et une culotte dentelée par terre, ensuite une fille à moitié nue couchée à plat ventre sur un bureau, les fesses généreusement écartées tandis que, le phallus érigé en thermomètre, Ghali Saad est en train de lui prendre la température.


Comme dans les autres romans, Llob est entouré d’une équipe aussi récalcitrante que lui.
Il y a :
Lino, le play-boy malheureux :
- Lino se relève de sa mésaventure amoureuse comme se relève d’entre deux bottes de foin une fermière dont on vient d’abuser ; c’est à dire hagard, souillé, humilié. (Page 173)
L’inspecteur Serdj, le scrupuleux, l’intégre, le consciencieux :
Il se tue à la tâche, Serdj. Ses joues sont sur le point de déboucher sur ses arrière-pensées. Les cheveux blancs, la moustache pleureuse, il n’est plus qu’une loque enfouie dans un costume à attendrir un SDF. (Page 32)
Baya sa secrétaire fantasque :
Baya prend son temps puis, la nuque droite et le nez haut, elle s’amène avec son calepin, le pas mesuré au millimètre près, rappelant une hôtesse de l’aire défilant pour un spot publicitaire vantant le sérieux de sa compagnie.



Llob reste fidèle à ses propres valeurs :
Son amour du pays enchâssé dans ses souvenirs d’enfance :

Nous portions le même amour pour les mamelons qui s’encordaient jusqu’au pied de l’horizon, les vergers qui s’étalaient à perte de vue, les amandiers chenus, les oliviers taciturnes, le grelot des clochettes au cou des chèvres, la rivière telle une couleuvre fabuleuse parmi l’échancrure des tertres et la montagne hiératique veillant sur la tribu...C’est bien joli de croire son pays le plus beau du monde - encore faut-il le mériter. (Page 260-270)

Sa famille, sa femme Mina et ses enfants :
Tu n’as donc pas que des soucis ménagers dans la tête, dis donc. où t’as appris à causer comme ça ?
En raccommodant tes chaussettes.
Tu aurais du tenter ta chance du côté de l’université pendant qu’il était encore temps. (Page 119)

- Lorsque ma fille s’esclaffe, j’ai envie de tout pardonner. Mais ma gaité est si brève que je n’ai même pas le temps de m’en inspirer. (Page 31)


A LIRE ABSOLUMENT
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