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Critique de vibrelivre


Philippe Labro, le petit garçon, roman

J'en ai lu des romans de Philippe Labro, parce que l'auteur a, il faut le reconnaître, un beau parcours, et qu'il me plaît à moi, de faire avec lui ce beau parcours. Il est né en 1936 à Montauban, je connais un peu Montauban, je reconnais les lieux, avec plaisir, malgré le temps passé.
Il est intéressant d'avoir en tête l'année de naissance de Labro quand on lit le petit garçon, car si évidemment on lui accorde avec ses frères jumeaux l'appellation de petit, personnellement à certains passages je ne le voyais pas si petit, notamment quand il parle avec complaisance et fierté de sa précoce sensualité, des jeux avec les filles du Joulas, ou quand il se sent responsable du jeune Maurice, le petit Juif apeuré qui n'arrive pas à dormir, qu'il réconforte.
Les livres de Labro sont toujours construits de la même façon, de manière académique et maîtrisée, avec un prologue, trois parties, et un épilogue.
Il en vient - c'est son sixième roman- ou revient à son enfance à Montauban, où sans doute les bases de ce qu'il est se sont posées. C'est un peu comme la jarre à côté de laquelle est bâtie la Villa de Montauban, dans laquelle le petit garçon lit ce qu'il veut bien, voit des esprits, et que la famille laisse à son départ, comme le petit garçon laisse celui qu'il fut et qui pressent que s'il revient à Montauban, c'est malgré tout un autre qui reviendra. L'on comprend alors la phrase de Bernanos mise en exergue: mais le plus mort des morts est le petit garçon que je fus. Cependant né du précédent. Ce qui justifie la dernière phrase du roman.
C'est ce que j'ai le plus aimé dans le livre, les paliers très marqués de l'âge, le passage du temps qui obnubile les adultes, le frère aîné que les jeux des petits lassent très vite, la jeune fille qu'est la soeur aînée qu'il faut protéger des désirs des Allemands logés dans la Villa, le benjamin qui se sent exclu du groupe des jumeaux, le petit garçon qui mûrit, et dont la maturation est accélérée par les circonstances de la guerre et du sauvetage des Juifs.
Un petit garçon a pour repère sa mère et son père. Un beau portrait de la mère est dessiné, et l'on n'est pas étonné qu'un livre sur elle vienne de sortir, Ma mère, cette inconnue, mais c'est surtout un hommage au père qui est rendu. le père est vieux, de dix-huit ans plus âgé que sa femme connue quand elle avait dix-sept ans, considérée comme la grande soeur de ses enfants. Un père clairvoyant qui met très vite sa famille à l'abri de la catastrophe qui se prépare, un père compétent dans son travail, organisé, ouvert aux autres et payant sans hésiter et au risque de sa vie, de sa personne et de ses biens -il assure le passage des Juifs, qu'il cache dans sa Villa, et ses fermes, en Espagne. Avec sa femme, il recevra le titre de Juste parmi les Nations- qui reprend le travail pour assurer les meilleures études à ses enfants, un père qui a le sens du sacrifice. Ce père a perdu le sien dans son adolescence, d'où peut-être son pessimisme constant, et au moment de cette perte, a trouvé un ami indéfectible, que Labro considère comme son second père.
Labro est pour ainsi dire la continuation de son père, sans peut-être ce don du sacrifice, mais aimant les autres, avec la même passion des conquêtes féminines, et le beau Diego qui passe comme une étoile noire est peut-être un demi-frère, qui l'a initié à la littérature, qui voulait écrire, regardait le buste de Voltaire. Même si aujourd'hui, grâce à l'enquête qu'il a menée pour écrire sur sa mère, Labro a découvert qu'elle a écrit, en secret, qu'elle a été journaliste, et pour avoir lu Quinze ans, on sait qu'elle a poussé son fils, pour le sortir d'un certain enlisement, vers l'écriture journalistique.
Le petit garçon, c'est aussi un hymne à la fratrie, de quatre garçons et de trois soeurs (tiens?! qui sont-elles, pourquoi sont-elles là? surtout pour être si en demi-teintes, comme les deux cadettes. Et l'on se demande si les jumeaux sont réellement des jumeaux. Et l'on s'interroge sur l'écart d'âge entre les enfants dont deux seulement font partie des grands) soudée par la rédaction de l'Album, où les enfants consignent les faits de la vie, la recherche des surnoms pour définir les personnes, personnages de leur enfance, qui est leur monde merveilleux, celui d'un paradis ouvert à la nature, de découvertes et d'inconnus, au même titre que les héros de leurs livres.
C'est une ode à l'enfance, quand tout est neuf, qu'on devient l'émule de ses héros, qu'on découvre la différence avec son jeune professeur homosexuel, qu'on grandit, qu'on s'amuse, avec les sarbacanes, la cavalcade. Une ode tendre, lucide, et orgueilleuse à l'enfant qu'il fut et n'a jamais cessé d'être, curieux, avide de savoir, les oreilles grandes ouvertes et les yeux en-dehors des poches, goûtant le cinéma, notamment Quai des orfèvres, le premier film qui colle à la réalité- qui a aussi ses faiblesses, sa peur du chemin des Amoureux, mais un sens intransigeant de la justice, blessé profondément quand un ex-collabo reçoit des honneurs, et peut-être conscient d'une supériorité, il habite la Villa, à l'école, c'est facile, et son père dit: "Le petit commence à me tenir tête." Il fait l'expérience de la vie,, pour laquelle il est doué, et qu'il vit avec intensité, et de la mort, avec la disparition du faux jardinier, Monsieur Germain, et le spectacle des quatre pendus, événements qui font réfléchir sur la guerre et l'imperfection des hommes . Il apprend le Temps, que les adultes achètent, sa consistance, ses mouvements, et l'écrivain qu'il deviendra le saisira dans ses étirements variables, dans l'acte de l'écriture.
Ce livre est du Labro, solide et émouvant, efficace, sans rien qui soit appuyé, même pas l'accent du Sud-Ouest, qui retrace une époque, courant en gros de 36 à 48, avec les auteurs et les acteurs à la mode, avec les yeux d'un enfant revisité par l'adulte qu'il est devenu.
Labro vient d'écrire sur sa mère, peut-être écrira-t-il sur l'enfance de son père, et sûrement je lirai le livre paru et celui à paraître.
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