« Mais on arrête pas de perdre des choses dans cette vie… ». C'est ce que découvre très tôt et tragiquement l'enfant Annie, dans une intrigue qui se déroule principalement dans la région de Birmingham à la fin du XIXe siècle. Et pourtant, son destin mouvementé, évoqué tout au long de ce nouveau roman, formidable, de l'écossais
Mick Kitson, lui apprendra rapidement que, dans le respect d'un vieil adage, qui perd gagne, et que la détresse la plus cruelle peut préluder à une vie infiniment exaltante. Petite gitane de dix ans, elle est vendue par sa mère, lorsque la famille, tenaillée par la faim, est au plus noir de la misère, au vieux Bill Perry, le « Slasher de Tipton », un champion, sous ce nom, de boxe à mains nues. Alcoolique et perdant peu à peu la vue, souvent bourru et colérique, mais débordant de générosité, le bonhomme acquiert un bar à bière, qui deviendra très vite un estaminet populaire auprès des ouvriers de la cité industrielle, en même temps qu'il se prend d'un vrai amour paternel pour la « gazille » Annie, à laquelle il apprend, découvrant sa vivacité d'esprit, son endurance et sa force physique, tous les rudiments de son art du combat. Et Annie Perry se révèlera, à mesure que les années passent, une boxeuse particulièrement douée, dans des combats qui lui permettent d'arrondir les revenus parfois précaires du bar…
Poids plume dresse ainsi le portrait d'une magnifique lutteuse, bravant aussi bien ses adversaires, pas toujours féminines, sur le ring, que la pauvreté et l'hostilité des puissants ou les aléas de l'amour, une nouvelle figure parmi les héroïnes flamboyantes que
Mick Kitson s'applique à nous faire aimer de roman en roman, des deux soeurs sauvageonnes du
Manuel de survie à l'usage des jeunes filles (traduit chez Métailié en 2018, à découvrir absolument si vous ne l'avez déjà lu) à la présente Annie, en passant par la sublime brigande d'
Analphabète (Métailié, 2021). Tandis que la jeune femme découvre aussi l'importance de la lecture et de l'écriture, la leçon de boxe devient leçon de vie féministe, et Annie la meilleure des porte-drapeaux d'un combat alors naissant, pour transmettre bien plus tard le flambeau à sa propre servante. Au-delà, pourtant, de cette trajectoire de vie, comme engagée malgré elle, il y a dans ce livre autant de Dickens, à travers la peinture noire de la misère des mineurs ou des ouvriers cloutiers, que d'
Hector Malot, dans la description des malheurs et des joies du peuple nomade, et même que de Dumas, une vraie dimension quelquefois de roman de cape et d'épée, même si celle-ci est souvent remplacée par un pistolet, ou, boxe oblige, par les poings des protagonistes… Autant de riches épices dans le chaudron de la fiction, qui donnent à ce texte les charmes nécessaires pour briller dans cette rentrée littéraire 2022. Un vrai bonheur de lecture !