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Critique de batlamb


J'ai siroté ces quatrains dans la traduction d'Omar Ali-Shah, érudit soufi du siècle dernier. A la fois juge et partie mais non dépourvu d'arguments convaincants*, il soutient qu'Omar Khayyām est resté fidèle au soufisme, branche mystique de la religion musulmane qui s'oppose à une lecture littérale du Coran et permet certaines métaphores telles que le vin, pour désigner le principe fondamental de l'ivresse spirituelle. C'est possible, étant donné la proximité culturelle et chronologique de Khayyām avec de grandes figures du soufisme telles que Rûmî ou Saadi. Quant à savoir s'il ne s'est pas détourné ironiquement de la religion pour chercher un plaisir plus terrestre, c'est toute l'ambiguïté qui agite encore les commentateurs. L'inspiration poétique de Khayyām conserve une part de mystère, qui rejaillit dans les brefs quatrains exhalés comme des épigrammes :

« Un souffle sépare l'infidélité de la foi ;
Un autre distingue la certitude du doute.
Alors, chéris le souffle, ne le traite jamais à la légère -
Un tel souffle n'est-il pas la moisson de notre être ? »

Là où certains traducteurs tels qu'Edaward Fitzgerald ont donné de ce poète une image proche d'un nihiliste athée (ce qui fait dire à Fernando Pessoa dans le Livre de l'intranquilité, que « tout vient de la non-raison » chez Khayyām et aboutit à la « désillusion »), il se pourrait que l'un des plus grands savants du Moyen Âge cherche plutôt à « obtenir une vision plus claire de Dieu » (je cite là Ali-Shah) en étalant ses doutes au grand jour, à la manière des malâmatî, soufis de la « voie du blâme ». Moquerie contre Dieu ou soumission à son dessein, la poésie de Khayyām brasse en tout cas une imagerie universelle, avec parfois des accents de philosophie déterministe, sans doute influencée par ses activités de mathématicien et d'astronome :

« Quand les chevaux sauvages du Ciel ont obtenu leur selle,
Quand Jupiter a lancé son premier éclat, puis les Pléiades,
Mon sort a été publié depuis le Tribunal de Dieu,
Comment puis-je errer ? J'agis comme il est écrit. »

Que l'alcool soit le prélude à l'anabase ou au simple coma éthylique, la transe qu'il induit permet de flouter les limites des cinq sens, et donc du corps et de l'esprit.

« Si seulement je contrôlais l'Univers de Dieu,
Ne voudrais-je pas effacer ces Cieux imparfaits,
Et de rien édifier un vrai Paradis,
Où toute âme atteindrait le désir de son coeur ? »

Je lève mon verre à cette idée.

*Notamment ses réfutations, preuves à l'appui, des contresens commis par les traducteurs occidentaux dont le plus célèbre, Edward Fitzgerald, ne connaissait que très peu le persan, devant s'aider d'un dictionnaire... et de son intuition.
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