À crier dans les ruines

«  La tragédie était le chaudron des slaves » ..

Le bus s'ébranle, ils quittent rapidement Kiev.A l'arrière du car, Léna sort son livre.Ses yeux tombent sur la quatrième de couverture : sous le nom de l'auteur, Boris Pasternak, figure une brève notice : " Bien que sorti en 1957, le roman ne sera publié en Russie qu'en 1987." Trente ans après sa publication à l'Ouest un an après Tchernobyl.

( p.13)

Il est des terres où des hommes sont plus enclins à voir le destin s'acharner. Perte de territoires, perte d'identité, peuple déchiré, nature bafouée, l'Ukraine se détricotait chaque saison.

Au loin roula le tonnerre. Il déchira soudain le ciel de sa colère, telle une amante déçue de n'être plus caressée. Le roulement du ciel se faisait ténor au milieu de ce camaïeu de blancs.

"Il lui a suffi d'entendre le récit de ses racines, de cette terre jamais oubliée: en revenant à Pripiat, Léna a coupé ses ailes pour mieux voler." (P234)

Sous un soleil de plomb, la terre criait ses ruines, la cendre se faisait cendre régénératrice.

L’homme a trois chemins devant lui : la technologie, l’amour et la nature. Les négligences de la première ont brisé ma patrie, le second m’a oublié, il ne me restait plus que la troisième voie. La nature et sa forêt de bras.

Après l’appartement provisoire de Kiev, nous avons été relogés à Slavoutytch, une ville nouvelle, comme ces nouveaux champignons dans les bois. Aucune histoire dans ses pierres ne la soutenait. Quelques habitants de Pripiat sont restés à Kiev, dans des barres d’immeubles sans âme.

"Les livres n'étaient pas seulement des outils pour apprendre le français ou pour s'évader : ils comblaient cette absence qui la dévorait et était un pont de papier entre les rives de ses deux vies."
"Ne lutte pas contre toi-même. Souvent, nous sommes notre meilleur ennemi ;"
"La nature s'habille toujours des mêmes notes, seul l'homme grandit, puis vieillit."
"Comme d'habitude, les adultes n'ont pas su te répondre avec franchise : là où l'enfant veut connaître la vérité, l'adulte feint, car il a peur de faire mal."
"je me taisais comme tu l'as toujours fait, car l'enfant veille sur ses parents, et veut ingénument leur bonheur."

Elle lisait comme on respire. Par soif, par nécessité. Le plaisir était là aussi. Elle refermait chaque livre, comme on quitte des amis.