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Critique de HenryWar


Avec Crad Kilodney, les Éditions le Dilettante, dont la ligne éditoriale est notoirement d'une suavité de si pure complaisance que leurs paroles publiques fondent en caramel quand il fait un peu chaud, ont réussi, croient-elles, à rendre subversive leur si pathétique maison. Nous, bien sûr, nous ne le pensons pas une seconde – le Dilettante est un racolage perpétuel ; son slogan, tâchant de définir son titre à un lectorat rendu par lui à moitié analphabète, devrait plutôt se traduire par : « Personne qui ne se fie qu'à l'impulsion de ses gains » –, mais il suffit à des investisseurs de trouver l'opportunité financière de publier les posts d'un auteur en fin de vie et à bon marché, et voilà, c'est fait : un éditeur d'amourettes niaises et écrites sinistro-pédestrement (je veux dire avec le pied gauche) comme le sont les mièvreries d'Anna Gavalda – trouvaille de la maison ! paraît-il. L'autre fois, en bêchant mon jardin, j'ai fait semblablement la découverte d'un os de dinde… mais je ne l'ai pas gardé : j'ai eu tort apparemment, puisque certains font toute leur renommée là-dessus ! – ne peut pas devenir tout à coup âpre et dur, sombre et révolté, cynique et cruel, en publiant pour une bouchée de pain le recueil d'un artiste transgressif connu au Canada depuis plus de trente ans mais opportunément mourant et ruiné en 2012 où il fut publié en France parce qu'on jugea aisé de lui faire accepter au préalable toutes les concessions les plus inacceptables (il est mort en 2014 d'un vilain cancer).
J'ai bien conscience que cette phrase précédente et une des plus longues du monde. Si cela vous plaît, allez donc lire M. Proust qui en fait de belles aussi. Si cela vous déplaît, pourquoi continuer à me lire ? Dans les deux cas, foutez-moi le camp et la paix ! (Cette provocation gratuite pour rester tout au long de cet article dans le ton de ce que fait M. Kilodney).
le traducteur du Dilettante, un certain Philippe Billé, a trouvé génial, une fois de plus (c'est une sale manie dans la profession !) de transposer le titre original et simple Exotic Cities en Villes bigrement exotiques. On suppose qu'il y a des gens qui ne savent pas quoi faire, qui s'ennuient ou qui ne parviennent pas à justifier pleinement leur salaire. On leur demande de traduire, et, comme c'est trop facile – admettons pour une fois qu'ils soient vraiment bilingues –, ils ont des scrupules à agir comme on leur demande, ça leur paraît louche, ils en tirent des soupçons. Alors, comme M. Billé sait que le Dilettante est une maison, vraiment, mais alors trop incroyablement fun et sans tabou genre Canal+, il a ajouté, comme ça, un « gros mot » au milieu de la couverture, fort audacieusement. Et tant pis s'il perd son travail, qu'il s'est dit : je suis un foufou, moi !
Certes, chacun sait que « bigrement » n'est pas du tout une injure, et qu'un traducteur réellement casse-cou aurait tenté un Villes foutrement exotiques, d'ailleurs bien davantage dans la note du livre que cette semi-outrance policée pour parisiens seizièmistes. Mais enfin, on a dû y réfléchir chez le Dilettante, on a là-bas toutes sortes de spécialistes en communication qui passent leur temps en sondages et en études de marché – en fait, il n'y a que des gens comme ça au Dilettante : les auteurs reçoivent des commandes directement du service business to consumer, et si ledit service sent qu'il est en capacité de faire un bon marketing là-dessus, il accepte le texte, le corrige tant qu'il veut, et envoie chier l'écrivain avec ses 9% –, mais ces ingénieurs ont dû trouver que le mot « foutre » sur une couverture c'était vraiment « trop », et l'un d'entre eux a eu la sage et brillante idée d'aller chercher dans ses souvenirs d'enfance un synonyme extrait d'une conversation avec son arrière-grand-mère internée de force en Ehpad (ça revenait moins cher, prétend-il, et elle y est sûrement très bien si on excepte ses trois tentatives de suicide mensuelles). Je sais de source sûre que cet homme admirable a reçu une augmentation : on lui a proposé d'écrire pour le Dilettante, mais il aurait immédiatement déclaré : « Vous me prenez vraiment pour un zozo ! » (autre expression ancestrale ; ce type n'est qu'un cliché de toute façon !).
J'aurais choisi, moi, plus sobrement, Villes exotiques, mais il paraît que ce n'est pas permis d'être si naïf et que je manque de vestes de tailleur et de baise-en-ville luxueux pour pouvoir ramener ma fraise chez un éditeur, par conséquent, je ne connais rien en traduction et devrais probablement laisser ce domaine aux gens que ça concerne. Je ne puis cependant m'empêcher d'imaginer comme un anglophone d'un si grand professionnalisme contemporain aurait traité Mme Bovary – Mrs « bitch » Bovary – ou bien L'Assommoir – Don't fuck with alcohol ! –, mais il n'est certes pas établi que chacun de ces ouvrages eût moins bien marché sous cette autre appellation.
N'importe, ça suffit, assez ! parlons du contenu plutôt, et ne nous laissons pas détourner de la lecture d'un livre par… oui, par le livre lui-même.
Crad Kilodney semble le mauvais esprit du Canada, de l'Amérique et du monde anglo-saxon réuni. Dans son recueil de voyages – tiens ! j'y pense (je sais bien que je suis insupportable de m'interrompre ainsi à tout bout-de-champ, ça fait des paragraphes interminables où on perd le fil, il y faudrait même des parenthèses dans les parenthèses dans les tirets mais je ne sais pas du tout comment faire alors je m'abstiens mais c'est uniquement par manque de moyens techniques ; n'importe, de toute façon : en cas d'exaspération ou d'intérêt, se référer au paragraphe deux de ce lumineux article) : le Dilettante, qui s'est longtemps enorgueilli de publier à ses risques et périls des nouvelles d'écrivains jeunes et nouveaux, n'en publie quasiment plus ! (« Revirement stratégique », à ce qu'il paraît, quelque chose de très subtil : il opte à présent exclusivement pour des romans d'auteurs célèbres et retouchés) –, M. Kilodney se propose d'exposer ses destinations semi-touristiques préférées (là où le tourisme n'a pas encore bien pris), et c'est avec l'esprit le plus dérisoire et malsain qu'il vous raconte où trouver des prostituées russes, des hôtels de luxe, des centres commerciaux, des parcs d'attraction et tous autres lieux qu'un célibataire capitaliste et conservateur espère raisonnablement découvrir dans un pays qu'il visite et qu'il ne connaît pas, ceci au détriment des paysages grandioses et inspirants, des rencontres chaleureusement humaines, et d'une philosophie locale de tendre et généreuse simplicité – toutes choses dont on feint de s'intéresser pour la frime mais qui n'intéressent personne ou bien peut-être ceux qui versent encore une larme devant Bambi et qu'il faudrait parquer dans des camps de rééducation à la dure où on leur apprendrait enfin ce que c'est qu'un vrai Américain viril). Cette mentalité affreuse fait de Crad Kilodney un guide savoureusement méchant et ironique, passionné de superficialités idiotes et assumées – ses leitmotivs sont par exemple à nommer les directeurs de tous les hôtels où il a dormi, à désigner les stars si possible homosexuelles ou juives qui ont récemment visité la ville avant lui, à en profiter pour mentionner les potins les plus scabreux à leur endroit, et à rendre tous ses efforts pour jumeler sans utilité les cités visitées avec quelque autre communauté anglophone dont le maire est si possible un politicien des plus véreux et racoleurs.
Et ce ton de trivialité moqueur est une bulle réjouissante et bienvenue de cruauté grasse dans un monde de végétariens et de pacifistes pro-pandas à la con (Oups ! un gros mot ! J'en demande bien pardon à maman et à Dieu, et promets de m'absoudre dès ce soir en récitant sous le fouet – mmmh ! – dix Pater Noster et trois Ave Marie, et puis en organisant une collecte pour les WWF – celle des animaux et celle du catch –, et puis en regardant avec ferveur un film avec Tom Cruise ou John Travolta, pères fondateurs de toute spiritualité religieuse admissible et digne de ce nom) ; cela fait penser à du Albert Londres en tout à fait décomplexé. Mais autant dire que si on rit des pires outrances, on n'apprend presque rien sur ces destinations – vraiment, il ne faudrait pas qu'un livre si vide fût beaucoup plus long – ; et on en vient même à espérer, tant le mauvais esprit est contagieux, qu'une abondante nuée de touristes, appâtée par ces descriptions, viendra piétiner et ruiner à gros pas obèses le peu d'authenticité pittoresque supposée vaniteuse de ces sites-là, et l'on attend avec impatience la prochaine plaisanterie intolérable de cet auteur pince-sans-rire dont l'humour noir est un odieux éloge à Andy Kaufman et à tout ce que la terre a porté de plus inconvenant et amoral, de plus antichrétien et séditieux, depuis Friedrich Nietzsche, Marilyn Manson, les jeux vidéo jusqu'aux éditeurs français.


P.-S. : Je viens de découvrir avec stupéfaction qu'il existe une loi française qui, en plus de prohiber la diffamation et l'incitation à la haine (c'est donc qu'on ne peut plus rien dire, en France ! de quelle façon devenir encore quelqu'un en art si on ne peut plus calomnier ou faire abattre sur une tête une pluie de menaces mortelles ? Je crois bien qu'aujourd'hui, de désespoir, Voltaire se suiciderait !), interdit d'utiliser à des fins avantageuses et notamment commerciales le nom d'une entreprise sans son autorisation. Je regrette de n'avoir plus le courage de retirer toutes les mentions que j'ai faites du D*** dans mon article après m'être épuisé de bravoure à rechercher sur son site Web les traces – que dis-je « les traces » : les vestiges – d'un bon livre ; mais je puis in extremis sauver les apparences et conseiller à mon aimable lecteur qui ne voudrait pas s'embarrasser une fois de plus de l'aperçu d'un tel crime, de se détourner du D*** (s'il a au moins quelque ressource intellectuelle suffisante pour 1) utiliser un logiciel performant de traduction, et 2) ne pas dépenser 17 € pour un livre qui se lit en deux heures et demi et dont l'auteur mort ne peut plus bénéficier d'aucune rente), et d'aller lire Kilodney en version originale directement sur son blog à https://cradkilodney.wordpress.com – et ce n'est pas du tout un prétexte pour empêcher le D*** de faire de l'argent, qu'allez-vous donc chercher, médisants ?!
Lien : http://henrywar.canalblog.com
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