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Critique de beatriceferon


Je parcours la liste des ouvrages proposés par l'opération Masse critique non fiction. C'est ce titre « Âmes et animaux » qui me tente le plus. Pendant tellement longtemps, l'Église a refusé une âme aux bêtes. Descartes les décrivait comme des machines. Heureusement, la belle Marquise de Sévigné s'indignait : « des machines qui aiment, qui souffrent » et Jean de la Fontaine, dans son superbe « Discours à Madame de la Sablière » battait en brèche cette sotte affirmation.
Aussi, ce fut pour moi une grande joie d'apprendre que j'avais remporté le livre.
Qui ne connaît Beate et Serge Klarsfeld, les célèbres chasseurs de nazis ? Mais leur fils Arno, je l'avoue, m'était, non pas totalement inconnu, mais j'aurais eu grand peine à expliquer ce qu'il faisait. Avocat ? Spécialisé dans le domaine politique? Autant dire quelque chose qui ne m'intéresse pas.
Est-il bien raisonnable, en cette triste période, de se lancer dans un journal de confinement ? Celui-ci couvre plus de deux mois. Il s'ouvre le lundi 16 mars 2020 (le jour de mon anniversaire) et se referme le dimanche 10 mai. Dès le début du confinement, les Klarsfeld décident de se regrouper. L'appartement d'Arno abritera donc « trois bipèdes et cinq quadrupèdes : trois chats et deux chiens ». Par chance, ils s'entendront bien, ou du moins, se toléreront.
L'auteur décide d'entamer cette écriture « pour passer le temps en faisant disparaître l'angoisse (…) pour pousser à l'amélioration du bien-être animal qui [lui] tient à coeur et sera une des causes majeures du XXIe siècle dans le monde occidental. »
Il va donc s'appliquer à fixer sur le papier quelques pensées qui le traversent, notant des similitudes entre l'enfermement auquel nous condamne ce maudit virus et la situation qu'ont connue ses parents (et bien d'autres, malheureusement) pendant la guerre, et qui était mille fois pire, faisant allusion à des articles de loi, des épisodes de l'actualité, rédigeant même quelques poèmes, évoquant des tranches de leur vie quotidienne. Chaque jour, ou presque, se termine par une petite histoire (une sorte de nouvelle) que lui dictent les événements de la journée, dont le héros est vêtu de poils ou plumes, le décor celui d'un enfermement, similaire au confinement qu'ils subissent ou résultant d'une épidémie. Ce qui m'a particulièrement plu, c'est que toutes sont favorables aux animaux qui les peuplent et sont pourtant si dissemblables : cigognes, vaches, singes, oies, koalas ou même araignées. Les humains qui les entourent leur sont bienveillants et, grâce à eux, certains, qui étaient voués à la mort, pourront lui échapper.
Celle qui m'a le plus touchée a pour cadre Pompéi. Deux archéologues mettent au jour une villa, dans laquelle ils exhument toute une famille. J'ai visité Pompéi et avais été triste en contemplant ces corps figés dans le plâtre, qui ont pris, dans la mort, des poses torturées et effrayantes.
Ce n'est pas du tout le cas dans cette histoire et c'est réconfortant. Ce qui me plaît tout particulièrement, c'est cette merveilleuse compassion dont fait preuve l'auteur. Il témoigne, envers ses amis à fourrure, d'une patience que je n'aurais pas, moi qui les aime tellement. Ainsi, il accepte d'être sorti de son sommeil à quatre heures du matin par son chat blanc : « il faut que je le prenne et que je le mette dans un lavabo, que je laisse couler l'eau délicatement, ce qui lui permet de prendre sa douche. » En ce qui me concerne, celui qui interrompt mon sommeil risque de devoir affronter un hybride de l'hydre de Lerne et d'un oursin géant !
Arno Klarsfeld n'oublie pas les humains : en constatant le chagrin de sa mère, Beate, de ne pouvoir approcher sa fille et ses petits-enfants : « comment doivent se sentir les personnes âgées dans les Ehpad, confinées dans une chambre, sans sortir et sans voir qui que ce soit ? (…) Elles doivent se laisser mourir parce que cela semble aller de soi. »
Il cite, de temps à autre, des extraits de ses lectures : « Victor Klemperer témoigne dans son livre « La langue du IIIe Reich » : "on nous a enlevé, puis tué nos animaux domestiques, chats, chiens et même canaris (…) et c'est une des cruautés dont aucun procès de Nuremberg ne rend compte. " »
Ou encore, évoque un revers de la glorieuse conquête de l'Amérique : « Lorsque Christophe Colomb débarqua (…) il y avait, dit-on, un million d'Indiens (…) en 1508 il n'y en avait plus que 60 000 (…) et en 1550, il n'y en avait plus que 150. Ceux qui les ont éliminés sont des bipèdes visibles et des virus invisibles comme celui de la variole. »
Je peux donc dire que, si au début, je ne savais quasi rien de l'auteur, en terminant son livre, j'ai l'impression d'avoir rencontré un ami, quelqu'un de très sympathique dont les idées sont en parfaite harmonie avec les miennes.
Inutile de préciser à quel point cette lecture m'a conquise et à quel point je suis contente de l'avoir reçue.
Je souhaite donc témoigner toute ma gratitude à l'opération Masse critique qui m'a permis de la remporter et aux éditions Fayard qui me l'ont offerte.
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