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Critique de AMR_La_Pirate


Roman exemplaire, premier roman au sens moderne, roman classique par excellence… Il faut lire et relire La Princesse de Clèves !

Mme de la Fayette destinait ses oeuvres à un lectorat essentiellement féminin, plutôt aristocrate et précieux et n'osait pas signer de son vrai nom ses récits romanesques en prose à une époque où ce genre était encore un peu méprisé : avouer un roman aurait été une grave compromission pour cette femme savante, ancienne élève du grammairien Ménage, amie d'Henriette d'Angleterre, de Mme de Sévigné et De La Rochefoucauld.
La Princesse de Clèves paraît donc anonymement en 1678 ; ce roman historique à l'analyse subtile a rapidement connu un grand succès et a été traduit en anglais seulement un an après sa publication. Il faut dire que ce récit marque une vraie rupture avec toute la tradition véhiculée par Honoré d'Urfé, Melle de Scudéry ou encore Scarron : c'est une oeuvre beaucoup plus courte, avec assez peu de personnages et d'une redoutable efficacité dans l'écriture. L'intrigue amoureuse s'enchâsse dans un récit précisément daté, en 1558-59, et compte des personnages référentiels et des évènements avérés connus de tous ; cette dimension historique donne une caution sérieuse et réaliste aux personnages qui s'appuient sur les évènements pour vivre leurs histoires amoureuses.

Aujourd'hui, nous trouvons les personnages un peu trop idéalisés, uniformément beaux et nobles de coeur et d'extraction et nous avons un peu de mal à nous situer dans la Carte du Tendre entre reconnaissance, estime et inclination. Disons que l'intérêt primordial réside dans l'analyse des progrès et des effets désastreux de la passion dans la grande âme de l'héroïne. Tout commence par un véritable coup de foudre dès la première rencontre entre la princesse et le duc ; croyant que ce dernier a une liaison avec la dauphine, le princesse souffre de jalousie, réalise qu'elle est tombée amoureuse et réussit cependant à cacher cette inclination. Mais les péripéties s'enchainent avec le vol du portrait, le quiproquos de la lettre au Vidame et l'accident de cheval du Duc, et mènent la princesse à l'aveu. L'intrigue est servie par une écriture recherchée, des personnages travaillés dans une forme d'exemplarité
L'aveu constitue le noeud thématique du récit : c'est une péripétie assez extraordinaire, longuement amenée, préparée et en quelque sorte justifiée par l'auteure. Cette logique narrative nous embarrasse encore aujourd'hui comme elle a pu interroger les lecteurs contemporains ; cet aveu reste un mystère dans le refus du compromis dans une ambiance de cour, d'influences et d'intrigues féminines. La princesse apparaît anormalement vertueuse au milieu des tentations de la vie de cour. Face à cette femme admirable, le duc de Nemours se cantonne dans un rôle de héros galant, qui fait sa cour de manière discrète mais empressée, ne laissant aucun répit à la femme aimée ; la princesse a sans doute raison de refuser un amour qui, tôt ou tard, l'aurait déçue...
Les conséquences de l'aveu sont désastreuses pour le prince de Clèves, miné par la jalousie ; une méprise lui fait croire que son épouse a pu lui être infidèle et il meurt, victime collatérale de cet aveu qu'il aurait préféré ne jamais entendre.
L'influence de Corneille est sous-jacente : la princesse possède une grande volonté stoïque et sait rester lucide car elle est consciente de sa condition et de son devoir… Mais Racine n'est pas loin avec les ravages de la passion tandis que l'ombre janséniste teinte l'ensemble d'un pessimisme inévitable. Victime de son sentiment de culpabilité, la princesse est persuadée qu'elle n'a pas le droit d'être heureuse

Personnellement, ce roman me fascine et me provoque à chacune de mes lectures… Pourquoi l'héroïne a-t-elle peur de l'amour ? À quoi renvoie sa façon de fuir le bonheur ? L'analyse des sentiments des trois personnages principaux est très subtile et laisse tout un éventail de possibilités.

Les moeurs galantes du XVIème siècle, loin de provoquer un décalage défavorable à un intérêt toujours actuel, laissent une place à l'imaginaire et à la morale des contes de fées quand les héros cultivent une forme d'innocence et des valeurs de sincérité et de modestie dans des univers impitoyables.
Je recommande encore et toujours ce roman qui pousse l'introspection à ses ultimes limites, dans une intimité rare entre l'auteure, son personnage et ses lecteurs. Quel était donc le but de Mme de la Fayette en livrant cette histoire à la postérité ?
À lire et à relire.
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