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LE LION AMOUREUX
(…) Le Père donc ouvertement
N’osant renvoyer notre amant,
Lui dit: Ma fille est délicate;
Vos griffes la pourront blesser
Quand vous voudrez la caresser.
Permettez donc qu’à chaque patte
On vous les rogne, et pour les dents,
Qu’on vous les lime en même temps.
Vos baisers en seront moins rudes,
Et pour vous plus délicieux;
Car ma fille y répondra mieux,
Etant sans ces inquiétudes.
Le Lion consent à cela,
Tant son âme était aveuglée !
Sans dents ni griffes le voilà,
Comme place démantibulée,
On lâcha sur lui quelques chiens;
Il fit fort peu de résistance.
Amour, amour, quand tu nous tiens,
On peut bien dire: adieu prudence.
Notre erreur est extrême,
Dit-il, de nous attendre à d'autres gens que nous.
Il n'est meilleur ami ni parent que soi-même.
Chacun se dit ami, mais fol qui s'y repose :
Rien n'est plus commun que ce nom,
Rien n'est plus rare que la chose.
Parole de Socrate
Toute puissance est faible,à moins que d'être unie. ( Le vieillard et ses enfants)
Ainsi certaines gens, faisant les empressés,
S'introduisent dans les affaires :
Ils font partout le nécessaires,
Et, partout importuns, devraient être chassés.
Notre condition jamais ne nous contente;
La pire est toujours la présente.
LE VIEUX CHAT ET LA JEUNE SOURIS
Une jeune Souris, de peu d'expérience,
Crut fléchir un vieux Chat implorant sa clémence,
Et payant de raisons le Raminagrobis :
Laissez-moi vivre : une Souris
De ma taille et de ma dépense
Est-elle à charge en ce logis?
Affamerais-je, à votre avis,
L'Hôte, l'Hôtesse, et tout leur monde ?
D'un grain de blé je me nourris ;
Une noix me rend toute ronde.
A présent je suis maigre ; attendez quelque temps
Réservez ce repas à Messieurs vos Enfants.
Ainsi parlait au Chat la souris attrapée.
L'autre lui dit : Tu t'es trompée :
Est-ce à moi que l'on tient de semblables discours ?
Tu gagnerais autant à parler à des sourds.
Chat et vieux pardonner ? cela n'arrive guère.
Selon ces lois descends là-bas,
Meurs, et va-t-en tout de ce pas,
Haranguer les sœurs Filandières :
Mes Enfants trouveront assez d'autres repas."
Il tint parole ; et, pour ma fable,
Voici le sens moral qui peut y convenir :
La jeunesse se flatte, et croit tout obtenir ;
La vieillesse est impitoyable.
A Monseigneur le Dauphin
Je chante les Héros dont Esope est le Père,
Troupe de qui l'Histoire, encor que mensongère,
Contient des vérités qui servent de leçons.
Tout parle en mon Ouvrage, et même les Poissons :
Ce qu'ils disent s'adresse à tous tant que nous sommes.
Je me sers d'Animaux pour instruire les Hommes.
Illustre rejeton d'un Prince aimé des cieux,
Sur qui le monde entier a maintenant les yeux,
Et qui, faisant fléchir les plus superbes Têtes,
Comptera désormais ses jours par ses conquêtes,
Quelque autre te dira d'une plus forte voix
Les faits de tes Aïeux et les vertus des Rois.
Je vais t'entretenir de moindres Aventures,
Te tracer en ces vers de légères peintures.
Et, si de t'agréer je n'emporte le prix,
J'aurai du moins l'honneur de l'avoir entrepris.
L'absence est le plus grand des maux.
Un Chat, nommé Rodilardus,
Faisait des Rats telle déconfiture
Que l'on n'en voyait presque plus,
Tant il en avait mis dedans la sépulture.
(le Conseil tenu par les Rats)