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Critique de karmax211


Second volet de - La trilogie des jumeaux -, - La preuve - fait donc suite à - le grand cahier - d'Agota Kristof.
Nous avions quitté dans le premier opus Claus, Lucas et leur père tentant de traverser la frontière.
Pour y parvenir il fallait qu'il n'y ait qu'un des deux frères qui se retrouve de "l'autre côté" ; le second se "sacrifiant" en restant au pays, dans la Petite Ville, dans la maison de grand-mère.
Cette seconde partie est, outre une narration à la troisième personne du singulier, emplie d'une violence et d'une cruauté davantage contenues que dans - le grand cahier -.
Mais contrairement à ce que j'ai pu lire ici et là, j'ai lu pour ce qui me concerne un roman empli d'une violence et d'une cruauté plus ou moins retenues.

Violence il y a dans cette "séparation", cette déchirure que vit Lucas après la fuite de son frère.
Une violence qui se traduit par ce qui ressemble à une autodestruction, le refus d'une vie désormais privée de sens.
Jusqu'à la rencontre avec Yasmine, jeune fille qu'il surprend à la rivière au moment où elle essaie de noyer Mathias son fils né d'une union incestueuse avec son père... à présent en prison. C'est violent, me semble-t-il !
Lucas recueille la mère et l'enfant qui souffre de malformations, qui claudiquera à vie et sera l'objet de toutes les cruautés que les enfants réservent à ceux qui leur sont différents, plus faibles, et qui leur font l'affront en dépit de leur handicap de les dominer intellectuellement.
Violent ou pas ?
Que dire de Victor le libraire addict à l'alcool et au tabac que Sophie sa soeur va tenter, au péril de sa vie, de libérer de ses démons, lui donnant enfin l'opportunité de réaliser son rêve : devenir écrivain ? La corde que le bourreau passera au coup du libraire apporte une réponse violente et cruelle à cette question... qui n'en était pas tout à fait une...
Pourquoi ne pas évoquer Clara, la bibliothécaire de 37 ans dont les cheveux ont blanchi en une nuit, la nuit où Thomas son mari fut pendu par les sicaires d'un régime totalitaire. Clara dont Lucas va faire sa maîtresse après avoir "rossé" son amant chirurgien et l'avoir contraint à demander sa mutation pour se débarrasser de l'importun.
Clara qui vit dans un passé omniprésent, obsessionnel, tyrannique.
Clara qui se joindra à l'insurrection... j'ai pensé à celle de Budapest en 56... que Lucas croira morte et qui réapparaîtra des années plus tard, morte vivante, vieille femme édentée, fantôme trainant à jamais ses chaînes.
Nous sommes toujours, à mon sens, dans la violence.
Si j'ajoute les squelettes de sa mère et de sa soeur que Lucas a pendu dans l'appartement et caché derrière un rideau, deux squelettes qui attendent qu'un troisième vienne se sus-pendre à leurs côtés, le même Lucas ne pouvant plus trouver le sommeil que sur la tombe du petit M... il n'y a pas là matière à plaider la légitime (?) violence.

Bien sûr on pourra me dire que la personnalité de Lucas s'est légèrement sociabilisée...
À cela je dis que le temps passant, oui, l'aide et la présence accordées au vieux curé délaissé par ses ouailles et par l'État, la relation "amicale" avec Peter, "l'amour" pour Mathias, tout ça tend à nous laisser croire que le Lucas de - La preuve - s'est humanisé.
Mais c'est faire abstraction de la "disparition" de Yasmine... Qu'est devenue la jeune femme ou qu'en a fait Lucas ?

Quelle que soit la lecture qui sera la vôtre, la mienne s'est faite à travers celle d'une pièce habilement mise en scène par son auteure.
Nous avons déjé fait mention du style.
Je le trouve automatisé :" Lucas dit, Lucas rit, Peter dit, Lucas rit de nouveau, L'enfant dit, Lucas éteint la radio, Victor demande, Victor sourit..."Dès les premières lignes de la première page nous avons affaire à ce parti pris de l'auteure :" Un soldat dit, Un autre soldat dit, le sergent dit, Lucas dit..."
Acteurs d'une pièce puzzle dont Agata Kristof tire habilement les ficelles.
Automates réels d'une pièce écrite dans un décor ( un pays ) qui fait des hommes des automates ?

Pour nous perdre un peu plus, la "sournoise marionnettiste" met en scène un Lucas dont apparemment personne ne se souvient qu'il avait un jumeau.
Par ailleurs des personnages du premier volet et des situations de celui-ci croisent ceux et celles de cette seconde partie.

Le rêve est présent lui aussi... questionnant la réalité à moins que ce ne soit le contraire.

Des figures comme celles des flashs d'un amnésique interpellent.
Qui est cet insomniaque qui passe son temps à demander l'heure ?

Quelle interprétation donner aux épisodes durant lesquels Lucas vomit et s'évanouit ?

Point d'orgue, la réapparition à la fin du roman de Claus venu retrouver Lucas... qui a disparu !!!...

Il semble évident que toutes les pièces du puzzle seront rassemblées dans – le troisième mensonge – et qu'on se dira alors contemplant le canevas, bon sang mais c'était bien sûr !

Un deuxième volet qui reste passionnant. Un jeu où l'auteure s'ingénue à brouiller les pistes mais où l'on sent qu'elle nous promène dans cette forêt où les jumeaux ont semé des cailloux pour ne pas trop nous perdre.
Une trilogie énigmatique dans laquelle le rêve, le mystère, l'amnésie, le rapport au temps maillent une trame hyperréaliste qui sert de prétexte à l'auteure pour dessiner en pointillés un réquisitoire contre les errances de l'Histoire et contre l'homme confronté à cette Histoire dans laquelle il écrit la sienne.
Les deux premiers volets de cette trilogie ne peuvent être lus sans la place et l'importance que revêt pour l'humain l'écriture.
Il y a du Kafka, du Hitchcock raconté le soir par un Orson Welles qui aurait troqué ses Martiens contre des jumeaux.
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