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Critique de Arimbo



Un court roman de Kundera, avec toujours cette écriture si fluide, publié en France en 1976, et que je viens de relire.
De tous les romans de l'auteur, j'ai plus d'affinité pour l'humanité de L'insoutenable légèreté de l'être ou de la Plaisanterie, ou encore de l'identité ou même de l'immortalité, relu récemment.
Mais La Valse aux adieux, ce roman cruel et énigmatique, demeure pour moi, qui relis toutes ses oeuvres, le chef-d'oeuvre de la construction et de l'écriture, mais aussi celui dont le sens me demeure le plus énigmatique, même à l'issue d'une relecture et cela malgré l'excellente postface de François Ricard.

Incroyable construction de ce texte, un récit marqué par l'unité de lieu et de temps, une intrigue presque totalement linéaire, un découpage en cinq journées comme les 5 actes d'une pièce de théâtre, et les points de vue successifs des différents protagonistes, un rythme qui s'accélère progressivement jusqu'à la fin tragique, (comme dans le déroulé de la Valse de Ravel) c'est vraiment prodigieux, je trouve.
On se prend à regretter que Kundera n'ait pas plus écrit, mais parfois la qualité prime sur la quantité.

Dans ce roman, le lecteur est plongé dans les cinq jours de la vie de huit personnages, dans une petite ville plutôt bourgeoise, au charme vieillot, une sorte de décor de « carton-pâte » bien éloigné de l'idée, me semble-t-il, que l'on se faisait alors des villes du bloc de l'Est, avec une station thermale où les femmes viennent soigner leurs problèmes de stérilité.

Je ne raconterais pas l'intrigue époustouflante de cette farce cruelle, extravagante, absurde, où, avec désinvolture, l'auteur nous mène jusqu'à la mort d'une des protagonistes.
Je dirais simplement que l'auteur nous conduit de façon admirable dans un tourbillon de mensonges et de tromperies, qui me rappelle Feydeau, à ceci près que l'intrigue et son issue sont bien plus grinçantes et que c'est, en définitive, une comédie de la mort qui se joue devant nous.

Mais derrière cette farce, Kundera, comme toujours, nous amène, sur le mode de la désinvolture et de l'ironie, à tant de questions qui lui sont chères: le désenchantement d'un monde qui a perdu ses repères, l'incommunicabilité entre les êtres humains, la question de la pertinence de la procréation dans un monde sans espoir, le lien entre la haine et le désir d'ordre (à méditer en ces temps troublés), la vie et la mort.

Mais cette deuxième lecture m'a aussi laissé perplexe quant au rôle qu'y jouent trois personnages étranges, Jakub, le prisonnier politique récemment libéré qui s'apprête à quitter le pays, Bertlef, l'américain d'origine tchèque, très malade, en villégiature pour accompagner sa femme qui soigne sa stérilité et qui prévoit de repartir en Amérique, et enfin le docteur Skreta, le médecin responsable de l'établissement, et dont comprend qu'il utilise son sperme pour soigner la stérilité de ses patientes.

Au delà des intrigues amoureuses, plutôt loufoques, de quatre personnages, avec leurs triangles plus ou moins classiques, d'une part le mari Klima , la femme Kamila jalouse, l'amante Ruzena et l'autre triangle , Klima, Ruzena et l'amant de celle -ci, Frantizek, au delà du rôle mineur joué par Olga, la jeune protégée de Jakub, qui va choisir de découvrir le sexe avec son tuteur, la place de ces trois personnages, Jakub, Bertlef, et Skreta, étrangers aux intrigues des autres protagonistes, m'est apparue très ambigüe et énigmatique.

Le docteur Skreta, cet étrange gynécologue qui, considérant que les problèmes de stérilité d'un couple sont le plus souvent dus à l'homme, insémine les femmes avec son propre sperme, qui cherche à se faire adopter par Bertlef, est-il un doux rêveur ou un eugéniste dangereux?
Et Jakub, qui vient faire ses adieux dans la petite ville, d'abord à son ami Skreta, auquel il vient rendre un comprimé bleu mortel, que Skreta lui avait fabriqué, au cas où il aurait voulu échapper à la torture, et puis, à sa protégée, Olga, qu'il soutient depuis la mort de ses parents, est-il seulement cet homme désabusé et misanthrope, qui a perdu totalement confiance en l'être humain, à la suite des traitements qu'il a subi, ou un homme transformé par la révélation de la beauté féminine, celle de Kamila, ou encore le messager inhumain de la mort avec son comprimé bleu?
Et enfin, Bertlef, cet américain malade, quel personnage ambigu, impossible à cerner, à la fois un mystique et un jouisseur. Est-il le seul homme bon du roman, un saint qui irradie une lumière bleue, ou une sorte de manipulateur surnaturel comme le Prospero de la Tempête, qui sait le sort qui est réservé à Ruzena, lui disant qu'il est « venu à temps », comme s'il savait que la nuit qu'elle passe avec lui est sa dernière.

En conclusion, La Valse aux Adieux, quel récit prodigieux, mais aussi, en ce qui me concerne, quel jeu déconcertant l'auteur joue avec son lecteur; mais ceci finalement n'est pas pour me déplaire; si tout nous était donné, quel plaisir y aurait-il encore à (re)lire ce livre?
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